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Justice, liberté, sécurité et immigration
Conférence-débat de Caritas sur les flux migratoires au 21e siècle : Nicolas Schmit et Martina Liebsch d’accord sur l’analyse du phénomène, pas toujours d’accord sur la façon de l’aborder concrètement
05-12-2007


Nicolas Schmit, Martina LiebschLe 4 décembre 2007, la Fondation Caritas a organisé dans le cadre de son 75ème anniversaire une conférence-débat sur l’organisation des flux migratoires au 21e siècle, qui a mis face-à-face Nicolas Schmit, ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration et Martina Liebsch, présidente de la Commission "Migrations" de Caritas Europe.

Les différentes facettes du phénomène migratoire

Quel est l’état des flux migratoires en ce début du 21e siècle ? Pour Nicolas Schmit et Martina Liebsch, les flux migratoires se sont mondialisés. La quasi-totalité des pays sont concernés à des degrés divers par ces phénomènes qui ont toujours existé et ne constituent pas une exception dans l’histoire. Aujourd’hui, environ 350 millions de migrants existent dans le monde, dont la moitié sont des femmes. "Cette migration ne doit pas être considérée comme une menace mais plutôt comme une chance pour une Europe dont le vieillissement démographique posera problème", a souligné Nicolas Schmit.

Pour Martina Liebsch, le traitement de ces populations sera "à la fois un indicateur et un test" qui permettra d’évaluer si les valeurs fondamentales sont respectées en Europe.

Comment organiser les migrations au 21e siècle ?

Pour Nicolas Schmit, l’Union européenne n’a pas encore formulé de réponse globale à cette question. "C’est là où l’Europe se cherche", a-t-il estimé. Différentes initiatives ont été formulées au niveau européen pour attirer les personnes hautement qualifiées en Europe (directives européennes, l’idée d’une carte bleue par analogie à la carte verte aux Etats-Unis). Sur le long terme, ces initiatives ne constituent ni pour Nicolas Schmit ni pour Martina Liebsch, une solution réaliste car elles provoquent une pénurie des qualifications et une fuite des cerveaux dans certains secteurs des pays d’origine.

Pour Martina Liebsch, une politique "cohérente, proactive qui soit respectueuse des droits de l’homme", s’impose. Elle a appelé de ses vœux une "migration légale, sûre et qui s’élabore en respectant les choix des migrants".

La migration pour des raisons politiques

Les motifs qui poussent les populations à émigrer sont, selon Schmit, de deux ordres : politiques et économiques. La migration pour des raisons politiques concerne des populations qui ont fui leur pays d’origine à cause de conflits armées ou de persécutions. Depuis quelques années, ce type de migration est en recul. L’explication réside selon Nicholas Schmit "dans des règles plus restrictives dans les procédures d’octroi du statut de réfugié politique".

La migration pour des raisons économiques

Autre motif qui pousse les populations à immigrer : la pauvreté qui va souvent de pair avec un certain malaise des jeunes vis-à-vis du pays d’origine. Pour Nicolas Schmit, ce type de migration, qui est le plus répandu dans le monde, trouve son origine dans le phénomène "du village planétaire", une expression empruntée à Marshall McLuhan. D’après la thèse développée par le sociologue canadien, les mass médias réduisent le monde à un village global. Les images télévisées en provenance de l’Occident sont diffusées dans le monde entier où elles véhiculent l’image d’un Eldorado occidental qui offre des meilleures conditions de travail, des salaires plus élevés et plus de libertés. Selon Nicolas Schmit, c’est cet imaginaire migratoire qui incite les populations à quitter leur pays d’origine.

Une politique d’immigration doit aller de pair avec une politique d’aide au développement

Comment peut-on endiguer durablement ces flux migratoires ? "En s’attaquant aux causes de cette immigration", a suggéré Nicolas Schmit. Selon le ministre, il faut anticiper les flux migratoires en menant une politique d’aide humanitaire pour soutenir le développement local. Il faut aider les pays à créer les conditions qui leur permettent de retenir leurs populations sur place en améliorant les perspectives de vie de ces populations et en réduisant les écarts de vie qui existent entre les pays du Sud et du Nord.

De même, Martina Liebsch, a souligné que l’aide au développement est un instrument qui "permet de réduire les flux migratoires forcés". Selon elle, il faut investir dans le développement économique de ses pays, en commençant par l’éducation au développement et en impliquant davantage la société civile.

Dialogue de coopération étroit avec les pays d’origine et de transit

Nicolas Schmit s’est également exprimé en faveur d’un dialogue de coopération étroit avec les pays d’origine et de transit. "Ce n’est pas uniquement en contrôlant les frontières qu’on peut organiser l’immigration illégale", a jugé Nicolas Schmit. Martina Liebsch a souligné la nécessité d’améliorer l’information dans les pays d’origine sur les possibilités qui existent pour immigrer légalement et les risques d’une immigration illégale.

