Le 31 octobre 2016, la Commission européenne a rendu public l'avis du comité d'éthique ad hoc sur la nomination de l'ancien président de la Commission européenne, José Manuel Barroso au poste de président non-exécutif au sein de la banque d'investissement américaine Goldman Sachs International.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait requis cet avis le 15 septembre 2016, après l'émoi politique et médiatique suscité par l'annonce, faite le 8 juillet 2016, de cette nomination.
Pour élaborer son avis, le comité d'éthique ad hoc de la Commission européenne, composé de l'ancien juge à la Cour de justice, Christiaan Timmermans, de l'ancienne eurodéputée social-démocrate, Dagmar Roth-Behrendt, et de l'ancien fonctionnaire de la Commission européenne, Heinz Zourek, s'est basée sur trois lettres : la lettre adressée le 6 septembre 2016 au président de la Commission européenne, par la Médiatrice européenne, Emily O'Reilly, la réponse du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker du 9 septembre 2016 ainsi que la lettre envoyée par José Manuel Barroso datée du 15 septembre 2016, en réponse aux questions posées par la Commission européenne.
Comme l'explique le comité d'éthique dans son avis, José Manuel Barroso a fait valoir dans sa lettre qu' "il a été engagé par Goldman Sachs International en tant que président non-exécutif de son conseil d'administration pour fournir des services de conseils en rapport avec les affaires de la banque avec ses clients". M. Barroso déclare de plus qu'il n'a pas été engagé pour faire du lobbying pour le compte de Goldman Sachs et qu'il n'a pas l'intention de le faire. Il conteste que Goldman Sachs l'emploie comme "conseiller au sujet des discussions sur le Brexit", en avançant notamment l'argument que sa nomination est intervenue avant les résultats du vote, même si elle ne fut connue qu'après.
Comme sa nomination est intervenue vingt mois après la fin de son mandat, José Manuel Barroso n'était pas soumis à l'obligation de demander son avis au comité d'éthique, qui rappelle que la période de carence de 18 mois prévue par le Code de conduite des commissaires tient compte du fait que le risque de conflit d'intérêt, de transfert ou d'exploitation commerciale de son expérience et de son savoir, diminue avec le temps. Par contre, la fin de la période de carence ne signifie pas la fin du respect de l'article 245 (2) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui oblige légalement les anciens membres de la Commission européenne au respect des principes d'honnêteté et de délicatesse, dont la violation peut entraîner des sanctions financières imposées par la Cour de justice de l'UE saisie par le Conseil ou la Commission.
Le comité d'éthique constate que les objections faites concernent plutôt la banque Goldman Sachs International, vue "comme figure d'une activité de banque d'investissement agressive, plus particulièrement critiquée pour son rôle dans le déclenchement de la crise financière et pour le conseil en constructions financières capables de cacher la réalité de la dette de la Grèce", que la nature du poste en lui-même. Et à ce titre, il considère que "M. Barroso devrait avoir été conscient et informé qu'en agissant ainsi, il aurait prêté le flanc aux critiques et risquait de nuire à la réputation de la Commission et de l'Union plus généralement. Si non, il aurait fait preuve de négligence." "M. Barroso n'a pas fait montre du jugement prévenant que l'on pourrait attendre de quelqu'un qui a occupé un poste à haute responsabilité pendant de si longues années", en déduisent-ils.
Le comité d'éthique ne nie pas le lien entre son ancienne fonction de président et ses nouvelles responsabilités. Comme président de la Commission, il a été "directement et étroitement impliqué dans la crise financière, la crise bancaire, la crise de l'euro et leurs conséquences pour l'UE, l'Union économique et monétaire ne particulier. Il a participé au développement de politiques de crise et de la création de nouveaux instruments contre les conséquences de ces crises, telles que l'Union bancaire, et pour empêcher la survenue de nouvelles. Son expérience et sa connaissance de ces matières seront précieuses pour Goldman Sachs."
Toutefois, le comité d'éthique avance sur ce point, comme sur d'autres, le fait que la période de carence, censée limiter ces conflits, a été respectée. "Le Code part de l'idée que passée cette période, un ancien commissaire est en principe autorisé à accepter des occupations liées aux domaines dont il a été responsable comme commissaire", affirme ainsi le comité ad hoc, en ajoutant qu'il n'est pas de son ressort de dire "si le Code est suffisamment strict à ce sujet".
