Principaux portails publics  |     | 

Traités et Affaires institutionnelles
Affaire Geremek – Un débat d’actualité à la Chambre des Députés
22-05-2007


Le 22 mai 2007 a eu lieu à la Chambre des Députés une heure d’actualité demandée par le groupe parlementaire DP sur l’attitude du gouvernement polonais à l’égard du député européen Bronislaw Geremek. Ce dernier avait refusé de signer dans le cadre de la nouvelle loi sur la décommunisation, dite de "lustration", une nouvelle déclaration par laquelle il donnait acte qu’il n’avait pas collaboré ni avec le parti communiste ni avec les services de sécurité de l’ancien régime. Son refus avait conduit le gouvernement polonais à déchoir M. Geremek de son mandat de député européen.

Bronislaw Geremek, qui fut ministre des Affaires étrangères de son pays entre 1997 et 2000, est connu et respecté dans le monde entier pour ses actes de résistance et sa participation à la genèse de la démocratie polonaise.

C’est ce rôle et les années que M. Geremek a dû passer en prison pour son engagement que le député Charles Goerens a mis en exergue dans son intervention pour expliquer la vague d’indignation internationale que cette affaire avait soulevée.

Au Luxembourg, la députée européenne Lydie Polfer et les Jeunesses socialistes s’étaient notamment rangées du côté de l’intellectuel et homme d’Etat polonais.

Charles Goerens a dans son intervention souligné que la Cour constitutionnelle polonaise avait écarté, dans un premier temps, le danger que M. Geremek fût déchu de son mandat en annulant le 11 mai dernier la loi sur la "lustration". Pour Charles Goerens, le gouvernement polonais veut cependant faire passer cette loi d’une autre manière, "ce qui n’est pas compatible avec une conception moderne de ce que c’est un Etat de droit", selon le député libéral. Sans vouloir s’immiscer dans la façon dont la Pologne aborde son passé, Charles Goerens est d’avis que vu les règles auxquelles ont souscrit les Etats membres de l’Union européenne, "ce qui se passe en Pologne ne peut nous laisser froids." Et d’invoquer l’article 6 du traité sur l’Union européenne - "L’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres" - pour estimer que ces principes avaient été en partie violés.

Si l’affaire Geremek a trouvé pour l’instant une solution juridique, il n’en demeure pas moins que la question politique du respect des principes fondamentaux reste posée. Charles Goerens termina son intervention en demandant que l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) reçoive un jour la compétence en vertu de l’article 6.4. du Traité de l’UE de suivre les violations des principes fondamentaux dans des Etats membres de l’Union. Cela est d’autant plus nécessaire pour le député libéral s’il devait arriver que dans un Etat membre les mécanismes démocratiques échouent à les faire respecter.

Patrick Santer (CSV) déclara de son côté que s’il est normal qu’un pays travaille sur son passé, le fait de déchoir un député européen de son mandat n’était guère admissible de la part d’un gouvernement polonais "qui a des vues particulières sur l’Union européenne et le monde". Même si la Chambre des Députés luxembourgeoise avait peu de moyens pour influer sur cette affaire, le député chrétien-social était d’avis que le gouvernement luxembourgeois devrait porter plusieurs messages à son homologue polonais : qu’il n’accepte pas ce genre de loi, qu’il réprouve que des gens qui ont lutté pour la démocratie doivent de nouveau se justifier, qu’il n’est pas possible de déchoir un député européen de son mandat sans impliquer le Parlement européen.

Ben Fayot (LSAP), tout en se disant interpellé par l’affaire Geremek, s’interrogea sur le droit de s’immiscer dans les affaires intérieures d’un autre pays de l’Union européenne. S’il n’est pas possible de s’immiscer dans les affaires politiques normales, il est légitime de se prononcer sur celles qui mettent en cause les principes communs aux Etats membres de l’Union européenne qui sont le "ciment de l’Europe". Par ailleurs, le fait qu’une solution a pu être trouvée avec l’annulation de la loi par la Cour constitutionnelle montrait que les organes de contrôle démocratiques fonctionnaient bien en Pologne qui a été traditionnellement un pays très critique, même à l’époque communiste. En tant qu’ancien parlementaire européen, Ben Fayot a cependant regretté que le Parlement européen ne soit pas assez intervenu dans l’affaire Geremek.

Il n’y eut que le député Jacques -Yves Henckes (ADR) pour condamner toute forme d’ingérence dans les affaires d’un autre Etat. Pour lui, l’affaire Geremek n’était qu’un prétexte pour attaquer le gouvernement "euro-critique" des frères Kasczinski.

Le député vert Jean Huss se rallia à la position de Charles Goerens et défendit le droit d’immixtion lorsque les principes fondamentaux de l’Union européenne sont en cause.

Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, déclara pouvoir s’identifier avec les inquiétudes du député Goerens. Il jugea qu’il était normal de parler de certaines évolutions dans des Etats membres de l’Union européenne et d’en parler posément. En Allemagne, en Suède et en Belgique, l’affaire Geremek avait aussi été traitée dans les parlements. Revenant sur le fond, Jean Asselborn admit que la Pologne avait tout à fait le droit de changer de politique intérieure et de revenir sur la décision de 1991 de ne pas épurer les administrations des anciens cadres. Mais la façon dont cela s’est passé n’a pas été constitutionnelle. Il mit alors en exergue la solution survenue avec la décision de la Cour constitutionnelle polonaise qui prouvait que le contrôle démocratique fonctionnait en Pologne. Rapportant un entretien récent qu’il avait eu à Aix-la-Chapelle avec M. Geremek lors de la remise du prix Charlemagne à Javier Solana – un prix dont M. Geremek est également titulaire – il convoya le message suivant du député européen à ses homologues luxembourgeois : il faut être vigilant vis-à-vis des choses qui inquiètent en Pologne, mais il faut aussi voir que la Pologne a des institutions démocratiques bien enracinées qui fonctionnent. Jean Asselborn ajouta qu’il allait, lors de l’ouverture de l’ambassade du Luxembourg à Varsovie début juin, convoyer le message de la Chambre des Députés au gouvernement polonais. Il allait également attirer, avec des mots mesurés, l’attention des autorités polonaises sur l’attitude homophobe du ministre de l’Education polonais Giertech, dont l’action est fortement mise en cause dans une récente résolution du Parlement européen.

De l’avis de la plupart des intervenants, le débat du 23 mai 2007 sur l’affaire Geremek n‘aura pas été le dernier de ce genre.