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Justice, liberté, sécurité et immigration
Conférence de Charles Elsen à l'Université du Luxembourg: "L'Union européenne a fait des progrès importants dans les domaines de la coopération judiciaire pénale et policière"
05-11-2007


Le 31 octobre 2007, Charles Elsen, directeur général pour le pilier "Justice et Affaires intérieures" au Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne entre 1994 et 2004, a donné une conférence à l'Université du Luxembourg à l'occasion d'un cycle de conférences "Forum Europe, Histoire et Actualité".

Témoin et acteur essentiel de la mise en place de la coopération judiciaire pénale et la coopération policière dans l'Union européenne à laquelle il a consacré son exposé, Charles Elsen a abordé trois thèmes différents mais complémentaires devant un public en majorité constitué d’étudiants pour le Master en histoire européenne contemporaine: son expérience personnelle au sein du Ministère de la Justice luxembourgeois, la coopération policière et judiciaire au sein de l'Union européenne, et finalement le fonctionnement du Conseil de l'Union européenne.

Charles Elsen et son implication au sein du Ministère de la Justice

Charles Elsen est entré au Ministère de la Justice en 1967. "A cette époque, nous étions quatre juristes", explique-t-il. Par conséquent, le champ d'activité de chacun était vaste. Mais les tâches européennes étaient encore limitées : quelques dossiers Benelux et la cour internationale de La Haye. Le fonctionnement du Ministère se basait sur quelques règles essentielles. Tout fonctionnaire était directement responsable devant le ministre et suivait son dossier de A à Z. C'est ce "modèle luxembourgeois" que le ministre de la Justice de l'époque, Robert Krieps, défendra comme “small is beautiful".

Au cours des années 1970, deux phénomènes nouveaux surgissent : le terrorisme et le trafic des drogues. Ils ont des répercussions importantes tant au niveau national qu'au niveau international. Charles Elsen hérite de ces dossiers et met en place une cellule de crise. De plus, il contribue à l’adoption d’une nouvelle législation. Au niveau international, deux comités européens sont créés: le groupe "Pompidou" pour la lutte contre le trafic de drogues et le groupe "TREVI" pour la lutte contre le terrorisme à travers l’échange d’informations confidentielles entre services de sécurité européens.

La coopération policière et judiciaire au sein de l'Union européenne

Selon Elsen, l'évolution de la coopération politique et policière au sein de l'UE peut être divisée en plusieurs phases.

C'est avec la signature de l'Acte Unique en 1986 que l'idée d'une abolition des frontières intérieures surgit pour la première fois. Il fixe au 31 décembre 1992 la date-clé pour l'introduction d'un "espace sans frontières intérieures". Or, "si nous abolissons nos frontières intérieures, il faut renforcer les frontières extérieures", explique Charles Elsen. Pour ce faire, un groupe de coordinateurs "libre circulation des personnes" fut instauré, qui élabora un catalogue de mesures compensatoires. Mais le groupe avance pourtant très lentement et en 1992, une convention qui fut au point d'être signée, échoua. La suppression des contrôles aux frontières internes manqua également, et l'achèvement du marché intérieur en 1992 fut raté.

L'accord de Schengen fut tout d’abord une entente en marge des institutions

Deux initiatives parallèles permettaient ensuite de sortir de l'impasse. La première fut l'Accord de Saarebruck, signé entre l'Allemagne et la France en 1984. Cet accord avait pour but de faciliter la libre circulation des citoyens. Les pays du BENELUX proposaient immédiatement de monter à bord. C'est ainsi que l'Accord de Schengen fut signé en 1985 entre les cinq pays. Les mesures de compensation introduites concernaient surtout les questions d'asile et de l'immigration. "Schengen créa donc un système coordonné de mesures compensatoires", explique Charles Elsen. Parmi ces mesures, il y eut un visa commun, une coopération judiciaire renforcée, l’instauration du droit de suite pour les polices de pays limitrophes, des règles communes d’entrée sur le territoire, la création du Système d’information Schengen (SIS), etc.

De l'autre côté, les travaux au sein des Communautés européennes reprirent et aboutirent au Traité de Maastricht qui entra en vigueur en novembre 1993. Il introduit le système de piliers, dont un pilier appelé "Justice et les Affaires Intérieures" (JAI).

Les problèmes JAI étaient désormais traités dans une structure coordonnée. De plus, une nouvelle Direction générale fut créée au sein du Secrétariat général du Conseil de l'Union européenne. Charles Elsen fut nommé à sa tête et entama ses fonctions le premier mars 1994. Les défis majeurs qui l'attendaient à Bruxelles, raconte Charles Elsen, furent considérables. Il devait créer à partir de la petite cellule une Direction générale à part entière. Certains obstacles, comme la règle de l'unanimité, le droit d’initiative des Etats qui empêchait un véritable suivi des dossiers à cause des priorités changeantes au gré des présidences du Conseil, ainsi que les comités d’experts et les problèmes de langue compliquaient la besogne.

Le bilan de Maastricht fut néanmoins assez positif après les cinq premières années. En effet, de nombreuses conventions avaient été signées. Une des plus remarquables dans ce contexte est certainement celle qui donna à la coopération policière, bien réelle dans les faits, une base juridique et qui mena à la création d’Europol.

