La Commission des Affaires étrangères et européennes avait convié le vendredi 9 novembre à une rencontre avec des jeunes sur le futur de l’Europe dans le cadre du dialogue que la Chambre des députés veut relancer avec les citoyens sur l’Union européenne après l’accord trouvé sur le nouveau traité européen, qui s’appellera le traité de Lisbonne.
Les avantages et les désavantages d’une participation du Luxembourg à l’UE, les avantages, les désavantages et les limites de l’élargissement de l’Union, les vues et craintes économiques et culturelles des jeunes, leurs projets d’avenir et leurs expériences avec des personnes d’autres pays dans cette grande Europe qui est en train de se construire ainsi que le rôle de la guerre et de la paix dans leur vision de l’Europe ont été les sujets principaux abordés avec trois classes de deuxième de l’Athénée.
"Ce débat a lieu par le hasard des choses un 9 novembre, jour anniversaire de la chute du mur de Berlin en 1989, jour historique qui inaugura la réunification de cette Europe dans laquelle nous vivons. La plupart d’entre vous sont nés autour de cette année 1989 et n’ont donc pas connu l’Europe divisée". C’est par ces mots que Monique Faber, du Service des relations publiques de la Chambre des députés introduisit dans le sujet du débat, tout en rappelant les étapes de l’élargissement de l’Union et l’ouverture par le Luxembourg ce dernier 1er novembre 2007 de son marché du travail aux citoyens de 8 nouveaux Etats membres.
Maurice Molitor, qui allait animer le débat avec sa collègue, informa brièvement sur les nouvelles règles qui détermineront le fonctionnement de l’Europe si le traité de Lisbonne sera ratifié. Il expliqua aux jeunes présents quel était le rôle de la Chambre qui devrait ratifier le nouveau traité européen autour de Pâques 2008, et laissa le député Ben Fayot adresser aux lycéens les questions dont de nombreux députés nationaux (Braz, Goerens, Jaerling, Mosar, Oberweis) et européens (Lulling, Polfer, Spautz) étaient venus écouter les réponses.
Molitor lança donc le débat en soulevant la question sur les avantages et les désavantages de la construction européenne. Les premières interventions furent hésitantes – il ne faut pas oublier que la Chamber TV diffusait en direct - mais, peu à peu, les sourires gênés firent place à une vraie détermination dans le débat. Des points de vue furent échangés, et ce sans langue de bois, car on ne fut pas toujours d’accord.
Quelques uns se sont montrés sceptiques par rapport au projet européen. Un élève a cité l’exemple de la Suisse qui illustrait selon lui "qu’on n’a pas besoin d’être en Europe pour développer une économie florissante" tandis qu’un autre invoquait l’harmonisation de la TVA au niveau européen, une initiative qu’il juge "contreproductive".
Quant aux avantages de l’appartenance à l’Union européenne, les élèves ont surtout cité la libre circulation des personnes et la reconnaissance des diplômes au niveau européen. Un élève a attiré dans ce contexte l’attention sur le fait qu’il y a des pays comme la Norvège et la Suisse qui participent à l’accord Schengen alors qu’ils ne sont pas membres de l’UE.
Ben Fayot a réagi à l’argument suisse en expliquant que ce pays est "un pays qui n’est pas en Europe mais qui a signé bon nombre d’accords avec l’Union européenne".
Les députés ont énuméré les avantages qu’il y a pour un petit pays comme le Luxembourg d’être intégré en Europe. Pour Ben Fayot, la construction européenne a permis d’enraciner la paix en Europe et au Luxembourg d’exister comme un Etat souverain et indépendant. Lydie Polfer a saisi l’occasion pour rectifier une idée commune selon laquelle les décisions politiques seraient prises à Bruxelles. "Le Luxembourg est impliqué dans chaque décision qui est prise au niveau européen via le Parlement et le Conseil" a-t-elle tenu à préciser. "D’un point de vue historique, le Luxembourg n’a jamais eu autant de pouvoirs qu’aujourd’hui"ont souligné les députés européens Lydie Polfer et Jean Spautz.
"Jusqu’où ira l’Europe ? Quelles sont les critères géographiques ou politiques pour être admis en Europe ? Est-ce que les pays qui sont en Europe sont européens ?" Autant de questions qui ont été discutées plus dans le détail par les élèves de deuxième.
