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Élargissement - Europaforum
Forum Citoyens sur l'ouverture du marché du travail - au Luxembourg, pays d’immigration, l’intégration des nouveaux arrivants d’Europe centrale et orientale doit être préparée
16-11-2007


Le 1er novembre 2007, le marché du travail du Luxembourg a été ouvert aux ressortissants de l'Europe centrale et orientale (Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie et Slovénie).

A cette occasion, le Bureau d'Information de Luxembourg du Parlement européen avait invité le jeudi 15 novembre 2007 à l'Abbaye de Neumünster à un Forum Citoyens sur cette question.

Les intervenants furent François Biltgen, ministre du Travail et de l'Emploi, Nicolas Schmit, ministre délégué aux Affaires étrangères et à l'Immigration, Astrid Lulling, Lydie Polfer, Jean Spautz et Claude Turmes, membres du Parlement européen, Paul Helminger, bourgmestre de la Ville de Luxembourg, Ben Fayot, président de la commission des affaires étrangères et européennes, de la défense, de la coopération et de l'immigration à la Chambre des députés et Ernst Moutschen, chef de la Représentation de la Commission européenne à Luxembourg.

Le débat était animé par Marco Goetz, journaliste spécialisé en affaires européennes.

Lydie Polfer : la nécessité du dialogue avec les citoyens

La députée européenne Lydie Polfer intervint d’abord en signalant que le marché du travail, luxembourgeois, en pleine expansion, comptait 311 000 emplois salariés (plus de 22 000 emplois nouveaux en 3 ans), dont 97 000 seulement étaient occupés par des Luxembourgeois. Si le marché du travail a été ouvert maintenant aux citoyens de 8 nouveaux Etats membres, c’est qu’il y existe un grand besoin en personnel qualifié et que la place financière entre autres ne veut pas laisser cette chance. En même temps, le chômage, qui touche les personnes les moins qualifiées, n’a pas baissé. D’où la nécessité d’entamer un dialogue avec les citoyens.

François Biltgen : "l’Europe sociale n’est pas protectionniste"

Le ministre du Travail et de l’Emploi, François Biltgen, était d’avis que cette mesure d’ouverture était bonne pour l’Europe et lançait aux nouveaux Etats membres le message que l’Europe sociale n’était pas protectionniste, comme souvent on le craint là-bas. La mesure d’ouverture est bonne aussi pour un marché du travail qui croît très vite et qui est attractif pour une main d’œuvre qualifiée.

Nicolas Schmit : "On est loin du rush"

Nicolas Schmit, le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration, fut de son côté d’avis que la mesure d’ouverture a été prise au moment politique juste en faveur de pays qui viennent de rejoindre l’espace Schengen. Il livra ensuite quelques chiffres. 655 demandes de personnes de ces pays pour obtenir un permis de travail ont été adressées avant la mesure d’ouverture aux autorités, 430 ont été acceptées. On est donc loin du rush que certains font craindre. 67 de ces demandes ont été acceptées pour le secteur financier, en tête des secteurs. Les autres réponses positives sont surtout allées à des emplois dans le secteur HORECA et l’agriculture, des secteurs où les mesures d’engagement avaient déjà été assouplies.

La députée européenne Astrid Lulling a souligné combien l’apport des salariés polonais était positivement jugé en Suède, au Royaume Uni et en Irlande et qu’il ne fallait donc rien craindre. Son collègue Jean Spautz évoqua l’intense activité d’investissement des pays de l’Europe de l’Ouest dans les nouveaux Etats membres et la forte croissance économique qu’elle avait engendrée.

Claude Turmes : préparer la société luxembourgeoise à de nouveaux changements

Claude Turmes, le député européen des Verts, posa la question pourquoi le Luxembourg n’avait pas déjà ouvert avant son marché du travail. Pour lui, cela a à voir avec l’émergence d’une tendance nationaliste dans l’opinion publique luxembourgeoise qui s’est manifestée à travers le « non » au référendum et dans la polémique autour du drapeau national. Il a rappelé que l’on va faire appel à de la main d’œuvre et que ce sont des êtres humains qui vont venir au Luxembourg. Pour lui, le problème sera la cohésion sociale et les débats sur l’identité qu’elle créera, quand il faudra vivre ensemble avec ces personnes, de sorte qu’il faudra préparer la société luxembourgeoise à ces changements.

Pour le député Ben Fayot, la mesure d’ouverture était inéluctable après 2009 et il trouve juste qu’elle ait été prise avant 2009. Il n’y a rien à craindre selon lui, vu la surchauffe des marchés du travail dans les nouveaux Etats membres.

Pour Paul Helminger, qui prit la parole en sa qualité de bourgmestre de la Ville de Luxembourg, "une entreprise de services de 3 200 salariés", le problème majeur n’est pas de faire venir ces personnes, mais de leur donner un sentiment d’appartenance à la société luxembourgeoise.

Ernst Moutschen, chef de la Représentation de la Commission européenne à Luxembourg, salua quant à lui tout ce qui mène à plus de liberté de circulation des personnes et des travailleurs, comme le traité de Rome le veut depuis 1957.

