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Traités et Affaires institutionnelles
Le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermanns a répondu aux questions des députés luxembourgeois
18-10-2016


Frans Timmermans est venu répondre aux questions des députés luxembourgeois le 18 octobre 2016 (c) Chambre des députésDans le cadre du suivi du discours sur l’état de l’Union du Président de la Commission européenne, et plus généralement dans le contexte de l’avenir de l’Union européenne, les députés luxembourgeois ont eu le 18 octobre 2016 un échange de 90 minutes avec  le Commissaire chargé des relations institutionnelles, de l’Etat de droit et de la Charte des droits fondamentaux, et vice-président de la Commission européenne , Frans Timmermanns.

"L’Union européenne ne se fera pas contre les États membres mais seulement avec les États membres", c’est ainsi que le Premier Vice-Président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a ouvert la discussion. "L’Europe est dans une crise existentielle. Mais les réponses au chômage et à l’insécurité sociale ne peuvent être nationales. Elles doivent être continentales", a dit le commissaire qui s’est présenté comme un "agent des Parlements nationaux à la Commission européenne".

En amont des discussions, le président de la Chambre des députés, Mars Di Bartolomeo, a tenu à relever que la Commission tient sa promesse d’un dialogue renforcé avec les parlements nationaux, à un "moment crucial" pour l’avenir pour l’Europe. Il a défendu le droit de parole des parlements nationaux qui permet un meilleur ancrage de la politique européenne. Au contraire, "lorsque l’on exclut, on risque une réaction négative, indépendamment des bonnes intentions que l’on peut avoir", a-t-il dit, en présentant le TTIP "secrètement négocié au début" comme "l’exemple de ce ne qui ne faut plus refaire à l’avenir".

Si l’Europe est dans une crise existentielle, la dimension sociale a trop longtemps été mise à l’écart voire stigmatisée, a déclaré le président de la Chambre pour qui "l’Europe doit retrouver son visage social si nous voulons éviter une fracture sociale, un désengagement voire une opposition de nos populations au  projet européen, ainsi que la montée de l’extrémisme, du populisme et d’autres exits." En effet, les déséquilibres sociaux constituent autant une menace pour la cohésion de l’UE que les déséquilibres financiers, estime-t-il et il faut donc rétablir l’équilibre entre la dimension économique d’un côté et la dimension sociale de l’autre.

Pour autant, a-t-il mis en garde, l’Europe sociale ne doit pas se limiter à la détermination d’objectifs vagues. Il faut au contraire établir des objectifs concrets et communs dans le cadre d’un vrai pacte social européen. Car, pour mériter le triple A social revendiqué par la Commission Juncker, "nos institutions devront respecter l’équilibre entre l’économique et le social" et "échanger le monocle teinté d’austérité contre des lunettes à double foyer".

C’est seulement avec des parlements nationaux plus engagés dans la construction européenne que nous pouvons rétablir les liens avec nos citoyens qui sont parfois rompus à cause des crises, a lancé Frans Timmermans en réponse aux mots d’introduction de Mars Di Bartolomeo.

Nous sommes dans une période très difficile, a en effet constaté le commissaire en listant les crises économique, financière, auxquelles se sont ajoutées les difficultés liées aux migrations, au terrorisme, autant de crises européennes qui sont devenues crise de l’Europe.

Mais, aux yeux de Frans Timmermans, les institutions européennes ne peuvent être seules mises en cause. "On n’est pas ne mesure aujourd’hui de donner des réponses que les gens acceptent comme raisonnables", a-t-il constaté en appelant à se mettre ensemble pour expliquer que ce monde, dans cette révolution industrielle globale, a besoin d’acteurs d’une ampleur continentale.

"Les citoyens britanniques ont voulu regagner le contrôle de leur destin", a commenté Frans Timmermans au sujet du Brexit. "C’est faux, mais c’est désormais une réalité politique", a-t-il conclu.

