"Les défis de l’Europe du 20e siècle", tel était le sujet du débat qui a mis en face à face le 22 février 2008 des étudiants de l’Université du Luxembourg et des membres de la Commission des Affaires étrangères et européennes de la Chambre des députés ainsi que des membres du Parlement européen. Cette rencontre qui s’inscrivait dans le cadre du dialogue que la Chambre des députés a lancé sur le traité de Lisbonne, était l’occasion d’échanger des points de vue, sans langue de bois.
Le fossé qui continue d’exister entre les citoyens européens et l’Union européenne, l’Europe qui est conçue à l’extérieur comme une construction de "haut en bas", "des citoyens luxembourgeois qui se montrent divisées sur l’Europe et ses apports"…Les arguments qui ont été cités en guise d’introduction par Ben Fayot pour expliquer le besoin accru de discussion sur l’UE étaient nombreux.
Alexandre, un étudiant luxembourgeois a demandé ce qu’on pourrait faire concrètement pour rapprocher les citoyens de l’Union. La députée européenne libérale Lydie Polfer, a parlé dans ce contexte de l’hiatus qui existe entre l’imaginaire public des institutions européennes et la réalité sur le terrain, qui est, dans les faits, beaucoup plus proche des réalités des citoyens, même si cela n’est pas répercuté de manière adéquate dans l’espace public national.
Quels sont les avantages de l’UE ? "C’est l’ouverture au monde", pour l’étudiant du Cameroun qui a connu l’Europe à travers les médias, "la mobilité et l’ouverture des frontières" pour Jean-Xavier Malin, représentant des étudiants africains au Luxembourg.
Pour Xavier Bettel, député libéral, les grands moments de l’histoire de l’Union européenne sont des évènements comme l’ouverture des frontières, ou l’introduction de la monnaie unique. Aujourd’hui, je vais à l’étranger, je n’ai pas besoin de visa ni de passeport, je passe les frontières. Il y a trente ans, on ne pouvait pas imager cela", a-t-il expliqué.
Selon Felix Braz, député vert, la méfiance de certaines personnes face à l’Union européenne réside dans le fait que les décisions qui sont prises dans les institutions européennes ne sont souvent pas visibles au niveau national. Pour Braz, l’explication de ce phénomène réside dans le fait que le débat n’est mené qu’une fois les décisions au niveau européen ont été prises e t qu’il faut transposer. "Si l’on arrive à faire participer les députés nationaux de manière plus étroite au débat, alors on arrivera aussi à intéresser davantage les citoyens", a-t-il avancé. Selon le député vert, le traité de Lisbonne permettra d’améliorer la participation citoyenne et des parlements nationaux au débat.
Pour la députée européenne Erna Hennicot-Schoepges, il existe déjà des possibilités pour les citoyens à participer au débat européen. Elle a indiqué que les séances plénières du Parlement européen peuvent par exemple être suivies en direct sur le site Internet du Parlement européen. "On peut ainsi suivre en direct les vieux recyclés au PE", a-t-elle rajoutant, en faisant allusion à l’allégation de Xavier Bettel.
Laurent Mosar a estimé que "si nous sommes honnêtes, nous n’avons pas encore trouvé la solution magique comment rapprocher les citoyens de l’Europe". Selon Mosar, il faudra encore plus expliquer aux citoyens l’apport concret de l’Union européenne dans leur vie de tous les jours.
Un étudiant français est intervenu pour livrer sa vision d e la relation du citoyen avec l’Union européenne : "Pour aimer l’Europe, il faut la vivre !", a-t-il affirmé. "Mais, pour la vivre, il faut se déplacer, et tout le monde n’a pas les moyens pour le faire", concéda-t-il.
Les questions abordées ont touché l’aide au développement, la mobilité estudiantine dans l’espace Schengen et l’aide au développement. "La plupart de ces domaines relèvent de la compétence des Etats membres. L’UE se contente souvent d’appuyer les politiques des Etats membres", a tenu à préciser Ben Fayot. D’où un certain "flou" et une disposition des citoyens à rendre l’UE responsable alors qu’en réalité elle n’a de compétences que celle s qui lui sont conférées explicitement par les traités. Seule exception : la politique d’immigration. Dans le traité de Lisbonne, les prérogatives de l’UE dans le domaine de l’immigration ont été considérablement renforcées. Selon Fayot, cet exemple illustre "que l’UE est capable d’évoluer en fonction des problèmes qui se posent".
Une étudiante s’est informé sur la concrétisation du processus de Bologne qui a été signé en 1999 entre 26 Etats avec l’objectif de construire un espace européen de l’enseignement supérieur. La députée européenne Erna Hennicot-Schoepges, qui était à l’époque ministre de l’Education nationale, a dressé un tableau plutôt pessimiste en estimant que le "processus de Bologne n’a pas conduit à plus de mobilité, ni des étudiants européens ni de ceux venant des universités des pays tiers". La réalisation de cet espace bute selon la députée européenne sur trois obstacles majeurs : le financement des universités, le problème du financement des études, même si les bourses sont mobiles et celui du statut des étudiants qui limite leurs heures de travail pour se payer des études, et l’harmonisation des cycles d’études entre universités.
