Le député Alex Bodry, président de la Commission de l’Economie, a ouvert la séance en présentant les résultats que le Luxembourg a atteints au cours du premier cycle triennal 2005-2007 de la stratégie de Lisbonne renouvelée, et en pointant les efforts que le Grand-Duché devra accomplir au cours de la deuxième période 2008-2010.
Dans les quatre domaines d’actions prioritaires formulés par le Conseil européen en 2006, à savoir l’investissement dans le système éducatif et la recherche, la libération du potentiel de développement des petites et moyennes entreprises, l’accroissement des possibilités d’emploi et le chemin vers une politique énergétique européenne intégrée, le Luxembourg a accompli selon Bodry des progrès considérables.
Alex Bodry s’est également félicité des efforts que le Grand-Duché a accomplis dans la mise en œuvre des six axes de réforme que le Comité de coordination de tripartite avait convenues en 2006, parmi lesquels figurent la maitrise de l’inflation, le rétablissement de l’équilibre budgétaire, le rétablissement de la situation sur le marché de l’emploi, ou encore la compétitivité des entreprises, la sécurité sociale et le statut unique des salariés. Dans ce contexte, il a relevé la réduction du taux de chômage qui a pu être obtenu en 2007, ainsi le redressement des finances publiques, qui ont pu marquer un excédent de 0,7 % en 2007, par rapport à un déficit de 2,5 % en 2004.
Pour la deuxième période pluriannuelle, le Luxembourg devra selon l’avis de la Commission européenne faire des efforts dans plusieurs domaines qui doivent être surveillés, comme par exemple le taux d’emploi, le taux des travailleurs âgés et le taux de décrochage scolaire.
Alex Bodry a par ailleurs souligné le souci de la Chambre des députés à faire participer tous les acteurs à la discussion, l’élaboration ainsi que la mise en œuvre du Plan national de réforme (PNR).
Jeannot Krecké, le ministre luxembourgeois de l’Economie, s’est montré convaincu de ce que l’Union européenne a engagé sur le bon chemin avec la stratégie de Lisbonne. Selon Krecké, le Luxembourg serait tôt ou tard arrivé à la conclusion que le développement d’une économie basée sur la connaissance est la seule voie possible. Mais si le pays veut aller dans cette direction, il doit être en mesure de répondre à la demande croissante de personnel qualifié exprimé par les différents secteurs économiques. "Une fois que les potentiels de la Grande Région seront épuisés, il faudra aller chercher la main d’œuvre dans les régions en dehors de l’Union européenne. Mais vu le coût, ce seront les pays ou les régions qui auront réussi à générer eux-mêmes la masse critique de travailleurs qualifiés nécessaire qui seront les gagnants", a-t-il souligné.
Le ministre de l’Economie a salué le processus de réforme qui s’est engagé avec la stratégie de Lisbonne. Que celle-ci ait déjà porté ses fruits, se montre selon Krecké dans le fait que, malgré les turbulences récentes sur les marchés mondiaux, l’Union européenne ait réussi à maintenir un taux de croissance stable. Pour Jeannot Krecké, c’est l’introduction de certaines mesures, comme la stabilisation des finances publiques ou le lancement de l’euro, qui ont permis à l’Union européenne de développer une économie stable. Le ministre a cependant insisté qu’" il restait encore beaucoup à faire".
Dans son intervention, le professeur Lionel Fontagné, qui avait déjà été sollicité en 2004 par le gouvernement luxembourgeois pour un rapport sur la compétitivité du Luxembourg, aborda la problématique actuelle "sans détours", selon ses mots et son habitude. Le Luxembourg continue à vivre de certaines attentes issues de la prospérité exceptionnelle des années 90. L’état d’esprit général est toujours fait d’un mélange d’isolation de certaines réalités et l’on est peu enclin aux réformes, notamment celles qui permettraient de préserver le modèle social. Le pays ne pourra pourtant pas faire l’impasse sur une réduction du coût du travail, ni sur une meilleure formation pour générer une main d’œuvre hautement qualifiée et une meilleure qualification de la main d’œuvre moins qualifiée. Aussi faudrait-il aller dans la direction de rapprocher le coût du travail de la productivité.