Le débat

Brexit – "les quatre libertés sont indivisibles, ce n’est pas négociable"

Lors de la séance de questions-réponses qui a suivi, Eugène Berger (DP) a souhaité savoir quelle était la position de la Commission européenne au sujet des récentes déclarations de la Première ministre britannique, Teresa May, au sujet du Brexit. Cette dernière a en effet annoncé vouloir invoquer l’article 50 au mois de mars 2017, tout en souhaitant commencer à négocier de façon informelle les conditions de la sortie du Royaume-Uni de l’UE et de leurs relations futures. Frans Timmermans a rappelé que la position de l’UE, qui est aussi celle de l’ensemble des 27 Etats qui vont en rester membre après la sortie du Royaume-Uni, était bien de ne commencer les négociations qu’après l’invocation de l’article 50. "Telle est la réponse claire et nette qu’elle reçoit de la part de tous les chefs d’Etat et de gouvernement qu’elle a commencé à approcher ces dernières semaines", a assuré Frans Timmermans.

Pour ce qui est de l’accès futur du Royaume-Uni au marché intérieur, Frans Timmermans a rappelé là encore la position de l’UE, à savoir que les quatre libertés sont indivisibles, un point qui n’est pas négociable. Pour le reste, "c’est aux Britanniques de nous indiquer ce qu’ils veulent, puisque ce sont eux qui ont fait le choix du Brexit", a indiqué le commissaire. Il n’a toutefois pas manqué de rappeler que, contrairement aux assertions des tenants du Brexit pendant la campagne qui a précédé le référendum, la libre circulation des personnes a ses règles et conditions : "Cela donne la liberté de travailler dans un Etat membre, mais pas de bénéficier de façon illimitée de son système social."

Les députés de la fraction ADR voulaient savoir quelle était la position de la commission quant à la perspective de profiter de la sortie du Royaume-Uni pour modifier les traités et donner plus de pouvoirs aux parlements nationaux. "Je suis d’avis que l’on n’a pas encore épuisé toutes les possibilités que le traité existant offre pour augmenter la position des parlements nationaux", estime Frans Timmermans en citant comme bon exemple l’initiative du "carton vert" proposée par plusieurs parlements nationaux.

Claude Wiseler (CSV) a pour sa part abordé le sujet du plan Juncker. Pour Frans Timmermans, le fait d’avoir créé la possibilité pour les PME d’accéder directement aux financements de la Banque européenne d’Investissement (BEI) constitue l’innovation du plan Juncker, et même une révolution. Car ce sont les PME qui sont à même de créer de l’emploi, le retour sur investissement y est bien plus grand que chez une grande entreprise et elles sont essentielles en vue de la quatrième révolution industrielle que le commissaire appelle de ses vœux. La dynamique impulsée doit être étendue, estime Frans Timmermans et il faudra montrer le succès du programme pour convaincre les Etats membres d’apporter les capitaux supplémentaires qui seront nécessaires pour augmenter les investissements à venir, comme le souhaite la Commission.

"Ce qu’il faut "éviter à tout prix, c’est la paralysie de l’UE"

Marc Angel (LSAP), qui travaille actuellement sur un rapport sur l’avenir de l’UE et de la zone euro, souhaitait savoir quelle était la position du commissaire quant aux deux visions envisagées au Parlement européen par les rapports Bresso-Brok et Verhofstadt sur cette question : l’un propose des solutions pour améliorer le fonctionnement de l'Union européenne dans le cadre des traités actuels, tandis que l’autre envisage une modification des traités. Frans Timmermans partage l’avis de Marc Angel sur cette question : "Commencer aujourd’hui un débat sur les traités ne mènerait pas à grand-chose étant donné l’état d’esprit de nos concitoyens", juge en effet le commissaire. Ce qu’il faut "éviter à tout prix, c’est la paralysie de l’UE", estime le commissaire, convaincu que, "au moment où un grand pays a décidé de sortir de l’UE, il importe de montrer que l’on est unis".

Pour autant, Frans Timmermans est conscient que "l’UE est très hétérogène et qu’à l’avenir certains Etats membres voudront aller plus vite que d’autres". "C’est dans la nature de l’UE et c’est d’ailleurs prévu par le traité", a commenté le commissaire que le député interrogeait sur les perspectives d’une Europe à plusieurs vitesses. Pour autant, Frans Timmermans n’a pas voulu s’avancer pour dire dans quel domaine cela arriverait, puisque "la commission n’a pas le monopole des bonnes idées et que cela dépend de la volonté politiques des Etats membres".

