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Commerce extérieur
CETA – Le nouveau système de règlement des différends ne fait pas l’unanimité dans les rangs du Parlement européen
02-03-2016


ceta-source-chambre-commerce-caLe 29 février 2016, la commissaire au Commerce, Cecilia Malmström, a annoncé  la clôture de l’examen juridique de l’Accord économique et commercial global entre l’UE et le Canada (CETA). Le chapitre relatif à la protection des investisseurs et au règlement des différends entre Etats et investisseurs (RDIE) a été modifié. "En faisant fonctionner le système comme une juridiction internationale", Cecilia Malmström estimait avoir "répondu aux attentes, aussi bien des États membres que du Parlement européen".

"Les investisseurs ne peuvent plus qu’invoquer le droit international et le droit commercial" estime l’eurodéputé S&D, Bernd Lange, dans le Tageblatt

Dans une interview publiée dans le Tageblatt du 2 mars 2016, le président de la commission du commerce international (INTA) au Parlement européen, l’eurodéputé du groupe Socialistes et Démocrates (S&D), Bernd Lange, qui est aussi le rapporteur sur le TTIP du Parlement européen, s’est réjoui de l’abandon du mécanisme de règlement des différends. "Quelques semaines plus tôt, la Commission nous disait que ce n’était pas possible et qu’on pourrait au mieux changer quelques notes de bas de page. Je suis donc très satisfait", confie-t-il. 

Toutefois, il met en garde : "Ce n’est qu’une victoire d’étape. Car l'accord a 1600 pages. Nous devons encore le scruter au calme." Ainsi, il reste selon lui un besoin d’éclaircissement tant sur la codécision que sur les services sociaux. "Nous voudrions être sûrs qu’une re-communalisation d’un  service soit possible, par exemple l’approvisionnement en eau. Si une concession d’entreprises privées échoit, elle doit pouvoir être reprise par la commune."

Bernd Lange conteste l’avis de critiques considérant que le nouveau règlement crée une législation d’exception pour les investisseurs étrangers. "Ce n’est qu’un autre code de procédure." De plus, dans l’accord, le droit d’adopter des lois nationales et européennes est fixé. "Il n’y a plus de possibilité de plainte contre la législation normale. Les investisseurs ne peuvent plus qu’invoquer le droit international et le droit commercial, le droit national et le droit européen sont au contraire exclus de toute plainte", observe-t-il.

Lors d’une conférence publique sur le TTIP, le 10 mars 2015 à Luxembourg, Bernd Lange avait estimé que le mécanisme RDIE  n’était pas nécessaire compte tenu des systèmes juridiques élaborés dont disposent l'Union européenne et les États-Unis. Suivant le même raisonnement, il concède dans le Tageblatt, qu’"on peut se demander si on en a impérativement besoin avec le Canada". Toutefois, "il est important de fixer les principes pour les autres, par exemple la Chine", fait-il remarquer. En tout cas, Bernd Lange espère que le CETA, sous cette forme, pourra servir de schéma pour le TTIP. "On murmure que les Américains ont essayé d’influencer le Canada. Apparemment, ils ne sont pas seulement perturbés par le nouveau tribunal du commerce, mais aussi par d’autres règles", fait-il savoir.

L’accord doit encore suivre son parcours législatif, pour être ratifié en décembre 2016 ou janvier 2017, espère Bernd Lange. "D’ici là, nous devons analyser l’accord en profondeur et de manière ouverte. Il y aura peut-être encore des changements. Une chose est claire, le Parlement européen aura le dernier mot."

Les groupes politiques ont des lectures divergentes

Dans un communiqué, le groupe S&D, auquel appartient Bernd Lange, a salué un  projet d’accord qui intègre ses demandes, et notamment "un système plus démocratique et transparent". "Avec un tribunal permanent composé de juges publics, la désignation aléatoire de ses membres pour chaque cas, un tribunal d’appel permanent, un code de conduite exécutoire par le président de la Cour de Justice internationale, un article sur la préservation du droit à réglementer, nous n’avons pas tourné autour du pot, mais nous avons réalisé un changement de paradigme complet", s’est félicitée Sorin Moisa, eurodéputé S&D responsable du CETA au sein de son groupe. "Par ailleurs, je salue l’engagement qui a été pris de créer un tribunal international multilatéral permanent, pour remplacer le tribunal bilatéral établi jadis."

Cependant, l’Agence Europe se fait l’écho de voix discordantes au sein du groupe S&D. "La Commission jette encore de la poudre aux yeux des citoyens. Le système de cour permanente ICS qui doit remplacer l'ISDS est rejeté par la plus grande association de magistrats allemand (DRB) qui n'y voit aucune base légale ni aucune nécessité, puisqu'il appartient aux États membres d'assurer l'accès à la justice pour tous et de garantir un accès possible aux investisseurs en fournissant aux tribunaux les moyens pertinents", a dit l’eurodéputée belge Marie Arena.

