Principaux portails publics  |     | 

Éducation, formation et jeunesse
Melting Pot ou comment des lycéens abordent les frontières physiques et morales de l’Europe
15-02-2008


Les lycéens du Melting PotDans le cadre des projets qu’ils sont censés monter au cours de leur classe de 12e, 5 élèves du Lycée technique Michel Lucius (LTML) ont décidé en novembre 2007 de conduire une réflexion sur l’identité, les frontières et l’intégration européenne. Cette réflexion impliquerait des camarades d’école et des adultes à l’extérieur de l’école. Comme partenaires, ces jeunes ont choisi le Ministère des Affaires étrangères et Europaforum.lu.

Le 15 février 2008, ils ont présenté les résultats de leur enquête à une centaine de leurs camarades en présence de nombreux enseignants et de la direction du LTML, curieux de les entendre, au cours d’une conférence animée par Jakub Adamowicz, journaliste du Wort.      

Les frontières selon Naida, Giuseppe, Liridon, Marco et Medeni

Pourquoi la frontière ? C’est que Naida, Giuseppe, Liridon, Marco et Medeni en ont fait l’expérience, chacun à sa manière.

Naida, qui est de Sarajevo, est venue au Luxembourg à l’âge de 4 ans en 1995 avec sa mère et son frère, alors que la guerre en Bosnie battait encore son plein et que son père était engagé comme soldat dans l’armée bosniaque. Elle n’a connu comme enfant que la guerre, le siège de sa ville, les frontières fermées, les queues pour les visas. Au Luxembourg, petite fille, son père lui manquait évidemment et elle en souffrait, mais la frontière du Grand-Duché était sa protection, et aujourd’hui elle est d’avis que ce pays est "un super-pays où je me sens bien".

Giuseppe est d’origine italienne et estime surtout qu’il vit de manière permanente entre deux cultures, la luxembourgeoise et l’italienne. Pour lui, la nationalité "n’est qu’un morceau de papier". Les frontières sont dans la tête. La frontière, c’est l’inconnu. Quand il va à Naples, d’où vient sa famille, il constate qu’il y a "peu de mixité culturelle". Ses grands-parents ne seraient par exemple pas très heureux s’il avait une petite amie de couleur. "Mais moi, je suis différent. Je vis avec des jeunes de toutes les origines. J’ai une autre expérience. Les frontières psychologiques existent quand il n’y a pas d’expérience des autres."

Liridon est venu au Luxembourg il y a 13 ans, fuyant le Kosovo avec sa famille, parce que "les Serbes nous faisaient vivre dans l’insécurité et muselaient la liberté d’expression." Sa famille a rejoint le Luxembourg pour « un autre futur » et y a ressenti la liberté. Néanmoins, cette liberté et cette sécurité n’arrivaient pas à chasser l’angoisse, quand entre 1998 et 1999, les siens n’avaient pendant la guerre du Kosovo des mois durant pas de nouvelles d’une partie de la famille. Il est content que le Kosovo va être indépendant, sachant qu’une nouvelle frontière se créera ainsi. "Mais c’est pour sortir de l’impasse que constitue un Kosovo faisant partie de la Serbie."

Marco est portugais. "J’ai en moi une âme portugaise et une âme luxembourgeoise", dit-il en ajoutant : "La communauté portugaise au Luxembourg est si grande qu’il ne fait pas pour moi beaucoup de différence d’être au Luxembourg ou au Portugal. C’est d’ailleurs ici que je connais plus de monde. Venir au Luxembourg, c’est traverser une frontière positive. Pour le reste, je ne sens pas les frontières en Europe, à fortiori pas entre le Luxembourg et le Portugal." 

Medeni est luxembourgeois d’origine kurde. Son père et son oncle ont été tués, sa sœur a été touchée par une balle dans leur jardin. Pendant 6 mois, il a traversé de nombreuses frontières avec sa mère en avion, en train, en bateau, à pied, en voiture pour arriver au Luxembourg. Le sentiment principal que lui inspire le pays : la sécurité.

L’enquête de Melting Pot

Ce sont ces jeunes-là qui sont allés dans leurs classes pour demander à leurs camarades de témoigner et de les aider à trouver d’autres témoignages en dehors de l’école. Ils ont mené avec des volontaires plus d’une vingtaine d’interviews qu’ils ont en partie retracés sur vidéo. A cette fin, ils ont travaillé sur un questionnaire dont la rédaction était aussi dictée par le respect de la personne humaine, une valeur pour eux essentielle. Ils ont donc fait attention à ce que les gens ne soient pas classés par nationalité et ont tenu compte de leurs sentiments et réticences.