Fernand Kartheiser (ADR) a évoqué l’impact des sanctions contre la Russie sur l’UE, en suggérant la nécessité de les lever, afin de soulager l’agriculture européenne. Le vice-président de la Commission y a opposé un refus catégorique, estimant que "lever les sanctions contre la Russie paraît inacceptable sur la base du comportement du président russe en Syrie".

Gérard Anzia (Déi Gréng) a abordé la question du chômage des jeunes, sous l’angle de la Garantie pour la Jeunesse et de ses effets. Frans Timmermanns en a profité pour partager l’étonnement qui fut le sien en découvrant qu’elle était un "grand succès" alors qu’elle ne fait pas parler d’elle. Il appelle à augmenter ses moyens et à faire savoir qu’elle ouvre des possibilités aux jeunes sans emploi auxquelles elle s’adresse. Le commissaire a souligné l’importance d’un tel programme pour éviter le risque d’une "génération perdue", notamment en Espagne, au Portugal et en Italie, et pour préparer le futur de nos sociétés.

Crise migratoire - "Il faudrait que tout le monde puisse prendre sa part de responsabilité", estime Frans Timmermanns, qui reconnaît qu’il peut y avoir une certaine flexibilité

Laurent Mosar (CSV) a abordé l’épineuse question de la crise migratoire. Il voulait savoir quelles étaient les conditions d’un consensus au niveau de l’UE, alors qu’il existe des dissensions notamment sur les questions de la relocalisation des réfugiés. Il voulait également entendre de la bouche du commissaire comment il était possible de "concilier la défense de nos frontières et la défense de nos valeurs". Enfin, il voulait savoir s’il n’y avait pas lieu de réorienter la politique de coopération de l’UE pour s’attaquer aux causes des migrations.

Frans Timmermanns a longuement développé sa réponse, faisant d’abord remarquer que c’est cette crise qui a mené à la crise de l’Europe, parce qu’elle est venue après les autres et a été le catalyseur de ce que l’on voit dans les Etats membres. Les moyens de résoudre cette crise sont, selon lui, claires : il faut mieux garder les frontières, faire une distinction précise entre ceux qui ont droit à une protection internationale et ceux qui n'y ont pas droit, renvoyer chez eux ces derniers, offrir de bonnes conditions d‘accueil aux premiers, et conclure des accords avec les pays d’origine et de transit. Mais, si ces mesures n’ont pas pu encore être adoptées, "le problème est politique". En la matière, pour obtenir un succès, il faut tout faire en même temps, de façon égale, afin que les vœux de tous soient exaucés, les uns considérant que la protection des frontières est plus importante, les autres considérant que c’est l’accueil des réfugiés.

"Il faudrait que tout le monde puisse prendre sa part de responsabilité", a poursuivi Frans Timmermanns, qui reconnaît qu’il peut y avoir une certaine flexibilité, en fonction de la position géographique ou politique d’un Etat membre. Mais selon lui, il n’est pas possible qu’un Etat membre délaisse un aspect. "Il n’y a pas de possibilité de ne pas prendre de responsabilité dans tous les domaines". Reste alors à trouver "une combinaison équitable pour chacun et vue comme équitable par tout le monde".

Frans Timmermanns pense qu’il est décisif que l’UE montre à ses citoyens qu’elle est en mesure de contrôler ce problème. Le commissaire est d’avis que la plus grande partie des Européens veut que cela se fasse sur la base des valeurs européennes, mais que beaucoup sont en mesure de remettre en cause ces valeurs, si la situation n’est pas sous contrôle.

Concernant le développement, Frans Timmermanns dit qu’il faut repenser la relation de l’Europe avec les pays tiers, et notamment l’Afrique. Il ne faut pas opter pour "la formule traditionnelle d’aumône", mais "aider les pays africains à investir dans des secteurs économiques prometteurs, investir dans l’Etat de droit, mais aussi conclure des accords avec les pays africains afin qu'ils puissent reprendre leurs concitoyens qui viennent en Europe et n’ont pas le droit d’y rester", a-t-il expliqué.

"Si on n’est pas capables d’avoir un accord avec le Canada, il vaut mieux ne pas faire d’accord avec qui que ce soit"

Gusty Graas (DP) a abordé une question que d’autres groupes avaient l’intention aussi d’aborder, à savoir l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’UE (CETA).