La discussion s’est d’emblée focalisée sur l’épineuse question de l’intégration de la Turquie en Europe
Un élève a estimé qu’il s’agit d’un sujet délicat vu que " les Turcs ont une autre culture". Une camarade de classe a aussitôt rétorqué en soulignant que l’Europe" n’a pas pour objectif de développer une seule culture mais bien des cultures différentes". Deux autres se sont opposés sur la question de savoir si Istanbul est une ville européenne. Sujet âprement disputé
Sur l’élargissement et ses conséquences sur le fonctionnement des institutions européennes, certains jeunes se sont montrés préoccupés."Aujourd’hui, les chefs d’Etat et de gouvernements passent déjà des nuits blanches pour trouver un accord au niveau européen. Comment est-ce qu’on pourra se mettre d’accord dans une Europe élargie" s’est-il interrogé.
Une élève a souligné la nécessité d’être solidaire avec d’autres pays. "Je trouve qu’il est important d’intégrer ces pays. Il est important d’aider ces pays pour se développer économiquement. Sans notre aide, ils n’y parviendront pas". Pour un autre jeune, le principe de solidarité n’implique pas nécessairement qu’on intègre ces pays comme des membres à part entière en Europe.
Charles Goerens a souligné "qu’il est nécessaire de réfléchir sur la posture que l’Europe adopte vis-à-vis des pays candidats à l’UE ". Dans ce contexte, il a rappelé la promesse qui a été faite à la Turquie et qui selon le député, complique la question. Fayot, de son côté, a estimé qu’on ne peut fixer des frontières définitives tandis que le député Jaerling a estimé que les limites géographiques de l’UE vont de pair avec les ambitions sociales et économiques de l’Europe. Pour Jaerling, "le respect des droits fondamentaux est le plus important et le nombre de pays est secondaire".
Maurice Molitor voulut ensuite savoir des lycéens de l’Athénée s’ils nourrissaient des peurs à l’égard de l’Union européenne, s’ils craignaient une baisse de leur niveau de vie ou s’ils redoutaient une trop forte concurrence sur le marché du travail. Lou pensait que les choses étaient surtout difficiles dans les nouveaux Etats membres, où les salaires sont bas, les prix de plus en plus élevés et où l’on pouvait songer à migrer vers les pays plus riches de l’Union. Une jeune fille, qui rejetait l’idée que des emplois puissent être réservés aux Luxembourgeois, craignait néanmoins que les choses allaient être difficiles pour elle. Jean était surtout préoccupé par la difficulté d’arriver à un accord dans une Union de 30 et plus d’Etats membres. Maxime par contre trouvait que la concurrence était une bonne chose, qu’elle était préparée à s’affirmer professionnellement, et vu qu’elle devait avec ses propres projets envisager de travailler à l’étranger, elle voyait mal comment on pouvait interdire à quelqu’un d’autre part de ne pas faire au Luxembourg ce qu’elle avait le droit de faire dans toute l’Europe.
"Pourtant", s’étonna Maurice Molitor, "les perspectives professionnelles étaient en 2005 à l’origine du vote négatif des jeunes au référendum." Ce fut au tour des politiques de rattraper la balle. Astrid Lulling estima que la concurrence et l’Europe créaient de l’emploi, et que le chômage au Luxembourg était surtout le résultat d’une qualification inadaptée voire insuffisante. La qualification professionnelle devrait donc être selon elle la préoccupation essentielle des jeunes et la seule justification pour prétendre, par la performance, aux salaires élevés qui ont cours au Luxembourg. Félix Braz quant à lui pouvait comprendre que la concurrence sur le marché du travail puisse être une préoccupation, mais que cela ne devrait conduire personne à revendiquer que l’on ferme les portes aux salariés des nouveaux Etats membres. Finalement une jeune fille opina que le salaire minimum et le revenu minimum garanti étaient si élevés au Luxembourg qu’ils pouvaient pour certains paraître plus rentables que d’aller travailler.
Monique Faber voulut ensuite savoir où les jeunes se voyaient dans le futur et leur demanda s’ils pouvaient s’imaginer de travailler à l’étranger. Presque la moitié des lycéens présents n’y vit aucun problème. Les explications fusaient. Une jeune fille déclara qu’il fallait rester ouverts et ne rien exclure. Maxime, qui veut travailler dans le tourisme et plus particulièrement dans le management hôtelier, envisageait clairement de travailler à l’étranger. "Ici à Luxembourg, nous ne pouvons pas tout faire, alors qu’en Europe, nous jouissons de la liberté de pouvoir tout faire. "Et Sandy lançait sans ambages : "Je suis assez égoïste pour aller travailler autre part qu’ici si l’on me fait de meilleures conditions. Et par ailleurs, si je voulais faire de la biologie marine, que me reste-t-il si ce n’est m’expatrier". Un lycéen, "Européen convaincu", souligna l’énorme richesse des échanges avec les autres. A quoi une jeune fille répliqua que dans cette grande Europe, l’on risquait de tomber sous la coupe "d’une culture européenne médiocre" et de perdre son identité.
