Un an déjà depuis le referendum du 10 juillet.
Un an déjà que le doute continue à planer sur un projet de Constitution européenne approuvé par quinze pays et rejeté par deux. "Pourquoi nous a-t-on fait approuver par referendum une Constitution européenne qui avait été rejetée quelques semaines auparavant par deux Etats fondateurs, la France et les Pays-Bas ?" C’est une question légitime que beaucoup de citoyens luxembourgeois doivent se poser après les conclusions un peu ambiguës du Conseil européen des 15 et 16 juin.
Et bien, je reste convaincu que la décision prise il y a un an de maintenir le referendum a été le bon choix et le seul politiquement responsable. L’engagement de beaucoup de femmes et d’hommes politiques et de représentants de la société civile en vue d’obtenir un oui de la part des citoyens luxembourgeois n’a pas été de la peine perdue.
D’abord, jamais auparavant les Luxembourgeois n’ont-ils eu pareille occasion pour débattre de l’Europe, d’évaluer ses succès immenses, mais aussi de critiquer ses déficits. La campagne référendaire a fait du bien à la démocratie au Luxembourg, même s’il faut regretter que, pour des raisons constitutionnelles, les citoyens européens non luxembourgeois vivant chez nous n’aient pas pu participer à cette consultation importante. La fameuse culture du débat, sans laquelle il ne peut pas y avoir de démocratie vivante, a pour une fois été concrétisée. Les 56,3% de « oui » ont traduit une adhésion évidente des Luxembourgeois au projet européen sans que pour autant les 43,7% de « non » puissent être amalgamés à un rejet pur et simple de la construction européenne. C’est un résultat « vrai » qui continue à interpeller tous ceux qui savent que l’Europe ne peut plus être « construite » en marge des peuples.
Les différents Eurobaromètres , tout comme les sondages effectués immédiatement après le vote du 10 juillet, nous renseignent sur les attentes et les craintes que les Luxembourgeois partagent avec beaucoup d’autres Européens : en quelques mots, comment est-ce que l’Europe peut contribuer à mieux assurer la sécurité des emplois et la protection sociale face à une mondialisation qui est perçue d’abord comme une menace contre un « modèle social » auquel les Européens sont très majoritairement attachés.
Mais revenons à l’avenir du Traité constitutionnel. La Finlande, Présidence en exercice de l’Union, va bientôt le ratifier. L’Estonie l’a fait le 9 mai dernier, à l’occasion de la journée de l’Europe, décision pleine de symboles. Ces deux pays montrent que le processus de ratification n’est pas interrompu. La Constitution reste, en dépit de ses imperfections et insuffisances, le seul document de référence pour une Europe capable de faire avancer son intégration politique afin de relever les défis de la globalisation. Selon le dernier Eurobaromètre, 61% des Européens, dont 64% des Luxembourgeois et 62% des Français, restent favorables à une Constitution pour l’Union européenne.
Les Luxembourgeois ont eu doublement raison de l’approuver. Le plan B des tenants du « non » soi-disant pro-européen n’a jamais vu le jour. Où sont restées leurs propositions alternatives que ce soit en France, aux Pays-Bas ou au Luxembourg ? La scène du « non » très hétéroclite s’est rapidement décomposée. En revanche le Traité constitutionnel représente toujours les meilleures garanties pour les droits et la place de notre pays dans l’évolution future d’une Union élargie. Le jour où il entrera en vigueur , ce dont je reste convaincu, il assurera à cette Union les moyens de décider et d’agir mieux, plus efficacement et surtout plus démocratiquement et le plus proche des citoyens.
L’Europe des valeurs souvent invoquée et qui est dans le monde dans lequel nous vivons plus essentielle et indispensable que jamais, trouve sa meilleure expression dans la Charte des droits fondamentaux incorporée juridiquement dans le texte constitutionnel de base. Ce sont des acquis qui ne doivent d’aucune manière être remis en cause. Le « oui » luxembourgeois, comme celui des autres Etats membres, nous donne à cet égard les meilleures garanties face aux velléités de certains de solder à perte ces progrès substantiels du Traité constitutionnel.
Si le Luxembourg n’avait pas décidé d’organiser son referendum ou, pire, si celui-ci n’avait pas été gagné, le processus de ratification ne se serait pas poursuivi après les non français et néerlandais. Sans vouloir exagérer l’impact européen de la décision du peuple luxembourgeois, celle-ci a sûrement permis concrètement d’éviter la mort réelle d’un texte qui permettra des avancées positives non négligeables, y compris dans le domaine social.
Personne n’ose plus aujourd’hui dire que ce texte est mort. Même ceux qui, mal inspirés, avaient annoncé prématurément sa mort pour masquer leur propre désarroi sont devenus plus prudents. D’ailleurs avait-on déclaré les traités de Maastricht ou de Nice pour morts quand les Danois, respectivement les Irlandais, les avaient rejetés ? Bien sûr que non. On a recherché et trouvé des solutions avec ces pays qui avaient alors fait preuve de beaucoup de bonne volonté et d’esprit de coopération.
Le traité constitutionnel reste d’actualité et le processus de ratification n’est nullement interrompu. Il a toutes les chances d’être poursuivi, non seulement à court terme par la Finlande, mais aussi par d’autres pays qui ont annoncé de vouloir le relancer. Il appartient surtout aux pays qui l’ont ratifié de les encourager comme de contribuer à une solution politique pour sortir du blocage actuel.
Le rapport de force politique entre ceux qui auront approuvé le Traité constitutionnel et ceux qui ne l’auront pas ratifié évoluera ainsi encore davantage en faveur des premiers.
Il est certain que ce texte, largement victime des contextes nationaux, ne pourra pas être présenté à l’identique aux électeurs qui l’ont majoritairement rejeté, même si les raisons ont été très diverses et difficilement identifiables. Une révision doit être limitée et concentrée sur quelques aspects.