Un étudiant souleva ensuite la question du traité constitutionnel, qui a échoué en 2005. "La raison de son échec, serait-ce parce qu’il est intervenu trop tôt ?", s’est il demandé.
Pour Ben Fayot, le président de la Commission des Affaires étrangères, la Constitution n’était pas venue trop tôt. Deux raisons expliquent selon lui l’échec du Traité constitutionnel. "Après l’élan des années 2001-2003, qui avait suscité l’idée d’élaborer une telle Constitution suite au traité de Nice, il y a eu du côté des Etats membres un arrêt de la volonté d’intégration", a-t-il dit.
Un autre phénomène, peut selon Ben Fayot, expliquer l’abandon du traité constitutionnel : "Il faut savoir que dans chaque Etat membre, l’Europe s’est faite sur la base d’un consensus entre les partis chrétiens-démocrates, sociaux-démocrates et libéraux. Une fois que ce consensus ne fonctionne plus, comme en France en 2005, il n’y a plus de possibilité à faire passer le texte".
Répondant à une question d’un étudiant sur le rôle du président du Conseil européen qui est une des nouvelles fonctions créées par le traité de Lisbonne, la députée européenne Lydie Polfer a d’abord constaté que le traité ne contenait pas de définition précise des tâches de ce président. Le Conseil européen, souligna-t-elle, n’a jamais été jusque là une institu tion, mais une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement qui a lieu quatre fois par an. De cette réunion sont issues de grandes décisions et orientations politiques, mais aucune de ces décisions n’a eu un caractère juridiquement contraignant. La Commission européenne seule est habilitée à faire des propositions. Et c’est le Conseil et le Parlement européen, au sein desquels ces propositions sont discutées et amendées, où les décisions législatives sont prises. "Quel pouvoir aura donc demain ce président du Conseil européen ? Sur quelle administration pourra-t-il s’appuyer, puisqu’il ne pourra pas recourir comme les présidents actuels du Conseil europ éen aux services de leurs administrations nationales pendant leurs présidences respectives?"
Quant à une éventuelle accession de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, l’ancienne ministre luxembourgeoise des Affaires étrangères fut très claire : "Quelqu’un qui a tout fait pour que la Charte des droits fondamentaux ne fasse pas partie du traité européen et qui a œuvré pour que la Charte ne soit pas appliquée à son p ays, quelqu’un qui a œuvré pour l’opt-out sur l’acquis de Schengen et qui na pas œuvré pour que son pays entre dans la zone euro ne peut pas devenir président du Conseil européen. S’il le devenait, la crédibilité de l’Union en serait durement affectée. Ce serait une contreperformance pour l’Europe."
Plusieurs questions des étudiants se rapportèrent à l’identité nationale et à la dimension sociale de l’Europe. Le député Félix Braz ne croit pas que l’identité nationale se perde sous les coups de l’Europe. Il pense plutôt que les identités évoluent, changent. Sa recette : "Il faut répondre aux craintes concernant l’identité nationale non pas en les confirmant, mais en les réfutant en travaillant ensemble en Europe."
Lydie Polfer comprend quant à elle l’Union européenne comme une réponse aux "nationalismes meurtriers qui ont fait tant de mal au continent". Elle voit renaître ci et là des réflexes nationalistes qui suscitent, comme dans un cercle vicieux, d’autres réactions nationalistes. L’Union européenne est là pour les empêcher en basant son ac tion sur le compromis. Le compromis n’est pas pour elle la moins mauvaise des solutions, mais une décision prise après que tout le monde s’est écouté mutuellement et a compris les problèmes des autres.
Ben Fayot a regretté que la dimension sociale reste encore largement en Europe du domaine des compétences nationales. A la longue, pense-t-il, il y aura un déséquilibre entre volonté d’intégration économique et l’intégration sociale et culturelle de l’Europe, qui sont des éléments essentiels du vivre-ensemble dont il faudra plus tenir compte dans le futur de la construction européenne.
Un vif débat eut lieu sur les délocalisations, comme celle qui a touché les salariés de l’usine Nokia à Bochum, qui sera remplacée par une usine en Roumanie. Un étudiant français se demandait comment l’Europe pouvait accepter une telle chose. Une étudiante roumaine lui répliqua que cette façon de procéder était compatible avec les règles de l’économie et du marché intérieur, dont la Roumanie faisait dorénavant partie, et que des firmes allemandes avaient dans le temps largement délocalisé des usines de leur pays d’origine vers l’Espagne. Un autre étudiant rappela que des craintes similaires avaient déjà faire le tour de l’Europe en 1986 lors de l’adhésion de l’Espagne et du Portugal, mais que les équilibres s’étaient vite rétablis. Même son de cloche de la part d’un étudiant tchèque qui argumenta que le marché du travail de l’Union européenne n’était pas celui de la Chine et que bientôt de nouveaux équilibres allaient s’établir. Le député Goerens, qui déplorait le sort réservé aux salariés de Nokia Bochum, rappela que la Roumanie, c’est l’Union européenne, et que les plus-values générées en Roumanie circuleraient en Europe.