Il y a pourtant eu selon Fontagné des progrès, puisque les partenaires sociaux ont pu s’entendre dans le cade de la tripartite sur tout un train de mesures dont les plus visibles sont le nouveau type de contrat à l’embauche, ainsi que le report et la limitation des tranches indiciaires par an. Le gouvernement s’est donné différents modèle structurels économiques pour étudier l’impact de la stratégie de Lisbonne sur l’économie et le champ social, et l’on a pu constater que le basculement des dépenses publiques vers la formation a pu augmenter de 0,5 % la productivité, ce qui ne reste pas sans impact sur le PIB.
Mais toute réforme ne se traduit pas nécessairement par un succès. Cela vaut d’autant plus que la situation économique s’est fortement détériorée. Dans ce contexte, pense Fontagné, ce serait plus favorable si le Luxembourg était économiquement moins dépendant d’un secteur qui est fortement redevable à une situation réglementaire, par exemple en matière de TVA, un constellation où un "accident" est toujours possible. "C’est en cas de mauvaise conjoncture qu’on pourra d’ailleurs constater la valeur des réformes structurelles auxquelles on aura procédé", a ajouté l’expert français.
Conclusion de Fontagné : à en juger du travail "énorme et sans comparaison avec les pays voisins" de son Observatoire de la compétitivité, le Luxembourg a amélioré sa position en matière de productivité, de fonctionnement des marchés et de recherche, mais en matière d’emploi, de formation et dans le domaine institutionnel, sa position s’est détériorée. Sur la dérive des coûts, il ne doit pas baisser la garde.
Karin Lindhal K. Lindahl, chef d’unité adjoint travaillant sur l’inclusion, les aspects sociopolitiques des migrations, et l’intégration des politiques sociales à la Direction Emploi, Affaires sociales et Egalité des chances de la Commission européenne, a fait le point sur le volet social de la stratégie de Lisbonne. Elle a mentionné les efforts qui ont été faits dans l’ensemble de l’Union européenne en matière de politique sociale, comme l’amélioration des systèmes de sécurité sociale, les politiques d’inclusion, ou encore le développement du potentiel des jeunes.
Karin Lindahl a cependant souligné que des efforts supplémentaires en matière d’intégration et de coordination seront nécessaires pour renforcer la cohésion sociale. Pour le Luxembourg, il s’agira essentiellement, selon l’experte de la Commission, de faire des efforts pour augmenter le taux d’emploi des travailleurs âgés, et de viabiliser le système des retraites. Pour parvenir à cet objectif, elle a recommandé au Luxembourg de favoriser le vieillissement actif, de réduire le recours au régime de retraite anticipée, et de favoriser un départ à la retraite souple.
Le professeur Spangenberg a fourni des explications sur les relations entre le concept de développement durable et la stratégie de Lisbonne. Selon l’écologiste, la stratégie de Lisbonne ne peut se cantonner à une politique économique, mais doit prendre en compte la politique pour un développement durable.
La Commission a identifié une série de phénomènes négatifs, qui vont à l’encontre du développement durable, et qui demandent une réaction politique. Parmi ces évolutions négatives figurent le changement climatique, la réduction de la diversité biologique, ou la mise en danger de la cohésion sociale. Spangenberg a salué l’orientation de la stratégie de Lisbonne vers la lutte contre le changement climatique et le développement durable.
Spangenberg a par ailleurs souligné que le Luxembourg n’est pas un élève modèle en ce qui concerne la protection de l’environnement. Son taux de pesticides est de 15 % au-dessus de la moyenne de l’Union européenne, et en matière de taux de nitrate contenu dans ses rivières, le Luxembourg figure en première place au niveau européen.
Le représentant du patronat, Pierre Bley de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), marqua son accord avec les lignes directrices intégrées (LDI) actuelles. Il salua les efforts du gouvernement pour atteindre l’équilibre des finances publiques, malgré un haut niveau d’investissements publics. Il souligna comme d’autres l’avantage du secteur financier pour les recettes publiques, mais aussi le haut degré de volatilité de ce secteur. Il opina pour une politique plus sélective des transferts sociaux qui mènerait à une réduction plus effective du risque de pauvreté. Il mit en garde contre la dette sociale cachée qui découle selon l’UEL du système actuel d’assurance-pension. Il appela à une réforme générale de ce système qui aura atteint en 2030 ses limites, quand le vieillissement de la population neutralisera les effets positifs d’une croissance forte. Il était aussi très critique à l’égard de la capacité de maîtrise de l’inflation par les institutions en place, une inflation qui, étant plus élevée que dans les pays voisins, a conduit à un différentiel préjudiciable pour l’économie luxembourgeoise.
