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Emploi et politique sociale - Europaforum
Conférence de haut niveau sur la promotion de services d’intérêt général sûrs, efficaces et durables du CES, ou comment aller vers une Europe plus sociale
15-11-2007


Nicolas SchmitLe Comité économique et social (CES) avait organisé le 15 novembre 2007 dans les locaux de la BEI à Luxembourg une conférence de haut niveau sur la promotion de services d’intérêt général sûrs, efficaces et durables. De nombreux experts et orateurs européens ont participé à un débat important dans le cadre de la réorientation de la politique européenne. Après la libéralisation des services économiques d’intérêt général (gaz, électricité, transports publics, et télécommunications), a estimé le président du CES, Romain Schmit, il existe une demande générale de droit positif européen sur les services d’intérêt général (SIG), qu’ils soient économiques ou non économiques (les services de protection sociale, de santé, d’aide aux handicapés, etc.)

La Conférence a notamment abordé les avancées sur les SIG dans le traité de Lisbonne que représentent

  • l’article 14,
  • la clause horizontale qui veut que l’action de l'Union soit menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux et
  • le protocole sur les services d’intérêt généraux qui consacre
    • le rôle essentiel et la grande marge de manœuvre des autorités nationales, régionales et locales dans la fourniture, la mise en service et l'organisation des services d'intérêt économique général d'une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs
    • la diversité des services d'intérêt économique général et les disparités qui peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes;
    • un niveau élevé de qualité, de sécurité et d'accessibilité, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs.

Nicolas Schmit: "La Commission européenne doit afficher plus fortement ses ambitions sociales pour regagner leur confiance"

Pour le ministre délégué aux Affaires étrangères, Nicolas Schmit, les citoyens se sont détachés de l’Union européenne précisément parce qu’ils craignaient un déficit de l’Europe sur les SIG. "L’idée des services publics est profondément enracinée dans l’opinion publique et fait partie du modèle social européen qui est construit autour des droits sociaux des citoyens", a déclaré le ministre qui admet par ailleurs que l’approche de la question varie fortement d’un pays à l’autre. Depuis le traité d’Amsterdam, les SIG font partie des valeurs communes de l’Union et ils jouent un rôle fondamental dans la politique de cohésion sociale et territoriale qui exclut toute marginalisation des territoires européens. Par ailleurs, la Charte des droits fondamentaux consacre l’accès aux SIG comme un droit comme les traités la lutte contre l’exclusion. Non seulement, les citoyens attendent des Etats qu’ils garantissent ces services, mais ils en sont très satisfaits.

L’Europe a eu raison, selon le ministre Schmit, de se relancer depuis l’Acte unique de 1985, mais la voie suivie fut surtout économique. Les libéralisations de certains secteurs ont sûrement depuis lors généré des avantages substantiels pour les consommateurs, mais elles ont aussi suscité des inquiétudes : chez les salariés des secteurs libéralisés, et chez les citoyens, qui craignent l’émergence par exemple d’un système de santé à double vitesse, l’un, privé à haute performance, et l’autre public, avec des performances moins bonnes. "L’Europe sociale n’avance pas au même pas que l’Europe économique", en a conclu Nicolas Schmit.

Pourtant, le traité de Lisbonne marque pour Schmit "une nouvelle étape dans la reconnaissance des SIG. Le Protocole sur les SIG répond aux attentes des citoyens. Mais la Commission européenne doit néanmoins afficher plus fortement ses ambitions sociales pour regagner leur confiance. Ceci dit, l’Europe ne doit pas être le bouc émissaire des échecs de décisions nationales." Pour Nicolas Schmit, il n’est sûr que la Commission doive par ailleurs légiférer sur les SIG par une directive-cadre. Une telle directive ne lui semble pas indispensable tant que l’on ne peut pas évaluer comment le traité de Lisbonne sera appliqué en la matière. En plus, elle sera difficile à rédiger pour répondre aux attentes très différenciées dans un domaine où la subsidiarité est importante. "Mais le débat est ouvert." Ce débat sur les SIG doit être mené avec une approche moins idéologique, une grande capacité d’écoute des citoyens. Il doit éviter des "désastres comme le débat autour de la directive Bolkestein" qui a "contribué au refus du traité constitutionnel" et doit être considéré comme ce qu’il est : d’une très grande importance dans les réorientations de la politique européenne. "Nous avons la chance de pouvoir renforcer la confiance dans le cadre communautaire et d’éviter la transformation de notre société en une société marchande intégrale où tout ne serait que marchandise."

