Abdelwahad Meddeb, directeur de la revue "Dédale", est un défenseur des valeurs positives de l’islam, des valeurs européennes et de la laïcité. Chercheur, conférencier, écrivain, poète, il est un homme qui s’inscrit dans une généalogie arabe, maghrébine, tunisienne et européenne. En raison de ses racines multiples, il se considère comme une sorte "de passeur", un homme qui tente de faire transiter des idées d’un champ culturel à un autre, tout en essayant de démontrer que ces deux champs, oriental et occidental, se rejoignent et s’entremêlent. En ce sens, la globalisation n’est plus seulement une notion économique mais aussi intellectuelle.
Parmi ses maîtres à penser , Abdelwahad Meddeb a cité Goethe. "Il fait partie de cette tribu des poètes transnationaux et n’a pas ménagé ses efforts pour découvrir d’autres cultures et littératures" a expliqué Meddeb. Ce qui rapproche les deux écrivains, s’est leur double généalogie, occidentale et orientale. Ce qui les distingue, c’est la dualité qui est constitutive chez Meddeb, alors que Goethe avait l’impression que son recueil "le Divan occidental-oriental" s’était détaché de lui comme la peau d’un serpent qui mue.
Pour l’écrivain Meddeb, l’Occident et l’Orient ne s’excluent pas, mais au contraire s’enchevêtrent. Il a fourni plusieurs exemples de penseurs, écrivains et poètes du Nord dont les œuvres témoignent de cette fascination pour le Sud.
Chez Goethe, le mythe du midi se manifeste dans son "Voyage en Italie".
L’opposition Apollon /Dionysos dans "La naissance de la tragédie" du philosophe allemand Nietzsche et la mise en fiction de cette problématique par Thomas Mann dans "La mort à Venise "fournissent d’autres exemples. André Gide élargit dans "Les nourritures terrestres" et "L’immoraliste" la problématique du Sud vers le Maghreb et l’espace saharien. Dans ce culte du midi, la maladie s’attrape dans le Nord et le héros va au Sud pour guérir avec le risque que le lieu de la convalescence se transforme en un tombeau.
Albert Camus, homme du midi, s’inscrit dans un mouvement inverse. Il parle du Sud qui se révolte contre lui-même, s’expatrie vers le Nord pour y découvrir l’esprit, découvre les limites de son action et revient finalement au Sud pour y trouver le moindre mal dans l’apaisement.
Abdelwahad Meddeb partage ce désir d’Europe de Camus. Chez le Tunisien, il s’est révélé à travers l’amour de la peinture. Arrivé comme jeune étudiant à Paris, il a séché les cours universitaires pour se plonger dans l’atmosphère des musées parisiens. "A cette époque, les figures picturales dans les Eglises étaient mes meilleurs amis" s’est rappelé Meddeb. C’est de cette manière qu’il s’est initié à la mythologie gréco-latine. Durant ces années de découverte "j’étais dans le culte de la culture européenne tout en négligeant la mienne" a analysé le poète.
Il vouait une certaine fascination aux les milieux de la jeunesse européenne où il a découvert le soufisme. L’approche ésotérique de l’islam lui est alors"apparue comme un moyen de conciliation avec sa culture d’origine". Chez Meddeb, le désir d’Europe n’éteint cependant pas son désir d’Orient.
Aujourd’hui, lorsqu’il retourne sur ses lieux d’origine, il ressent cette fascination pour l’archaïsme, le dionysiaque qui lui fait apprécier "la tension qui existe entre la culture et l’instruction", un regard qui est selon Meddeb partagé par la plupart des réformateurs de l’islam.