Autres sujets abordés par Bley : la question du bien-fondé de l’imposition des entreprises, les retards dans la mise en œuvre de plans sectoriels d’aménagement du territoire dans le cadre de l’IVL, la simplification administrative pour des entreprises qui auraient à faire à des administrations qui s’entendent comme des prestataires de services, une formation plus adaptée des demandeurs d’emploi et l’introduction de nouvelles flexibilités sur le marché du travail, le recours facilité à l’immigration hautement qualifiée, y compris en provenance d’Etats tiers.
Le paquet "climat/énergie", qui interfère avec les objectifs de croissance et l’idée du développement durable de la stratégie de Lisbonne fut pour Bley l’occasion de souligner que gouvernement et patronat sont d’accord pour insister sur les particularités de l’économie luxembourgeoise.
Le patronat luxembourgeois voudrait en fin de compte un système éducatif plus performant, qui éduque les élèves à la vie en société, qui surmonte rapidement ses impasses, qui apporte plus de connaissances, qui mise sur des enseignants plus performants et qui tienne compte de l’hétérogénéité de la population scolaire.
Pour Nico Clement de l’OGBL, mais qui prit la parole au nom du Secrétariat européen commun de la CGT-L (OGB-L/FNCTTFEL) et du LCGB, le bilan qui a été dressé à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne a démontré que les objectifs n’ont pas été atteints et que l’écart de croissance s’est creusé par rapport aux Etats-Unis. D’où le besoin accru selon Nico Clément de réorganiser la stratégie de Lisbonne.
Le représentant des organisations syndicales luxembourgeoises a critiqué la "politique de l’offre" qui est pratiquée en Europe et s’est exprimé en faveur d’une politique économique qui s’accompagne d’une hausse du pouvoir d’achat et d’une redistribution des richesses. Selon Nico Clement, la stratégie de Lisbonne devrait s’attacher à rétablir la confiance des citoyens. Ce manque de confiance résulte, selon lui, non pas d’un manque de communication mais d’une mauvaise redistribution des richesses à l’échelon européen. Il a également pointé du doigt la précarisation progressive de larges tranches de la population et le manque d’investissements dans les formations continues. Il s’agit de politiques qui ne "permettent pas de stimuler la croissance", a-t-il jugé. Nico Clement a incriminé la détérioration continue de la qualité des emplois, s’est exprimé en faveur d’une politique sociale et du maintien des objectifs contraignants proposés dans la stratégie de Lisbonne.
Concernant le paquet "climat /énergie", il a estimé qu’il faut analyser les implications sociales qui sont engendrés par les mesures fixées au niveau européen afin d’éviter des situations paradoxales où des gens "meurent de faim à côté de plantations qui ont été érigées pour économiser du CO2 dans les pays développés". Finalement, il était d’avis qu’on a besoin "d’une Europe mais d’une autre Europe. Une Europe plus sociale!".
Mike Mathias du Cercle des ONG a critiqué le rôle central qui revient à la croissance et la compétitivité dans la stratégie de Lisbonne aux dépens des piliers social et environnemental. Le représentant des ONG a rejeté l’idée de la Commission européenne selon laquelle la croissance serait génératrice de bien-être social et a souligné que celle-ci est souvent produite au détriment des populations les plus démunies. Mathias a prôné une utilisation plus responsable des ressources naturelles.
Sans pour autant refuser catégoriquement toute forme de croissance, Mike Mathias s’est exprimé en faveur d’une croissance à la fois "bien encadrée" et "utile" qui s’accompagnerait d’une redistribution plus équitable des ressources énergétiques et des richesses.