Le nom d’abord. Gardons-nous de l’illusion d’une solution facile. Le terme « constitution » a un caractère symbolique fort sans pour autant signifier la naissance d’un super-Etat bruxellois. La Constitution renforce la subsidiarité et règle mieux que n’importe quel traité la répartition des compétences. Mais si le terme de constitution n’a pas été la principale pierre d’achoppement à l’approbation du texte, son remplacement peut le cas échéant contribuer à une solution. C’est la substance qui à la fin doit prévaloir.
L’agencement des quatre parties n’a sûrement pas été des plus heureux. La troisième partie, principalement consacrée aux politiques, pour indispensable qu’elle soit, ne doit pas être considérée comme d’ordre constitutionnel au même titre que les parties une et deux. La troisième partie n’a pas été préparée par la Convention européenne. Elle a été mise au point par une Conférence intergouvernementale. Elle comporte, outre les ajustements rendus nécessaires par la vraie partie constitutionnelle, notamment des innovations importantes en matière de politique étrangère et de sécurité commune ainsi que de la justice et des affaires intérieures. Pour le reste, ce sont les dispositions héritées du Traité de Rome, adopté en 1957 et dont nous allons célébrer le cinquantième anniversaire l’année prochaine, telles qu’elles ont été modifiées par les traités de révision qui se sont succédés depuis l’Acte Unique. Le paradoxe, c’est que cette troisième partie, qui a été la plus contestée, notamment en France, est pour l’essentiel en vigueur depuis le Traité de Rome. Comme il n’est guère envisageable à ce stade de la réécrire, ce qui signifierait une négociation longue et à l’issue incertaine, il faut pour le moins ne pas la constitutionaliser. Les négociateurs étaient d’ailleurs conscients de cette situation puisqu’ils ont prévu pour certaines dispositions de la partie trois des modes de révision allégés. Pourquoi ne pas aller plus loin sur cette voie pour marquer plus clairement une différenciation entre les différentes parties du texte ?
S’il ne faut surtout pas recommander une réouverture du volet institutionnel du texte, qui a d’ailleurs fait objet de très peu de critiques, certaines dispositions, notamment en matière sociale, pourraient être renforcées. L’article I-3 fixe comme un des grands objectifs une Union fondée sur une économie sociale de marché. Et pourtant la dimension sociale n’occupe pas dans la partie consacrée aux politiques la place qu’elle mérite. Certes, ne négligeons pas l’impact possible de l’article III-117 qui prescrit à toutes les politiques de l’Union de prendre en compte « les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine ». Est-ce que ce ne sont pas là les éléments essentiels qui définissent en dépit d’une grande diversité un certain modèle social européen auquel tous les Européens se sentent attachés ? L’Europe sociale n’est pas une idée ringarde condamnée par la globalisation. Elle ne nous condamne ni au protectionnisme, ni à l’immobilisme, bien au contraire. En même temps n’accablons pas injustement l’Europe des échecs ou insuffisances dans des domaines où l’action des États reste déterminante. D’ailleurs les sociétés les plus solidaires s’avèrent aussi comme celles dont les économies sont les plus compétitives.
La justice sociale, l’égalité des chances, l’accès de tous à l’éducation, à la santé ou à la protection sociale ne remettent pas en cause la nécessité de la compétitivité et du progrès technologique, autres objectifs d’une Union européenne dynamique et prospère.
Que ce soit sous la forme d’un Protocole ou d’une révision des articles afférents, le social mérite certainement une autre place dans un texte remanié. C’est à côté du projet de paix l’autre aspiration forte qui a inspiré la constitution européenne. Si l’Europe doit reconstruire une nouvelle légitimité, c’est autour de l’idée d’un modèle social européen avec sa diversité, qu’elle devra le faire.
Cette période de réflexion, qui a sans aucun doute a eu du mal à démarrer sérieusement, était-ce uniquement ce délai incontournable imposé par les calendriers politiques nationaux ? Sans aucun doute, mais il ne faut surtout pas s’en satisfaire. Il faut sortir les questions européennes de la torpeur qui les entoure habituellement. Elles ne doivent plus être réservées à un cercle restreint d’initiés "qui savent". L’Europe a besoin d’une nouvelle démarche démocratique si le projet ne doit pas s’enliser dangereusement.
L’Europe des résultats concrets préconisée par la Commission et endossée par le Conseil européen est sans aucun doute un bon point de départ. Mais elle ne suffira pas de créer un nouvel élan. L’Europe a besoin d’un véritable projet politique rénové pour faire face aux mutations colossales qui sont en cours. Ce projet doit être porteur d’avenir et porté par les citoyens. Le Traité constitutionnel en est un élément indispensable sans lequel l’Europe ne pourra pas fonctionner efficacement. Il ne s’agit donc nullement de meubler la période de réflexion qui est actuellement dans une phase d’attente. Cette période devrait appartenir d’abord aux citoyens, à tous ceux qui refusent la marginalisation de l’Europe et défendent les valeurs de démocratie, de justice, et de solidarité.
Le nouveau projet politique véritable relance de la construction européenne un demi siècle après l’adoption du Traité de Rome, doit être construit en étroite liaison avec les citoyens. À cette fin les prochaines élections européennes doivent être un vrai rendez-vous démocratique européen. Il ne sera pas manqué à la seule condition que les citoyens aient le sentiment que leur voix compte et que l’Europe ait retrouvée une vraie perspective. La voix des Luxembourgeois a compté le 10 juillet. Elle n’a certainement pas été inutile, car elle a permis de préserver une ouverture sur l’avenir qu’il faut préparer résolument et en étant à l’écoute des citoyens européens.