Principaux portails publics  |     | 

Budget de l'Union européenne
Rapport annuel 2015 de la Cour des Comptes sur les dépenses de l’UE - La confiance des citoyens, la prévisibilité des dépenses et la gestion des risques produits par un recours accru à des instruments financiers dans la mire des auditeurs
13-10-2016


cour comptesLe 13 octobre 2016, le nouveau président de la Cour des Comptes de l’Union européenne, Klaus-Heiner Lehne, a présenté le rapport annuel 2015 de son institution à la commission du contrôle budgétaire (CONT) du Parlement européen à Bruxelles. Cet audit portait sur le budget de l’Union de 2015, année au cours de laquelle les dépenses budgétaires de l'UE ont représenté un montant total de 145,2 milliards d'euros, soit environ 285 euros par citoyen, à peu près 1 % du revenu national brut de l'Union et environ 2 % du total des dépenses publiques de ses États membres.

Confiance perdue, confiance à regagner

Dans son intervention, Klaus-Heiner Lehne a estimé que "depuis fin 2015, plusieurs événements ébranlent les fondations de l'Union européenne, qui est ainsi entrée dans une phase d'introspection". Pour lui, "la question que chacun se pose est la suivante : pourquoi tant de citoyens tournent-ils le dos au projet européen?" Sa réponse : "Je pense que cela est en partie dû au fait que nous, les institutions européennes, avons, dans une certaine mesure, perdu leur confiance." D’où pour lui la conviction qu’ "au cours des prochains mois et années, l'un des défis majeurs de l'UE consistera à regagner cette confiance".

Klaus-Heiner Lehne a affirmé devant les députés européens que de toute évidence, une réforme s'imposait et que, quelle que soit sa forme, celle-ci devrait reposer sur des bases financières solides. L'UE devra tenir selon lui une comptabilité rigoureuse, s'assurer que ses règles financières soient correctement appliquées, garantir que les fonds soient utilisés de façon optimale, et faire prévaloir la transparence et l'assurance.

"Comment les citoyens pourraient-ils ne serait-ce qu'envisager de faire confiance aux institutions de l'UE s'ils ne sont pas convaincus que nous faisons un bon usage de leurs deniers et que nous rendons dûment compte de la manière dont nous procédons?", s'est interrogé Klaus-Heiner Lehne.

Le niveau d’erreur pour les dépenses

La Cour des comptes européenne a validé les comptes 2015 de l'UE, comme elle le fait chaque année depuis 2007. Elle conclut également que la perception des recettes de l'Union a été exempte d'erreur. Cependant, les auditeurs estiment le niveau d'erreur pour les dépenses à 3,8 % (contre 4,4 % en 2014). Il ne s'agit pas là d'un indicateur de fraude, d'inefficacité ou de gaspillage, mais simplement d'une estimation des paiements qui n'auraient pas dû être effectués parce que les montants versés n'ont pas été utilisés en totale conformité avec les règles de l'Union.

Pour les quelque 1 200 opérations dont la Cour a évalué la légalité et la régularité dans le cadre de l’audit concernant 2015, elle n’a en effet constaté que 12 cas de fraude présumée (contre 22 en 2014) qu’elle a communiqués à l’OLAF. Dans le rapport, il est précisé que "les conflits d’intérêts et la création artificielle de conditions pour bénéficier d’une subvention étaient les cas de fraude présumée les plus fréquents, suivis par la déclaration de coûts ne respectant pas les critères d’éligibilité."

Le niveau d’erreur estimatif pour les rubriques "Cohésion économique, sociale et territoriale", "Compétitivité pour la croissance et l’emploi" et "Ressources naturelles" a connu une baisse notable. Des niveaux d’erreur estimatifs légèrement en hausse par rapport à 2014 ont été relevés pour les rubriques "L’Europe dans le monde" et "Administration". Les dépenses de fonctionnement présentent le niveau d’erreur estimatif le plus bas (0,6 %) et sont exemptes d’erreur significative.