Paul Delaunois de Greenpeace a regretté que la stratégie de Lisbonne accorde une faible importance au volet environnemental et a critiqué le manque de réflexion tant à l’échelon national qu’européen. Il a qualifié la position que le gouvernement luxembourgeois a adoptée vis-à-vis du paquet "climat/ énergie" d’"édifiante". "Au lieu de dire qu’il faut aller de l’avant, le Luxembourg freine", a-t-il regretté. En invoquant une spécificité luxembourgeoise, le Luxembourg bloque selon lui "une réforme ambitieuse". Le représentant de Greenpeace a appelé de ses vœux une réorientation de la stratégie de Lisbonne qui accorderait une place plus importante au développement durable et à la préservation de l’environnement. Autres revendications : le Luxembourg doit fournir plus d’efforts pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, sans toutefois recourir aux mécanismes flexibles et soutenir la demande des pays du sud dans la mise en œuvre de cette réforme.
Raymond Aendekerk du Haus vun der Natur a regretté la perte progressive de la biodiversité et le fait que la protection celle-ci ne soit pas prise au sérieux dans la stratégie de Lisbonne. La cause principale de la disparition progressive de la diversité du monde vivant est d’après lui, la croissance.
Il a également émis des doutes quant à la réalisation de l’objectif minimum de 10 % de biocarburants dans les transports d’ici 2010. Selon lui, cet objectif chiffré est peu réaliste. Il a mis en garde contre les conséquences néfastes qui seront engendrées par cette mesure : "Il est difficile de labourer des terres pour récolter des plantes qui seront utilisées ultérieurement pour fabriquer des sources d’énergies renouvelables, alors qu’en même temps, la population manque de nourriture". "Cette exigence est d’autant plus grande que le surfaces agricoles actuelles ne couvrent que la moitié des besoins en nourriture de la population, notamment à cause de l’augmentation de la part de la viande dans l’alimentation", a-t-il souligné.
Karin Manderscheid, du réseau luxembourgeois de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, a regretté que les volets social et environnemental soient négligés dans le processus de Lisbonne en ajoutant que "la compétitivité ne doit pas être une fin en soi".
Elle a regretté que le réseau luxembourgeois de lutte contre la pauvreté n’ait pas été consulté pour élaborer l’orientation des LDI pour le nouveau cycle triennal 2008-2010 et que très peu de mesures aient été prises pour éradiquer la pauvreté. Elle a exigé qu’on procède régulièrement à des analyses pour évaluer les répercussions sociales des mesures adoptées au niveau européen et que l’être humain figure au centre de la stratégie de Lisbonne. Manderscheid a par contre salué que la Commission s’est engagée dans la lutte pour éradiquer la pauvreté, mais elle a regrette l’absence d’une hiérarchisation des objectifs. Elle a trouvé positif que le concept d’inclusion sociale ait été retenu dans la stratégie européenne et a estimé que l’accès de tous à tous les services - pas uniquement aux services de base - devrait être garanti et que l’on devrait veiller à une approche plus équilibrée pour déterminer le concept de flexicurité.
Avant de passer à la discussion générale, Alex Bodry fit remarquer qu’une croissance accrue ne signifiait pas nécessairement plus de cohésion sociale. Et Jeannot Krecké, de son côté, expliqua que l’audition sur la stratégie de Lisbonne à la Chambre servait à avancer des orientations générales. Ensuite, les organisations et personnes invitées seraient libres de discuter sur les détails d’un plan national de réformes pour leur secteur avec le ministre compétent.
Au cours de la discussion générale, le Comité pour le Travail féminin plaida pour une inclusion plus forte de la dimension du genre. Greenpeace voulait savoir de la part de Lionel Fontagné si plus d’investissements pouvaient conduire à plus de réductions de CO2. L’Université de Luxembourg expliqua comment elle prévenait le danger de la monoculture économique en fixant des priorités d’enseignement qui incluaient le secteur financier, mais qui misaient aussi sur les nouvelles technologies et la biologie. Afin d’augmenter son potentiel de transmission des connaissances, elle signala qu’elle avait aussi commencé un recrutement international au-delà du continent européen. Le CEPS/INSTEAD plaida pour une conciliation entre l’économique et un haut niveau de protection sociale dans le cadre de partenariats pour la croissance. Il signala aussi l’importance des synergies entre l’économique et le social dans la lutte contre la pauvreté.
Rendez-vous fut pris pour l’après-midi du 10 avril 2008 à la Chambre des députés pour continuer une discussion générale qui était loin d’être terminée.