Le Traité d'Amsterdam et le Conseil de Tampere: des avancées considérables

"Mais le véritable saut qualitatif fut réalisé par le Traité d'Amsterdam", affirme l'ancien Directeur général. Entré en vigueur le premier mai 1999, il apporte des modifications substantielles, comme la création de la notion d'espace de liberté, de sécurité et de justice, ou l'intégration de Schengen dans le traité sur l’Union européenne.

La même année, le Conseil européen de Tampere, le premier Conseil européen à ne s’occuper exclusivement que des questions "JAI", fixa le cadre politique de la discussion sur la notion d'espace de liberté, de sécurité et de justice. Tampere concrétise les avancées de Maastricht.

A cette époque, l'on assiste également, sous l'instigation du commissaire portugais Vitorino à la création d'une nouvelle Direction générale à part entière au sein de la Commission. Les conclusions de Tampere aboutissent notamment à la création du service Eurojust. Cette unité est composée de procureurs et magistrats qui ont pour mission de "contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites et d’apporter son concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée."

En 2001, suite aux attentats terroristes aux Etats-Unis, le mandat d'arrêt européen est introduit au sein de l'Union et remplace l'ancienne procédure d'extradition. Le mandat d'arrêt européen, basé sur le concept de la reconnaissance et de la confiance mutuelle entre justices des Etats membres, permet que les procédures d'extradition ne passent plus par l’exécutif, mais qu’elles soient directement traitées entre les cours des Etats membres. Le mandat européen permet également l’extradition des nationaux pour 42 infractions pour lesquelles une seule incrimination est possible et reconnue valable pour toute l’Union européenne.Selon Charles Elsen, "le mandat d'arrêt européen est une des réalisations les plus importantes". Mais il reconnaît également que ce qui était possible dans un petit groupe de pays avec des systèmes judicaires à l’indépendance confirmée devient plus difficile au fur et à mesure que l’Union européenne s’agrandit vers des pays dont les systèmes judiciaires présentent tant de déficits qu’ils ont retardé l’adhésion de l’un ou l’autre de ces pays à l’Union européenne.

En 2004, le programme de Tampere fut remplacé par un plan d'action de La Haye qui définissait les objectifs pour les années à venir. "Baser ce programme sur le nouveau traité constitutionnel, alors qu'il n'était pas encore ratifié fut une erreur", reconnaît Charles Elsen. Malgré le blocage, quelques pistes de réflexion ont permis de faire des progrès, comme les concepts de l'évaluation ou de la disponibilité d’informations. Dans le domaine de la coopération policière, cette dernière permettait l'accès facilité aux informations d'un pays par un autre Etat-membre. Cette même idée avait été énoncée quelques années plus tôt par le ministre allemand de l’Intérieur de l’époque, Otto Schily, et avait abouti au Traité de Prum, une action intergouvernementale entre sept pays qui fut intégrée par la suite

"Si j'essaie de porter un regard global sur les résultats à ce jour, je dirai que la coopération judiciaire pénale et policière a fait des progrès évidents sinon remarquables dans plusieurs domaines", conclut Charles Elsen la deuxième partie de son exposé.

Le Conseil de l'Union européenne: un organe discret mais important

Finalement, Charles Elsen a relaté pour les étudiants le fonctionnement vu de l’intérieur du Conseil de l'Union européenne. "Le Conseil", dit-il, "est la moins visible et la plus discrète des trois institutions intervenant dans le processus décisionnel." Le rôle du Conseil dans ce processus est celui d'arrêter les directives, les règlements et les décisions préparées par la Commission. Il le fait soit seul, soit en codécision avec le Parlement européen. Il dispose d'un nombre impressionnant de groupes de travail: environ 200 interviennent à tous les niveaux. Le comité de représentants permanents (COREPER) joue un rôle essentiel dans la mesure où il procède aux échanges de vues et négociations entre Etats membres sur les dossiers en cours avant les travaux des ministres.

L'organisation du Conseil se fait à l'heure actuelle par une présidence tournante d'une durée de six mois. Mais c'est le Secrétariat général qui est l'organe le plus remarquable du Conseil européen, et qui lui donne son véritable caractère d'institution. Il dispose aujourd'hui d'environ 3000 fonctionnaires et a la charge de préparer les travaux du Conseil.

Après l'impasse dans laquelle se trouvait l'Union européenne après les deux "non" français et néerlandais au referendum au traité constitutionnel, après "la sieste institutionnelle" de deux ans selon le bon mot de Jean-Claude Juncker, "les contours d'une solution définitive se sont dessinés ce mois-ci à Lisbonne", affirme Charles Elsen.

Les hommes politiques, conclut-il ne s’affolent pas lorsque l’Europe se trouve en phase de crise, car ils savent qu’à une impasse suit toujours une période de progrès. L’Union européenne a fait de grands efforts dans les domaines de la coopération judiciaire pénale et policière. Selon Elsen, ce sont surtout l’abolition des contrôles aux frontières intérieures et l’introduction de l’euro qui constituent de véritables avancées dont profitent les citoyens européens.