Les dépenses de la rubrique "Cohésion économique, sociale et territoriale" sont les deuxièmes plus importantes du budget de l’Union et celles qui présentent le niveau d’erreur estimatif le plus élevé avec 5,2 % (contre 5,7 % en 2014). Ce domaine est donc celui qui contribue le plus au niveau d’erreur estimatif global (pour la moitié du total). Presque toutes les dépenses prennent la forme de remboursements de coûts. Dans ce domaine de dépenses, l’inclusion de dépenses inéligibles dans les déclarations de coûts des bénéficiaires, ainsi que la sélection de projets, activités ou bénéficiaires inéligibles, contribuent à hauteur des trois quarts au niveau d’erreur estimatif pour l’année 2015. Les erreurs liées à une infraction aux règles en matière de marchés publics représentent un septième de ce dernier.

La rubrique "Ressources naturelles" représente la plus grande partie du budget de l’UE et contribue largement aussi au niveau d’erreur estimatif global en raison de son niveau d’erreur estimatif élevé pour 2015 qui est de 2,9 % contre 3,6 % en 2014, (près d’un tiers du niveau d’erreur estimatif total). Les surdéclarations de terres agricoles sont le type d’erreur qui a le plus contribué au niveau d’erreur estimatif dans ce domaine de dépenses (pour plus de la moitié). Les erreurs liées à l’inéligibilité des bénéficiaires, des activités ou des dépenses y ont contribué pour un cinquième. Le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) représente plus des trois quarts des dépenses dans la rubrique "Ressources naturelles", mais est nettement moins affecté par des erreurs (2,2 %) que le développement rural (5,3 %). Ce dernier se caractérise par des niveaux d’erreur plus élevés dans les dépenses d’investissement, qui consistent à fournir aux exploitations agricoles une aide sous la forme de remboursements de dépenses éligibles.

Le niveau d’erreur estimatif pour les dépenses de la rubrique "Compétitivité pour la croissance et l’emploi" reste avec 4,4 % (contre 5,6 % en 2014) relativement plus élevé que dans les autres domaines de dépenses. La plupart des dépenses sont fondées sur le remboursement de coûts et la majeure partie des erreurs concernent le remboursement de frais de personnel ou de coûts indirects inéligibles déclarés par des bénéficiaires. Pour ce qui est de la rubrique "L’Europe dans le monde", avec un niveau d’erreur estimatif de 2,8 % contre 2,7 en 2014, l’acceptation, par la Commission, de dépenses relatives à des travaux, des services ou des livraisons non effectués, ainsi que les coûts inéligibles remboursés par celle-ci, représentent deux tiers du niveau d’erreur estimatif total.

Les dépenses qui ne remplissaient pas les conditions nécessaires pour être imputables à des projets financés par l’UE restent celles qui contribuent le plus au niveau d’erreur estimatif global (déclarations de coûts inéligibles: 42 % du niveau d’erreur estimatif global). Les déclarations incorrectes de surface par les agriculteurs (19 %) et les projets/activités ou bénéficiaires inéligibles (16 %) ont aussi grandement contribué au niveau d’erreur estimatif. Les erreurs graves en matière de marchés publics (11 %) ont nettement moins contribué à ce dernier en 2015 qu’en 2014.

Les auditeurs continuent de constater un niveau d'erreur estimatif presque identique pour les dépenses gérées conjointement avec les États membres (4 %) et pour celles gérées directement par la Commission (3,9 %).

Le rapport souligne que le niveau d'erreur affectant les dépenses est largement influencé par la nature des systèmes utilisés, selon que ceux-ci sont fondés sur des remboursements (à savoir quand l'UE rembourse les coûts éligibles sur la base de déclarations présentées par les bénéficiaires) ou sur des droits (à savoir quand les paiements sont subordonnés au respect de certaines conditions). Le remboursement de coûts est associé à un niveau d'erreur très supérieur (5,2 %) à celui constaté pour les systèmes de dépenses fondés sur les droits (1,9 %). Par ailleurs, des tests ont montré que le risque d’erreur est d’autant plus élevé que les informations demandées aux bénéficiaires sont complexes.

