Le vendredi 25 janvier 2008, l’Institut Pierre Werner (IPW) avait organisé une réunion de travail sur la mobilité culturelle dans la Grande Région.
Cette thématique est, selon les responsables de l’IPW "intrinsèquement liée à la conception de Luxembourg et Grande Région Capitale européenne de la Culture 2007 et renvoie également à une forte préoccupation de la Commission européenne qui a mis l’accent sur cet aspect dans sa Communication sur la culture."
En automne 2007, l’IPW avait lancé une enquête sur les pratiques culturelles dans la Grande Région qui portait sur la question de la mobilité des publics comme des artistes et professionnels de la culture. À cette occasion, il avait repéré un certain nombre d’acteurs (institut de sondages, équipes universitaires, agences culturelles, institutions artistiques) qui s’intéressent de près à cette problématique et qui en fonction de leurs moyens mènent des recherches qualitatives et/ou quantitatives.
L’objectif de la réunion du 25 janvier était de faire se rencontrer ces différents acteurs afin qu’ils se connaissent mieux, que des projets en cours soient identifiés et qu’il y ait un échange direct avec les professionnels de la culture sur les enjeux de la coopération transfrontalière. L’idée était aussi de pouvoir établir à moyen terme un état des lieux des différents dispositifs culturels (statut des artistes, système fiscal, régimes de sécurité sociale, possibilité de formation professionnelle) dans chacune des composantes de la Grande Région, ce qui permettrait de mieux repérer les freins à la mobilité mais aussi les solutions apportées par les institutions et porteurs de projets pour contourner ces difficultés.
Pour Sandrine Devaux de l’IPW, la Grande Région est un laboratoire, "une sorte d’Union européenne en condensé où se cristallisent des problèmes qui touchent le cœur de la mobilité économique et culturelle".
Une première partie de la réunion était consacrée aux enquêtes en cours. Charles Margue et Thierry Wunsch de TNS-ILres présentèrent les premiers éléments d’une enquête menée dans un périmètre de 50 kilomètres autour de Luxembourg et dans le sillon mosellan. L’enquête montre que la notoriété d’une année culturelle qui liait Luxembourg et la Grande Région avait fortement augmenté en un an, que l’idée que la Grande Région avait une destinée commune avait augmenté légèrement, touchant plus d’un tiers de la population interrogée. 43 % es Luxembourgeois, ainsi que 17 % des Belges et des Français et 23 % des Allemands vivant dans la périphérie de Luxembourg avaient participé à une manifestation de l’année culturelle. Le nombre de ceux qui avaient visité une autre composante que la leur de la Grande Région en 2008 a aussi augmenté. Mais les motivations étaient d’abord le shopping, ensuite seulement la culture, et enfin le travail. 2 % des gens seulement avaient fait leur déplacement exclusivement à cause d’une manifestation de l’année culturelle.
Didier Salzgeber d’ARTECA qui s’entend comme un centre de ressources de la culture en Lorraine, mit en avant la mobilité transfrontalière du travailleur culturel dans l’Union européenne, car c’est là que se posent le plus de problèmes concrets. La mobilité est importante, mais elle est peu pratiquée dans les faits. Les travailleurs culturels sont « enclavés », il y a peu de démarches pour des partenariats et des coopérations avec d’autres structures. Et si des coopérations arrivent à se faire, elles réussissent souvent d’un point de vue pratique, mais ses porteurs n’en ont qu’une perception partielle et ne relient pas leur projet à la Grande Région ou à l’Union européenne. Il n’y a pas de définition d’un cadre commun. Chacun parle de sa mobilité, mais pas de son secteur dans la Grande Région. Cela débouche sur des actions locales qui ne sont que très peu souvent transfrontalières ou liées à la Grande Région ou à l’Union européenne, ou bien sur des actions de l’Union européenne qui n’ont pas d’assise locale. Didier Salzgeber pense que les acteurs culturels doivent réussir à sortir des questions purement techniques et aller vers une stratégie qui, en tenant compte au niveau de la Grande Région du principe de subsidiarité, assurerait le passage de la mobilité à une vision commune du développement culturel.
