Pour Ben Fayot, la réunion à Steinsel était "une tentative de discuter de l’Europe", deux ans après un référendum sur le traité constitutionnel qui avait donné lieu à "une campagne formidable" au cours de la laquelle les parlementaires et les partis politiques avaient mené "une vraie discussion". Mais après le 10 juillet 2005, le dialogue avec les citoyens était selon Fayot terminé malgré la promesse de le continuer. Pourtant, avec le "non" de la France et des Pays-Bas et le refus de certains gouvernements d’honorer leur signature sous le traité constitutionnel par sa ratification, la démonstration fut faite que l’Union européenne est fragile, "ce qui est grave". Car pour Ben Fayot, "l’Union européenne n’existe que par l’accord entre Etats membres d’agir ensemble."
Si malgré tout, les négociations sur le nouveau traité avancent si rapidement, c’est parce qu’il a été décidé de le négocier dans le cadre d’une Conférence intergouvernementale (CIG) et de manière moins ouverte et démocratique que le traité constitutionnel, qui fut rédigé dans le cadre d’une Convention. Actuellement, des experts nationaux placés sous la direction d’un grand expert juridique du Conseil sont occupés à traduire en langage contractuel le mandat du Conseil européen de Bruxelles des 21 et 22 juin.
Ben Fayot "accepte malgré des réserves cette façon de procéder, car 90 % du traité constitutionnel se retrouvent dans le traité modificatif." Des symboles comme le drapeau ou l’hymne européens sont passés à la trappe, mais la Charte des droits fondamentaux est juridiquement contraignante, bien qu’elle ne fasse pas partie intégrante du traité. Les valeurs de l’Union européenne ont été confirmées, le rôle des parlements nationaux renforcé, les prises de décisions seront plus faciles, le rôle du Haut représentant comme unique porte-parole de la politique étrangère de l’Union établi. Toutes ces raisons font que le député socialiste a pu dire qu’il "peut vivre avec le traité modificatif" et qu’il n’est pas nécessaire d’organiser un référendum pour le ratifier. Mais pas de référendum, "cela ne veut pas dire que cela libère la politique de parler avec les citoyens de ce qui les attend avec l’Union européenne."
Jean Asselborn a dans son intervention émis l’espoir que la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement de Lisbonne des 18 et 19 octobre prochains arrivera à trouver un accord sur un texte et à "ouvrir ainsi le chemin à l’UE, car le monde ne nous attend pas". Pour le chef de la diplomatie luxembourgeoise, l’Union européenne est, a été et doit continuer à être avant tout "un projet de paix". Si une guerre entre la France, l’Allemagne et l’Angleterre ne doit plus jamais arriver, "il ne faut pas se leurrer" selon Asselborn qui a rappelé que jusqu’en 1989, la moitié de l’Europe ne vivait ni en liberté ni vraiment en paix, et que la guerre a fait encore des ravages en Europe lors des dernières guerres balkaniques des années 90. D’où une de ses conclusions : "Sans stabilité dans les Balkans, le risque de guerre persiste en Europe." Etablir cette stabilité est d’abord du ressort de l’Union. Un des plus grands défis à cet égard sera pour lui d’affronter le risque de déstabilisation qui résultera de l’absence d’une solution négociée pour le Kosovo après le 10 décembre 2007.
Asselborn a aussi attiré l’attention de son public sur le fait que l’Europe est d’abord partagée entre la Russie et l’Union européenne, mais qu’il existe également des pays comme le Belarus, l’Ukraine ou la Moldavie qui ne trouvent pas leur place dans les grands ensembles européens, un vide auquel la politique européenne de voisinage tente de suppléer. L’autre volet de cette politique, celle à l’égard des pays de la Méditerranée, a non seulement rendu possible le dialogue entre l’Europe et les pays musulmans de la rive Sud du bassin, mais ce cadre politique est également le seul où Israël et ces pays dialoguent autour d’une table.
Malgré de notables divergences, Jean Asselborn estime que l’Union européenne et les USA sont liés par l’histoire et qu’à travers le rétablissement de meilleures relations transatlantiques, ils réussiront à mieux aborder ensemble les grands problèmes du monde.