Les mesures correctrices appliquées par les autorités des États membres et par la Commission ont bien eu un impact favorable sur le niveau d'erreur estimatif, selon la Cour. Elle estime que "si en 2015, des mesures correctrices n’avaient pas été appliquées aux paiements que nous avons audités, le niveau d’erreur estimatif global aurait été de 4,3 % au lieu de 3,8 %". Toutefois, même si la Commission a engagé des démarches pour améliorer son évaluation des risques et de l'impact des mesures correctrices, une marge de progression existe encore. "Il aurait été possible de prévenir, ou détecter et corriger une bonne partie des erreurs avant que les paiements correspondants ne soient effectués", estime la Cour.

Mieux prévoir les dépenses, mieux estimer les risques, mieux mesurer la performance

La Cour a avancé d’autres remarques, plus structurelles. Elle constate d’abord que "les montants à verser cette année et dans les années à venir sont élevés". Et elle relève : "Le budget des paiements pour 2015 était le deuxième plus élevé jamais adopté. De plus, pour la troisième année consécutive, le niveau définitif des paiements (145,2 milliards d’euros) a été supérieur à celui fixé dans le budget initial (141,3 milliards d’euros). Pour que cela soit possible, huit budgets rectificatifs ont été nécessaires durant l’année." La Cour constate que malgré ces évolutions, la Commission n’a pas établi de prévisions couvrant les sept à dix prochaines années pour ses flux de trésorerie. "De telles projections permettraient aux parties prenantes d’anticiper les obligations futures en matière de paiement et les priorités budgétaires", suggère-t-elle.

La Cour estime également que "le recours croissant à des instruments financiers entraîne une augmentation des risques". Elle cite le Fonds européen de stabilité financière, le Mécanisme européen de stabilité, le Mécanisme de résolution unique, ainsi que la Banque européenne d’investissement et du Fonds européen d’investissement qui lui est rattaché, précisant qu’elle n’est pas chargée de l’audit de certains de ces mécanismes. "Le recours croissant à ces instruments financiers entraîne une augmentation des risques, tant pour l’obligation de rendre compte que pour la coordination des politiques et opérations de l’Union", lit-on dans le rapport. Elle souligne aussi que "l’instauration de l’EFSI (ou FEIS pour Fonds européen d’investissements stratégiques, ndlr) a retardé le lancement du mécanisme pour l’interconnexion en Europe. L’EFSI aura également un impact sur l’utilisation de certains autres instruments financiers. Nous recommandons à la Commission de procéder à une évaluation de ces facteurs."

Dans son intervention devant les députés, Klaus-Heiner Lehne a expliqué que la Cour s’était penchée plus spécifiquement sur les systèmes de gestion de la performance utilisés pour Horizon 2020. Ce programme qui est censé soutenir la stratégie Europe 2020 ainsi que l’objectif de l’UE de créer un espace européen de la recherche est doté d’un budget d’environ 75 milliards d’euros pour la période 2014-2020. Il regroupe des programmes de dépenses autrefois distincts en matière de recherche et d’innovation. L’aide octroyée prend essentiellement la forme de subventions, mais un accès à d’autres formes de financement, telles que les instruments financiers, est également possible.

La Cour a cherché à comprendre les défis auxquels la Commission est confrontée lorsqu'il s'agit de rendre compte des résultats obtenus grâce aux dépenses consacrées à la recherche et à l'innovation dans le cadre d'Horizon 2020. Klaus-Heiner Lehne a déclaré à ce sujet : "Pour ce qui est du programme Horizon 2020, nous avons constaté qu'en dépit des améliorations apportées par rapport au septième programme-cadre, la capacité de la Commission à assurer le suivi de la performance des programmes et à en rendre compte reste limitée. Les liens entre les dix nouvelles priorités de la Commission en matière de politiques et le cadre stratégique d'Europe 2020/Horizon 2020 doivent être davantage clarifiés. Ce flou pourrait également affecter d'autres activités de l'UE." Et il conclut sur ce chapitre : "Des progrès ont été observés en ce qui concerne les indicateurs utilisés par la Commission pour mesurer la performance, mais certaines insuffisances persistent. Les objectifs en matière de gestion doivent également être développés davantage par les directions générales de la Commission."

Par ailleurs, bien que les recommandations des auditeurs trouvent globalement un écho satisfaisant dans les États membres, il existe une grande disparité dans le degré de formalisme du suivi assuré. Par conséquent, les auditeurs relèvent peu d'éléments attestant que des changements de politique et de pratique ont eu lieu au niveau national.