Le débat : "le Luxembourg est un pays d’immigration et nous devons notre situation économique et sociale au travail des immigrés" (Nicolas Schmit)

Lors du débat, la question fut posée comment les responsables politiques allaient aborder la question de l’intégration des nouveaux venus, une intégration qui sera lente, et comment ils allaient réagir lorsqu’il y aura des poussées xénophobes. Nicolas Schmit estima qu’immigration et intégration doivent aller de pair. En même temps, celui qui immigre doit amener une disposition à s’intégrer. Selon le ministre, la société doit être préparée à ce débat et un climat doit être créé qui met en évidence "que le Luxembourg est un pays d’immigration et que nous devons notre situation économique et sociale au travail des immigrés."

Le rapport Calot avait mis en garde dans les années 70 que le Luxembourg se casserait économiquement si la baisse démographique continuait. C’est l’immigration qui a largement compensé le déficit démographique et dès les années 80, le pays a pris son envol économique. "L’intégration ne se décrète pas, mais la politique peut créer des conditions qui la favorisent", a déclaré le ministre. "Mais la bataille n’est pas gagnée. Surtout pas chez les jeunes qui perçoivent souvent l’immigration comme une menace."

François Biltgen répondit ensuite positivement à une question sur la publication des emplois luxembourgeois dans des réseaux européens. "Mais ce n’est pas ce genre de publication qui déclenche des grandes migrations vers le Luxembourg. L’intégration commence dès les processus de travail, et là, la langue favorise ou bloque le projet d’émigration. En plus, pas tout le monde ne quitte son pays, sa région pour trouver un emploi ailleurs."

Nicolas Schmit dut répondre à plusieurs questions en relation avec les travailleurs de pays tiers et expliquer que la préférence communautaire est un élément du droit européen auquel le Luxembourg ne peut pas déroger.

L’école fut un autre élément du débat. Ben Fayot trouva que les Luxembourgeois pouvaient eux aussi contribuer à l’intégration en maintenant leurs enfants dans les écoles publiques. Paul Helminger fit état des succès de l’éducation précoce, où les enfants apprennent dès leur plus bas âge le luxembourgeois, mais souligna les difficultés à intégrer et à qualifier les enfants entre 12 et 18 ans qui arrivent en cours de route.

Pourquoi le marché du travail n’a-t-il pas été ouvert aux ressortissants de la Bulgarie et de la Roumanie ? Nicolas Schmit informa que les Bulgares et les Roumains pouvaient déjà venir travailler dans les secteurs de la HORECA et de l’agriculture, mais qu’ils ne bénéficiaient pas encore de l’ouverture intégrale. Au Luxembourg, l’élargissement n’est populaire qu’auprès d’un quart de la population. Et d’autres élargissements vont encore venir, vers la Croatie, vers la Turquie surtout, dont l’adhésion pose problème à de nombreuses opinions publiques en Europe. Il faudra donc expliquer encore plus à la population que l’élargissement est positif pour l’Union européenne. La question de l’ouverture du marché du travail aux Roumains et aux Bulgares va se poser après 2009. "Et je suis sûr que ces deux pays n’iront pas jusqu’au bout de leurs dérogations", préconisa le ministre

François Biltgen ajouta que tout cela était un problème d’acceptation "qu’il ne faut pas négliger", d’autant plus que le Luxembourg agit ici autrement que ses voisins allemands, belges et français.

Lydie Polfer, très marquée par "le scepticisme, voire le rejet des jeunes", insista elle aussi sur le fait qu’il faudra du temps pour que la société s’adapte à la nouvelle situation.

Pour Astrid Lulling, sa ville Schifflange, avait, malgré deux députés syndicalistes à la Chambre des députés, et deux députés au Parlement européen, voté "non" lors du référendum de 2005, ceci parce que les citoyens luxembourgeois trouvaient selon elle qu’ils étaient submergés par des immigrés non intégrés et se sentaient menacés dans leur identité. D’où sa position en faveur d’une "immigration contrôlée".

Ben Fayot : "C’est formidable comment nous vivons avec les étrangers"

Ben Fayot conclut le débat en relatant comment les habitants du Luxembourg avaient toujours eu l’expérience des étrangers et qu’il y avait eu, à chaque nouvelle vague d’immigration, qu’elle ait été italienne, allemande, polonaise et silésienne ou portugaise, des tensions pour vivre ensemble. "Ce qui me dérange le plus dans un pays qui a acquis par son ouverture et par l’Union européenne un niveau de vie si élevé, c’est qu’il puisse encore y avoir des problèmes d’identité. (..) Cette discussion, oui cette manie de l’identité, de la langue luxembourgeoise, de l’affirmation de soi, ce n’est pas bien. Jamais la langue luxembourgeoise ne s’est aussi bien portée. Il y a des romans, des opéras, des films en luxembourgeois, sans qu’il y ait un appel à l’identité. C’est formidable comment nous vivons avec les étrangers. De grâce, il faut cesser de croire que nous allons perdre notre identité."