Ils ont pourtant pu arriver à a monter une vidéo où s’exprimaient des tas d’opinions différentes sur les frontières physiques entre pays, des frontières qui séparent, mais qui aident aussi à s’orienter, sur les raisons qui poussent quelqu’un à franchir des frontières pour des raisons politiques ou économiques. Autres sujets : les frontières sociales entre riches et pauvres, les frontières à la promotion sociale, les frontières entre Luxembourgeois et étrangers ("ça se passe plutôt bien avec l’intégration" ou bien "ça se passe plutôt bien avec l’intégration, sauf avec les Africains"), les frontières en Europe ("la nouvelle Europe, c’est un nouveau monde, surtout si on y ajoute la Russie et la Turquie" ou bien "à l’intérieur des frontières de l’Union européenne, et malgré les différences, nous avons une conception similaire de la loi et de la morale" ou bien "nous pouvons facilement profiter d’un tas de produits et de services").

Premières conclusions

Quelques conclusions furent donc tirées par le groupe Melting Pot : les frontières peuvent protéger les réfugiés, elles peuvent être amicales et harmonieuses, mais elles peuvent aussi être meurtrières quand elles séparent ou sont contestées. Elles peuvent être psychologiques et générer des discriminations. Les frontières sont donc physiques, psychiques, sociales, religieuses, personnelles et imaginaires.

MenedinLe débat

Sur une telle base s’engagea ensuite un débat sur les raisons qui amènent les hommes à construire, voire maintenir des frontières aussi bien géographiques que psychologiques.

Jakub Adamowicz, a introduit à la discussion en évoquant le phénomène de la mondialisation, un phénomène qui est souvent perçu de manière positive. Mais chez certains le phénomène de la mondialisation, dont l’abolition des frontières au sein de l’Union européenne est un exemple, suscite des craintes.

"Pour connaître l’autre, il faut d’abord le reconnaître"

Pour Guiseppe, c’est la peur de l’inconnu qui pousse les hommes à ériger des frontières autour d’eux-mêmes ou à maintenir celles qui existent déjà. Selon lui, une frontière permet également à l’individu de se positionner face à l’autre. A titre d’illustration, il a nommé la réticence des citoyens européens face à une adhésion de la Turquie à l’Union européenne. "Les différences culturelles et religieuses sont les raisons de leur crainte", a-t-il affirmé. 

Une élève a pris la parole, en contredisant les initiateurs du projet. Selon elle, ce sont les étrangers qui devraient plus se conformer aux coutumes et traditions luxembourgeoises. Elle considérait que les étrangers qui vivent au Luxembourg ne respectent pas assez la culture autochtone.

"Nous faisons beaucoup d’efforts, faites aussi un pas vers nous !"

Les participants du groupe Melting Pot n’étaient pas d’accord avec la position de l’élève. Medeni lui répondit que ce ne sont pas uniquement les étrangers qui doivent faire des efforts. Selon lui, les étrangers qui vivent au Luxembourg se donnent bien de la peine pour essayer de s’adapter à la vie locale. Mais l’intégration, et surtout l’apprentissage de la langue, ne vont pas toujours de soi. "Nous nous donnons de la peine, vous pouvez aussi faire un pas vers nous", a-t-il avancé. Le plus important, selon lui, c’est d’essayer de faire de vrais efforts pour franchir des frontières.

Au cours du débat, les élèves ont également expliqué les raisons pour lesquelles ils ont choisi de traiter le sujet des frontières. "Pour nous, c’est une thématique très importante", a expliqué Guiseppe. "Nous voudrions amener les autres élèves à réfléchir sur le sujet et à se poser des questions. Il n’y pas que les frontières géographiques, mais aussi les frontières psychologiques. Il faut les abolir", a-t-il reproché.

Une enseignante s’est alors demandée comment abolir ces frontières psychologiques, qui peuvent se maintenir, même si la frontière géographique disparaît. Giuseppe lui a répliqué que l’attitude des hommes est souvent le résultat de leur éducation, qui les amène à rejeter ce que lui est inconnu.

Liridon a constaté, et ce constat revient comme un Leitmotiv du projet Melting Pot, que pour connaître l’autre, il faut tout d’abord le reconnaître et que le premier pas pour détruire une frontière, c’est de la reconnaître.