Les premiers éléments de l’enquête de l’IPW sur la perception de l’année culturelle par les publics de la Grande Région montrent de leur côté, que ce qui importe d’abord au public, ce sont les transports qui leur permettent d’arriver à et de rentrer des manifestations. Ce qui a le plus attiré et marqué le public, ce furent les grandes fêtes, ensuite les nouveaux espaces ouverts à la culture : les rotondes de Bonnevoie, les soufflantes de Belval. L’identification avec l’année culturelle par contre semble avoir été assez faible.
Cécile Bando et Gaëlle Crenn de la Maison des Sciences de l’Homme de Lorraine introduisirent un grand projet de recherche "Capitales culturelles et rayonnement transfrontalier". Là aussi, le constat doit être dressé que l’identification avec l’année culturelle, qui découle d’une démarche politique territoriale volontariste et qui est fortement marquée par un thème, est très faible. La communauté d’intérêts, la destinée commune de la Grande Région sont fortement relativisées. En Lorraine, les événements de 2007 ont touché un public qui a déjà l’habitude des pratiques culturelles, y compris transfrontalières, et n’a pas engendré de nouvelles pratiques. Les événements ont eu d’abord un impact local et n’ont pas été perçus en relation avec la Grande Région. Les médias de la Région lorraine n’ont joué qu’un rôle limité qui ne dépassait pas en général celui de l’agenda. Comme le disait un journaliste d’un des deux grands quotidiens lorrains présent dans la salle : "Luxembourg et Grande Région 2007 n’a pas provoqué assez d’engouement populaire pour que nous couvrions l’événement."
La deuxième partie de la réunion, consacrée aux obstacles à la mobilité des artistes et professionnels de la culture, fut introduite par Claude Frisoni, le directeur du CCR Neumünster, qui évoqua la "réalité très concrète des droits sociaux des travailleurs culturels". Il fit la différence entre le créateur indépendant et le travailleur culturel qui se trouve comme salarié ou de fait dans une relation de subordination avec un employeur. Une telle relation de travail doit aller selon Frisoni avec le droit à la protection sociale. "Reconnaître le travail des travailleurs culturels crée en même temps des gisements d’emploi." Ces droits doivent exister tant pour l’activité locale que pour l’activité transfrontalière.
Catherine Decker, du Ministère luxembourgeois de la Culture, exposa les grandes lignes de la législation luxembourgeoise sur le statut de l’artiste professionnel indépendant dont Claude Frisoni pense qu’elle est meilleure que dans les pays limitrophes tant pour els intermittents qui effectuent un peu plus de la moitié de leurs prestations au Luxembourg que pour les créateurs indépendants qui ont vécu deux ans au minimum au Luxembourg.
Deux créateurs, la metteur en scène luxembourgeoise Carole Lorang, et le créateur Quentin Drouet de l’association Arsenic ont regretté, chacun à sa manière, qu’il est difficile de recevoir des subventions nationales et de l’Union européenne qui ne soient pas liées au territoire sur lequel est localisée l’association qui les demande, ce qui rend la mobilité transfrontalière plus difficile.
Hervé Atamaniuk et Gunter Buth, directeurs des services culturels des villes de Sarreguemines et de Sarrebruck, soulignèrent les difficultés de la coopération transfrontalière entre deux villes voisines. Le premier s’entend comme un "contrebandier de la culture" sur une frontière qui fut pendant des centaines d'années une frontière de la mort, dont les coopérations se passent toujours à la limite de la légalité. Le deuxième estime que la culture est perçue par ses pairs comme un luxe, alors qu’elle relève de "l’indispensable", notamment dans l’éducation des tous petits. Il lutte pour que le français soit présent dans l’éducation dès les jardins d’enfants, et pour que l’éducation culturelle commence tôt, qu’elle soit durable et pratiquée sur une base large qui permette l’accès de tous à la culture.
La frontière perçue comme non comme une barrière, mais comme un tremplin, telle fut la conclusion de Sandrine Devaux pour cette réunion qui prélude à un travail à moyen terme qui devrait aboutir en juin 2008 à la tenue du 5e Forum européen de la culture et de la société que l’Institut Pierre Werner veut consacrer à la thématique de la mobilité des artistes et des professionnels de la culture dans l’Union européenne.