"Le DRB met aussi durement en doute l'indépendance des juges car, ni la procédure proposée pour la nomination des juges de l'ICS, ni leur statut ne satisfont aux exigences internationales garantissant l'indépendance des tribunaux". L’eurodéputé français Emmanuel Maurel a pour sa part dénoncé un "numéro d'illusionniste". "Les modifications proposées, au mieux cosmétiques, sont largement insuffisantes pour changer la nature profondément anti-démocratique du CETA. Les juridictions nationales, au Canada comme dans l'UE, sont parfaitement capables de statuer sur ce type de différends", conclut-il.

La porte-parole pour le commerce chez les Verts-ALE, Ska Keller, est aussi d’avis que les systèmes juridiques des deux partenaires étaient suffisants. Ainsi, elle déplore que les tribunaux d’arbitrage pour les investisseurs  étrangers qualifiés d’"antidémocratiques et inaccessibles aux citoyens et entreprises indigènes" soient maintenus.  La Commission n’aurait introduit que des changements de procédure, par exemple pour le choix des juges. Toutefois, "des plaintes unilatérales contre des décisions démocratiques, sont toujours possibles et mettent en danger notre système démocratique." "Avec l’inscription dans le marbre du principe des attentes légitimes, les investisseurs peuvent s’attaquer à tout changement de lois", pense-t-elle.

Le groupe GUE/NGL n’est pas plus soulagé. "La nouvelle procédure n’est plus appelée ISDS, et inclut des éléments qui rendent le système plus transparent et rendent le dépôt de plainte plus compliqué pour les entreprises", concède Helmut Scholz, coordinateur du groupe pour le commerce. "Mais le principe de base reste : les entreprises pourraient poursuivre les gouvernements s’ils voient leurs attentes de profit menacés par une nouvelle loi, et à cette fin, ils ont accès à une voie légale séparée qui n’est pas lié par les systèmes légaux et constitutionnels des 29 Etats participant à CETA." Avec cet accord, le gouvernement canadien et la Commission "déclarent qu’ils n’ont aucune confiance dans l’Etat de droit de leurs partenaires", juge-t-il. 

Au contraire, le groupe PPE est satisfait du texte proposé. Le PPE pense qu’il répond aux "préoccupations publiques sur le droit du gouvernement à légiférer". "C’est le sprint final d’un marathon de six années pour mettre en place le plus grand accord commercial jamais conclu par l’UE ", se réjouit le rapporteur pour le Parlement européen, Artis Pabriks. Le CETA devrait augmenter le commerce bilatéral de biens et services de 22,9 % et apporter un gain de PIB jusqu’à 11,6 milliards d’euros par an pour l’UE, rappelle-t-il.

Le PPE appelle ainsi tous les groupes politiques " à agir avec responsabilité et à se rappeler que cet accord commercial contient la possibilité d’être revue après sa ratification". "Ainsi, retournons à la réalité et réjouissons-nous des bénéfices du premier accord commercial global, conclu avec un partenaire partageant la même vision ", lance Daniel Caspary.

Sur Twitter, l’eurodéputée Viviane Reding, a constaté que le système ISDS était “mort”. Le texte final du CETA intègre les propositions de modification du Parlement. "Il est temps de convaincre également les USA", dit-elle.

De son côté, l’ADLE a salué un "succès libéral" du premier ministre canadien, Justin Trudeau,  et de Cecilia Malmström. "Un avantage primordial pour l'Europe est que les entreprises européennes auront davantage accès aux marchés publics au Canada, ce qui n’est pas le cas actuellement. L’économie du Canada est plus puissante que celle de la Russie, elle représente  un marché important pour les entreprises européennes. Ensemble, avec le Canada, nous pouvons travailler pour renforcer le système commercial fondé sur des règles internationales et établir des normes mondiales rigoureuses ", a déclaré Marietje Schaake, coordinatrice de l'ADLE au sein de la Commission INTA.

Le groupe ECR a estimé, par la voix de sa coordinatrice pour le commerce international, Emma McClarkin, qu’"il n’y a plus de raison valable à ce que cet accord ne soit pas approuvé et accompli sans délai". "Chaque jour gaspillé, ralentit la croissance économique dans l’UE et au Canada. C’était une honte que deux années furent gaspillées parce que l’UE cherchait à dicter les conditions des droits humains au Canada, une insulte énorme. L’UE devrait se concentrer sur le commerce et non sur la politique, nous devons rattraper le temps perdu", pense David Campbell Bannerman, rapporteur fictif pour le CETA.