Stéphane Rodriguez : "Avec le protocole sur les SIG, pour la première fois, la référence à des services d’intérêt économique général fera partie du droit primaire européen"

Stéphane Rodriguez, maître de conférences et avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles, aborda ensuite les potentialités juridiques du traité de Lisbonne en matière de SIG. Selon le juriste, le traité de Lisbonne apporte deux innovations importantes : l’incorporation de l’article 16, futur article 14 du traité constitutionnel et un protocole sur les services d’intérêts général.

La première innovation était selon Rodriguez "attendue", puisqu’il s’agit d’une reprise de l’ancien article 16 du traité constitutionnel. Une nouvelle phrase a été ajoutée à cet article. Elle stipule que la Communauté européenne doit tout mettre en œuvre pour assurer le bon fonctionnement des services d’intérêt général.

Autre nouveauté : l’article 14 du traité de Lisbonne comprend une référence importante à l’article 4 du traité sur l’Union européenne qui stipule que la Communauté européenne"…respecte les fonctions qui ont pour objet de sauvegarder la sécurité nationale".

Le vrai apport de l’article 14 du traité Lisbonne est selon Rodriguez, qu’il accorde au Parlement et au Conseil les compétences pour établir un acte communautaire qui permet de mettre en œuvre des SIG. Bref il appelle à légiférer.

L’article 14 confère une base juridique clairement identifiable aux SIG "Désormais, l’argument de la Commission qui consiste à dire qu’elle ne dispose pas d’une base juridique, ne tient plus la route", a tenu à préciser Stéphane Rodriguez.

La seconde innovation concerne le protocole sur les services d’intérêts général qui est annexé aux deux traités. Ce protocole constitue une nouveauté et a été introduit suite à la pression exercée par le gouvernement des Pays-Bas. Il s’agit d’un protocole assez court qui établit pour la première fois une distinction entre les services d’intérêt général et les services d’intérêt économique général. Pour la première fois, la référence à des services d’intérêt économique général fera partie du droit primaire.

Pierre Bauby: "légiférer sur les SIG seulement s'il y a une valeur ajoutée"

Pierre Bauby, du Comité européen de liaison sur les services d’intérêt général (CELSIG), a opté dans sa contribution pour une approche pragmatique, préférant l’idée que l’Union légifère seulement si elle peut apporter par cette démarche une valeur ajoutée. La question est donc de savoir si le droit positif européen est suffisant. Pour ce qui est des services sociaux d’intérêt général, Bauby a estimé qu’ils étaient moins garantis que les SIG économiques comme les transports ou l’énergie. Le traité de Lisbonne introduit sans trop la définir la notion de services non économiques d’intérêt général (SNEIG) qui ne relèvent ni du marché intérieur ni des lois sur la concurrence. Il n’est pas clair non plus quelles sont, dans le cadre de la subsidiarité, les compétences, droits et devoirs des autorités nationales pour définir les SNEIG, créer des lois spéciales et déterminer les modes de gestion. S’il est vrai que pour des SIG comme le logement social ou les services de santé, il n’y a pas d’obligations de notifier à la Commission et qu’il n’y a pas de contrôles à priori, il peut y avoir des contrôles à postériori en ce qui concerne la légalité des aides publiques. Il faut par ailleurs au niveau européen des dispositions qui donnent des sécurités juridiques aux acteurs des grands investissements en infrastructures pour le long terme. Les normes de protection des consommateurs et usagers de SIG n’existent que pour quelques secteurs, comme les transports. Il faudrait créer dans ce domaine une Agence européenne de régulation qui ne soit pas seulement un organisme logo- et technocratique. Une évaluation dynamique et indépendante des SIG serait utile. Finalement, une hiérarchie des normes communautaires en la matière et une cohérence entre les normes intérieures à l’Union européenne et celle qu’elle défend dans les négociations internationales serait souhaitable. Faut-il un ou plusieurs textes ? Selon Bauby, il faut décider au coup par coup de quelle procédure et norme l’Europe aurait besoin.