La migration circulaire

Sur ce concept de la migration circulaire, les avis des deux intervenants étaient très partagés. Pour Nicolas Schmit, le concept de la migration circulaire peut être une solution car il propose " un système de migration plus flexible et plus ouvert". Cette migration permet de mettre en place un système de migration légale qui faciliterait à la fois la maîtrise et l’organisation des flux migratoires en prévoyant la possibilité pour un immigré de venir, durant une durée limitée et selon les besoins du marché, travailler en Europe. Durant ce temps, le migrant pourra acquérir une expérience professionnelle qu’il pourra valoriser lorsqu’il rentrera dans son pays d’accueil. La migration circulaire n’exclut toutefois pas la possibilité d’un retour au pays d’accueil et accorde la priorité aux anciens immigrants pour obtenir un nouveau permis de séjour en vue d’un nouvel emploi temporaire.

Martina Liebsch, de son côté, a pointé les nombreuses faiblesses de ce concept. Pour elle, la migration circulaire "correspond au vieux concept du "Gastarbeiter" en allemand ou "Friemarbechter" en luxembourgeois dans de nouveaux habits". Comme à l’époque des Gastarbeiter, on oublie souvent que ces populations ne sont pas seulement une main d’œuvre mais qu’il s’agit d’hommes, de femmes avec une histoire et des traditions. "Quelle conséquence cette migration aura-t-elle sur les nombreuses familles des migrants ?", s’est-elle interrogée.

Une autre critique qui à été formulée par Martina Liebsch est que ce type de migration encourage la mobilité des personnes hautement qualifiées en excluant les autres couches de la population. Dans ce contexte, Martina Liebsch a pointé du doigt le discours paradoxal qui est tenu au niveau européen : "On encourage la mobilité des personnes hautement qualifiées. Mais, lorsqu’il s’agit de d’envisager cette mobilité dans un contexte plus large, on instaure toutes sortes de barrières".

Les transferts d’argent

Les transferts d’argent des immigrés vers leurs pays d’origine sont un aspect rarement abordé dans les discussions publiques sur l’immigration. Nicolas Schmit a révélé des données qui montrent que le montant de ces transferts financiers dépasse le montant de l’aide au développement. Mais seulement une part restreinte de ces transferts va vers des investissements productifs. L’affectation de "cette source de richesse énorme", doit selon le ministre Schmit, "être mieux organisée".

Il a proposé d’utiliser ces transferts à des fins de développement. Pour ce faire, il faut d’abord que les banques fournissent à leurs clients "des frais honnêtes et non pas confiscatoires". Ensuite, "il s’agit de canaliser cet argent vers des projets plus concrets en finançant, par exemple, des microcrédits qui créent de l’activité et des emplois dans leur pays d’origine", a-t-il suggéré.

L’idée des "migrants comme acteurs du changement" doit selon Martina Liebsch être poursuivie. Elle a cité dans ce contexte un projet ambitieux de Salvadoriens aux Etats-Unis qui ont récolté des fonds pour financer la construction d’un puits dans leur pays d’origine.

La question de l’intégration

En matière d’immigration, les décideurs politiques sont parfois confrontés à des situations paradoxales. "Soit on permet aux gens de travailler au Luxembourg et on nous reproche de favoriser la fuite des cerveaux, soit on incite les populations à retourner dans leur pays d’accueil et on nous reproche de construire une forteresse autour de l’Europe", a regretté Nicolas Schmit

La migration ne se réduit toutefois pas pour Nicolas Schmit au facteur économique. La question touche aussi à des questions d’intégration. "L’intégration est un investissement de la société d’accueil. Car une société qui marginalise, qui ignore ses migrants, c’est une société qui met en cause sa cohésion sociale", a-t-il tenu à préciser.

"Est-ce qu’il n’est pas temps de mettre en œuvre le principe de l’égalité des droits de l’homme. Pourquoi pense-t-on toujours que les immigrants ne veulent pas s’intégrer", s’est interrogée Martina Liebsch. Selon elle, nos sociétés demandent souvent plus d’efforts aux migrants qu’à la population autochtone. Elle a exigé "que l’on traite les immigrants comme nous voulons que nos compatriotes soient traités à l’étranger".

Nicolas Schmit et Martina Liebsch n’étaient pas toujours d’accord sur les instruments à mettre en œuvre en Europe. Mais, ils ont partagé une vision commune de l’immigration au 21e siècle. Dans cette vision, les immigrants ne sont plus considérés comme de la main d’œuvre, mais comme des êtres humains, des hommes et des femmes qui viennent chez nous avec des visons et des dons personnels.