L’Union européenne n’est pas seulement pour Jean Asselborn, par sa taille démographique et économique, un acteur qui compte vis-à-vis des grands pays émergents comme l’Inde ou la Chine, mais par sa très haute participation qui dépasse les 55 % à l’aide publique au développement qui va en Afrique, elle est aussi un acteur positif. "Le seul moyen de lutter contre le terrorisme, contre lequel il n’y pas de solution militaire, c’est le développement, c’est d’empêcher les enfants de ce continent de mourir de faim et de les envoyer à l’école et de construire des embryons d’Etats démocratiques." Et de justifier ainsi les missions européennes au Congo.
"Sans Europe, il n’y aurait pas de FINUL au Liban", a dit également Jean Asselborn, en faisant allusion aux 7 000 soldats de différents pays européens qui participent à cette troupe des Nations Unies. Et il a rappelé le rôle de plus grand donateur de l’Union européenne à l’égard des institutions palestiniennes. Dans la foulée, il s’est emporté contre "ces socialistes qui identifient automatiquement les militaires à la guerre, alors que ceux-ci signifient également la stabilité."
Tout en admettant qu’il n’était pas populaire de plaider en faveur de l’adhésion de la Turquie à l’Union, Jean Asselborn a estimé que le futur de l’Europe sera meilleur avec une Turquie en son sein. "Tout n’est pas parfait, mais c’est la pression d’une grande Union européenne qui anime la Turquie à pratiquer des réformes. Et puis la Turquie est un pont vers le monde musulman auquel l’Europe confine."
Jean Asselborn s’est élevé contre ceux qui disent qu’une guerre est inévitable avec l’Iran. L’Iran doit satisfaire aux exigences de l’AIEA, arrêter l’enrichissement de l’uranium et également cesser de prôner l’éradication de l’Etat d’Israël. Mais "l’Iran est un pays jeune d’où les barbus finiront par disparaître, un pays qu’il ne faut surtout pas bombarder, même s’il faut serrer la vis."
Finalement, le ministre des Affaires étrangères a évoqué les difficultés réelles qui existent pour travailler entre 27 Etats membres de l’Union européenne. "Le Royaume Uni donne parfois l’impression d’être dans l’Union uniquement pour en retirer ce qui lui rapporte quelque chose. Pourtant," a-t-il ajouté, "les nouveaux dirigeants britanniques ne sont pas vraiment anti-européens, et ils ont pris une certaine distance avec la politique actuelle des USA dont il faut espérer qu’elle ne sera pas abolie par le président d’un autre grand pays européen." La Pologne aussi crée selon Asselborn des soucis par l’aversion de ses dirigeants à l’égard d’une Allemagne qui s’est pourtant fortement engagée pour leur adhésion à l’Union. Et le président tchèque "n’est pas facile non plus" dans les enceintes européennes. "Ce n’est pas un hasard que la Pologne et la République tchèque ont été choisies par le président Bush pour l’installation du bouclier anti-missiles. C’est comme cela que l’on arrive à diviser l’Union européenne." Et de conclure qu’il y allait de la crédibilité de veiller à ce que l’Union développe une politique étrangère et de sécurité vraiment commune.
Lors de la discussion qui a suivi ces interventions, il fut question de l’Europe à géométrie variable, que Ben Fayot peut accepter "s’il s’agit de constituer des avant-gardes dans certains domaines", de l’ombrageux souverainisme dont font preuve certains nouveaux Etats membres, "qui disparaîtra quand ils découvriront à terme que leur souveraineté ne peut se développer qu’au sein de l’Union européenne", des effets bénéfiques de l’élargissement sur tous les pays qui ont rejoint l’Union européenne depuis les derniers 30 ans, de la demande des jeunes de nombreux pays européens d’avoir "une fenêtre sur l’Union européenne". Des inquiétudes furent formulées sur l’avenir du couple franco-allemand actuellement désuni sur les questions de l’euro, du nucléaire et de l’Iran, mais que "personne ne veut casser". Ben Fayot a notamment évoqué ces députés européens allemands qui semblent plus souhaiter l’intégration européenne que leurs homologues français, souvent absents aux séances et qui pensent davantage en catégories nationales. Pour Jean Asselborn, paix, stabilité et justice sociale sont le fin mot d’une ambition continentale qui est pourtant loin d’aller de soi.