Frans Timmermanns a dit comprendre les sensibilités que l’accord CETA a révélées en ce qui concerne la globalisation et les accords de libre-échange. Les gens penseraient qu’un tel accord ne fera qu’apporter de nouveaux bénéfices pour les grandes entreprises, sans que leurs soucis tels que l’emploi pour leurs enfants, ne soient résolus. Les négociateurs prennent en compte ces craintes. "Pour le système dont je fais partie, le nouveau regard sur la globalisation a un effet profond sur la négociation de traités commerciaux qui, traditionnellement, n’avaient aucune dimension politique", a-t-il poursuivi. "Il faut se rendre compte que le monde a changé et que l’on n’est plus dans une société paternaliste où la Commission peut dire "allez-vous coucher", on s’occupe de tout, et on vous réveillera quand tout est fait. On ne peut plus faire les accords comme par le passé", a-t-il confié.

Pour autant, Frans Timmermanns pense que l’accord CETA doit être adopté. "Si on n’est pas capables d’avoir un accord avec le Canada, il vaut mieux ne pas faire d’accord avec qui que ce soit", a-t-il dit en soulignant le fait que le Canada partage les valeurs européennes et que l’accord donne de surcroît la garantie que ces valeurs ne se seront pas affectées. "Le Canada, ce n’est pas les Etats-Unis", a-t-il poursuivi.

"Le dumping fiscal est un des fléaux de notre UE"

Marc Baum (Déi Lénk) a dénoncé les inégalités sociales et la pauvreté qui ne cessent d’augmenter, au sein des pays et entre les pays, ceux de la périphérie et ceux du Centre et du Nord. Il a évoqué également la dégradation des conditions de travail.

Faisant d’abord remarquer que les compétences de la Commission européenne sont très limitées dans ce domaine, Frans Timmermanns a souligné le fait que "l’endettement public est un grand cadeau pour le capitalisme extrême mondial", puisque si les taux d’intérêt augmentent, on devient "complètement otage des marchés financiers". S’endetter à un certain moment peut être très raisonnable, mais il faut avoir un projet pour en sortir.

Toutefois, Frans Timmermanns était d’accord avec Marc Baum pour dire que "la question sociale est en train de détruire l’Europe". Les inégalités sont "inacceptables", dit-il, surtout quand elles recoupent des identités, qu’elles touchent des minorités. Il faut y répondre "en évitant une politique identitaire".

Franz Fayot (LSAP) n’a pas eu de réponse à ses questions sur le commerce transfrontalier, mais voulant savoir s’il y avait des tensions sur la fiscalité des entreprises avec les Etats-Unis et évoquant les projets de la Commission en matière d'érosion de la fiscalité (BEPS), Frans Timmermanns a défendu l’action de la Commission européenne. "Si on parle de faire quelque chose sur le plan social et qu’on érode complètement la base fiscale de notre société, comment va-t-on payer pour le social, pour l’éducation ?", a relevé le commissaire.

La commissaire ne défend pas pour autant une fiscalité au niveau européen, mais la Commission doit intervenir si cette fiscalité est utilisée pour faire concurrence ou octroyer des aides d’Etats. "C’est notre devoir, et elle le fera. On est dans un Etat de droit et on verra ce que dit la Cour pour savoir si on a utilisé nos pouvoirs correctement", a déclaré Frans Timmermans pour qui "le dumping fiscal est un des fléaux de notre UE."

Henri Kox (Déi Gréng) voulait en savoir plus sur le futur paquet législatif concernant les objectifs d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables pour 2030 que la Commission européenne doit présenter début décembre 2016. Il a notamment défendu un objectif de 40 % en termes d’efficacité énergétique.

Si Frans Timmermanns n’a voulu trahir les objectifs qui sont encore en discussion, il a déclaré que l’UE avait "le devoir de montrer clairement" comment on peut arriver à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour limiter le réchauffement climatique. "Les objectifs de développement durable, c’est le futur de l’économie mondiale si on veut une économie fondée sur nos valeurs, et non une économie fondée sur l’argent". Il a dit que ce souci devait traverser horizontalement toutes les politiques européennes et a souligné le fait que c’est aussi la création de nombreux emplois pour les jeunes qui est en jeu.