Le débat

Pour Luc Guyau, 1er vice-président au Conseil économique et social de France, le traité de Lisbonne a entraîné des avancées importantes, mais n’accorde pas à la Commission les pouvoirs nécessaires pour agir activement. Au cœur du projet européen figurait le marché intérieur. "Mais, l’Europe ne peut pas marcher sur un pied musclé – le pied économique - et un pied - celui des droits économiques et sociaux – négligé", a-t-il mis en garde. D’où sa proposition de réguler les droits économiques et sociaux au niveau de chaque Etat membre.

Stéphane Rodriguez répondit à Luc Guyau, en essayant de clarifier la portée du principe de subsidiarité. Selon le juriste, ce principe s’applique uniquement pour les compétences partagées. Il s’agit d’un système de répartition. Et un des avantages conférés par le traité de Lisbonne est, selon Rodriguez, qu’il sépare les compétences exclusives des compétences partagées. Le marché intérieur est une compétence partagée où le principe de subsidiarité peut être invoqué. "Alors, il faut identifier les thématiques, au cas par cas, pour savoir si elle relève de la compétence nationale ou communautaire", a exigé Rodriguez.

Pierre Bauby alla dans le même sens et exigea que le recours à la subsidiarité soit réglé. Il a ensuite constaté que la libéralisation des postes, télécommunications, des marchés du gaz et de l’électricité avait surtout mené "à la constitution d’oligopoles européens qui structurent à quelques uns le marché" que l’Union européenne n’arrive pas à contrôler. "Cela est un enjeu central de l’évolution de l’Union européenne."

Raymond Hencks, ancien président du CES et auteur d’un rapport du Comité économique et social européen (CESE) sur la libéralisation des services postaux signala au cours de la discussion quelques difficultés auxquelles les SIG luxembourgeois seraient confrontés. Ainsi la mobilité des patients sans autorisation des caisses de maladie pourrait constituer un désastre pour les hôpitaux du Grand-Duché. Et l’idée de la directive "eau" que le prix de l’eau doit couvrir son coût pourrait préfigurer une privatisation des fournitures d’eau. Selon lui, il faudrait un cadre juridique plus clair et transparent. Le CES veut maintenant constituer un comité d’experts internationaux de haut niveau pour préparer pour le Conseil européen de printemps un rapport sur la meilleure manière d’exploiter le potentiel de l’acquis de Lisbonne par rapport au SIG. "Ce serait la contribution luxembourgeoise à la question des SIG."

Il échut à Nicolas Schmit de tirer les conclusions du débat. Le ministre trouva en fait que plutôt de conclure, il fallait pousser la réflexion et que le débat lors de la conférence avait confirmé que les SIG se trouvaient au cœur du modèle social européen. "Ce message devrait être compris jusqu’au dernier recoin du Berlaymont (le siège de la Commission à Bruxelles, n.d.l.r.)". Il confirma que selon le gouvernement luxembourgeois, tous les problèmes ne pouvaient être réglés par une directive-cadre et qu'il éait difficile de traduire tous les beoins en matièr de SIG en droit positif. Il se prononça en faveur d'une stratégie européenne régulatrice et sur la nécessité de différencier entre les grands réseaux de services d'intérêt général capables de faire des économies d'échelle et les petits réseaux, pourtant indispensables pour couvrir tous les territoires. Il salua la contribution dun CES luxembourgeois au débat, y compris le rapport qu'il s'apprête à faire, et conclut avec la phrase: "Il faut donner de la vitamine à la jambe sociale de l'Union européenne."