Par contre, pour ce qui est des principes d'honnêteté et de délicatesse, qui, constate-t-il, sont des notions "floues", que la CJUE n'a pas encore eu l'occasion de clarifier, le comité d'éthique ad hoc se demande si "le seul fait de créer une agitation nuisant à la réputation de la Commission et de l'UE sont suffisants pour conclure à une violation du devoir imposé par l'article 245". Il y voit "une indication pertinente mais pas suffisante par elle-même". Pour cause, Goldman Sachs opère légalement sur le marché intérieur mais même si elle "pourrait être considérée comme l'avant-garde du capitalisme agressif, dès lors qu'elle respecte l'Etat de droit, ce n'est en soi pas contraire à la loi d'accepter un poste dans la banque." En conclusion de leur avis, citant la lettre de José Manuel Barroso, dans lequel ce dernier déclare qu' "[il n'a] pas été engagé pour faire du lobbying pour le compte de Goldman Sachs et [n'a] pas l'intention d'en faire", les trois membres du comité disent considérer cet engagement comme répondant aux devoirs d'intégrité et de discrétion.
Le comité d'éthique juge infondé le reproche fait à l'ancien commissaire d'être engagé pour discuter des conséquences du Brexit. Le comité dit ne pas avoir de raison de douter que José Manuel Barroso, comme il le déclare, n'a pas été engagé pour le Brexit. Même dans le cas contraire, la période de carence de 18 mois aurait été observée et, de plus, le Brexit serait selon le comité ad hoc une "matière nouvelle et non liée au mandat de la Commission Barroso".
Enfin, pour ce qui est du reproche plus général de pantouflage, le comité d'éthique rappelle qu'outre le respect de la période de carence, il faut également mettre en balance les intérêts de la Commission et l'intérêt légitime qu'a un ancien commissaire de poursuivre sa carrière dans le secteur privé.
La Commission a fait savoir qu'elle se donnait le temps désormais d'analyser l'avis, en vue de prendre d'éventuelles sanctions.
"A la lumière de récents échanges entre la Commission et l'Ombudsman, il apparaît que la Commission n'a pas l'intention de réviser le Code de conduite", prévient toutefois la Médiatrice européenne, Emily O'Reilly, dans un communiqué de presse publié le 31 octobre 2016. Dans sa prise de position, l'Ombudsman, fait trois observations. Le comité reconnaît les dommages pour la réputation de la Commission et de l'UE, mais atteste que légalement, M. Barroso n'a pas enfreint le code de conduite. Le comité dit que ce n'est pas son rôle de déterminer si le code de conduite est assez sévère et enfin, le comité semble avoir basé son jugement seulement sur la lecture des trois documents déjà dans le domaine public. Enfin, le comité n'a pas eu recours à d'autres documents pertinents, n'en a pas demandés ni reçus et n'a non plus conduit d'entretiens.
Au vu de ces observations et "de la préoccupation qui continue d'être manifestée par la nomination de M. Barroso et le code de conduite existant, l'Ombudsman réfléchit aux prochaines étapes – y compris une éventuelle enquête – qu'elle prendra en relation avec cette question importante", prévient-elle.
Dans un communiqué de presse daté du 2 novembre 2016, le collectif d'ONG "Alter-EU" (Alliance pour une réglementation de transparence et d'éthique en matière de lobbying) réitère ses appels à la réforme du Code de conduite des commissaires, déjà lancés par le passé. “Si un ancien président de la Commission peut, après seulement 20 mois, rejoindre Goldman Sachs International pour diriger et conseiller, et faire cela sans rompre de règles éthiques, il est clair que ces règles ont besoin d'être changées", dit le collectif en rappelant les préoccupations de plus de 200 000 citoyens qui ont signé les deux pétitions remises le 12 octobre 2016, mais aussi d'eurodéputés, de l'Ombudsman, de chefs d'Etat et même de membres du personnel des institutions européennes.
ALTER-EU souligne le besoin d'un changement de culture de règle et de pratique dans la Commission de telle sorte que le pantouflage ne soit plus vu comme une partie normale de 'business as usual'." Le traité qui requiert intégrité et discrétion après le mandat, doit être reflété dans les règles éthiques et les anciens commissaires doivent être bannis de tous les emplois impliquant du lobbying ou risquant un conflit d'intérêt pour au moins trois ans.
"Il faut en tout cas abolir l'auto-régulation éthique par laquelle des commissaires prennent des décisions sur les carrières futures d'ex-collègues", ajoute ALTER-EU. "L'indépendance de l'actuel comité d'éthique ad hoc est douteuse comme ses membres sont choisis par les commissaires et sont tendanciellement des gens du milieu européen". La prise de décision sur les pantouflages de commissaires devrait au contre prise par un corps éthique permanent, professionnel, transparent et complètement indépendant.
ALTER-EU fait référence également au vote par le Parlement européen, dans sa position sur le budget adopté le 26 octobre 2016, d'un gel de 20 % des rémunérations des anciens commissaires, jusqu'à ce que la Commission mette en place un code de conduite plus strict et constate que "la pression augmente réellement sur Juncker pour qu'il annonce une réforme".