Maurice Molitor voulut creuser la question de ces échanges et voulut savoir qui avait déjà été en France. Tout le monde. En Espagne ? Presque tout le monde. Il posa ensuite la question comment les jeunes envisageaient de se sentir en état de communauté avec une Union de pays dont ils n’en connaissaient que très peu.
Le député Aly Jaerling saisit la balle au vol, plaida pour une seule langue commune en Union européenne et exigea en même temps que le luxembourgeois soit reconnue comme 23e langue officielle de l’Union. Il fut contredit par Ben Fayot et Lydie Polfer, qui tous les deux défendirent le multilinguisme des Luxembourgeois comme un énorme atout tout en soulignant le respect – inscrit dans les traités - par l’Union de la diversité et des différentes identités culturelles et linguistiques.
Nombreuses furent pourtant les voix parmi les jeunes qui réclamaient que dans le contexte européen actuel, la langue luxembourgeoise soit plus enseignée à ceux qui viennent travailler au Luxembourg. "Quand nous pensons au Luxembourg, nous devons penser en termes nationaux, quand nous pensons à l’Union européenne, nous devons le faire en termes de communauté", dit une jeune fille pour aborder à sa manière une question qui ne trouva pas de réponse. Car pour les uns, le luxembourgeois est "la langue parlée de notre culture qui doit être parlée partout, sinon nous perdrons quelque chose de nous-mêmes". Pour les autres, " faire venir les frontaliers travailler chez nous nous oblige à parler leur langue".
Dès que les lycéens abordèrent les échanges qu’ils ont vécus avec les jeunes d’autres pays moins connus de l’Europe, le discours fut un peu moins tendu. Pas un seul qui n’ait souligné qu’il avait appris énormément sur des cultures nouvelles, des langues inconnues, qu’il avait à travers la vie dans des familles pu s’exprimer dans d’autres langues, en anglais notamment, que ces échanges avaient corrigé ses préjugés, s’il y en avait, ou donné une image plus vraie des personnes et des pays visités, et surtout qu’il avait pu nouer des contacts qui persistaient . Ben Fayot et Marcel Oberweis attirèrent l’attention des jeunes sur tous ces programmes d’échange (ERASMUS, COMENIUS, Service volontaire européen, etc.) dont le potentiel n’est pas suffisamment exploité par les Luxembourgeois.
"Est-ce que la paix et la guerre sont-elles des préoccupations des jeunes Luxembourgeois ?" voulurent savoir Maurice Molitor et les députés. "Auschwitz ne doit plus jamais se répéter et nous devons apprendre des autres générations", fut la première réponse à cette question, donnée par une jeune fille qui avait participé à un voyage d’études au camp de concentration où furent assassinés plus d’un million et demi de juifs, de Romas, de prisonniers de guerre et politiques. Un autre déclara que "pour nous, l’idée de guerre est une idée absurde. Nous n’arrivons pas à ressentir cet avantage de l’Union." Un lycéen était d’avis que "l’Irak, cela ne nous arrive pas", alors qu’un de ses collègues lui fit remarquer, que" l’Union européenne est bien divisée sur l’Irak". "La tâche de l’Union est d’empêcher la guerre entre nous et dans le monde", pensa un troisième. Lydie Polfer leur expliqua que l’Europe était divisée sur ces questions parce qu’elle n’avait pas encore de politique de défense commune. Et Charles Goerens leur raconta comment l’Union avait empêché une guerre d’éclater en Macédoine, mais que personne ne s’en souciait. "Les prix Nobel de la paix vont à ceux qui ont déclenché une guerre et qui la terminent ensuite"
Un tout jeune homme tira les conclusions pour tout le monde : "L’Union européenne doit s’unir pour avoir une politique étrangère commune, car le monde se réduit à petit nombre de grands acteurs et ensembles de pays. Avec ses 500 millions d’habitants et sa puissance économique, l’Europe peut être prise au sérieux par les autres grands acteurs. Si elle se divise et que ce sont des petits pays divisés qui avancent leurs pions, personne ne la prendra au sérieux. Il faut à l’Europe un vrai ministre des Affaires étrangères. Elle n’en avait pas en 2003. Elle s’est ridiculisée en Irak." Parole de jeune. Les députés écoutaient. Et leur sérieux n’était pas feint.