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Culture
Lancement de l’Année européenne du dialogue interculturel au Luxembourg
15-03-2008


Logo de l'Année européenne du dialogue interculturelL’Année européenne du dialogue interculturel a été lancée au Luxembourg le 15 mars 2008 dans le cadre du Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté.

La secrétaire d’Etat à la Culture, Octavie Modert, a, dans sa présentation de la stratégie et des activités nationales, expliqué les trois priorités retenues : le décloisonnement des communautés, les relations avec les transfrontaliers et le dialogue intergénérationnel. Pour chaque priorité, il y aura une journée-clé avec les acteurs significatifs sur le terrain. L’Année européenne du dialogue interculturel est pour Octavie Modert "un label ouvert" et "un lieu ouvert et gratifiant" sur lequel viendront se greffer au cours de l’année d’autres initiatives.

Ernst Moutschen, le chef de la Représentation de la Commission européenne à Luxembourg, a mis en exergue l’importance du dialogue interculturel dans un pays où vivent plus de 40 % de non-nationaux de 160 nationalités différentes et où « la cohabitation doit être une réussite pour tous ».

Pour la députée européenne et ancienne ministre de la Culture, Erna Hennicot-Schoepges, le lancement de l’Année européenne du dialogue interculturel est une bonne occasion, "après l’échec du traité constitutionnel", de mettre en avant l’importance de la "culture multiple et diverse" dans les pays de l’Union européenne. La députée a regretté que dans le nouveau traité européen, le concept de "religion" ne soit plus nommé, mais conçu comme faisant partie du concept de "croyances", "ce qui laisse de côté toute une dimension". Elle a cité le discours de Cologne du Premier ministre turc Erdogan pour montrer que l’assimilation ne sera pas le futur de l’Europe, mais l’intégration dans la diversité, le pluralisme culturel, de sorte que la culture deviendra un enjeu majeur dans "une nouvelle forme de vivre ensemble". Les citoyens devront donc bien connaître l’histoire, la leur et celle des autres, être mobiles, veiller à la paix entre les religions et à l’égalité entre hommes et femmes.

Réflexion théorique sur le dialogue interculturel et interreligieux

Les discours introductifs furent suivis de cinq contributions à une réflexion théorique sur le dialogue interculturel et interreligieux.

Dans son introduction, Mario Hirsch, le directeur de l’Institut Pierre Werner, a souligné différents facteurs qui rendent le dialogue interculturel nécessaire : l’élargissement, qui, avec la liberté de circulation, engendre une nouvelle diversité culturelle, le nombre croissant des Roms en Europe occidentale, la présence de l’Islam, dont le nombre de croyants est évalué entre 30 et 50 millions en Europe, les défis géopolitiques lancés par le voisinage proche de l’Europe. L’Europe, le Luxembourg aussi, auront-ils la capacité d’établir un espace public durable capable d’inclure les "allogènes" ? Telle est la grande question qui se pose pour Mario Hirsch, y compris en termes de cohésion sociale et de participation politique. L’Europe sera selon lui jugée à l’extérieur à la qualité du débat sur l’inclusion. Pour qu’un débat puisse vraiment avoir lieu, la parole de l’autre doit être reconnue. Un élément de la reconnaissance est le droit à la sanction. D’où une des pistes que Mario Hirsch a défendues, outre l’implication de la société civile dans ce débat : la citoyenneté de résidence, qui est différente de la nationalité.

François Biltgen : des normes et des aléas du dialogue interreligieux

François Biltgen prit ensuite la parole en sa qualité de ministre des Cultes sur la question du dialogue interreligieux. Pour lui, ce terme se décompose en 2 concepts : dialogue et interreligieux. Le dialogue suppose l’écoute d’abord, la réplique ensuite, qui permet de se positionner. Il n’en ressort pas nécessairement un résultat concret, mais un enrichissement continuel à travers la continuité du dialogue. Un vrai dialogue présuppose également trois qualités : la compréhension, le respect, qui est plus que de la tolérance, et la franchise, qui permet de marquer les désaccords. En ce qui concerne le concept de l’interreligieux, François Biltgen le trouve réducteur, même s’il est moins réducteur que le terme de "croyance". Il marque sa préférence pour l’expression du Conseil de l’Europe qui consacre "la dimension religieuse du dialogue interculturel".

Le dialogue interreligieux peut couvrir trois aspects : le spirituel, l’institutionnel et le socioculturel. La dimension spirituelle relève des croyants ou de la recherche universitaire. La dimension institutionnelle relève de la rencontre entre les communautés religieuses. La dimension la plus importante est la dimension socioculturelle, à la base, celle qui implique la population. Le ministre mise sur une société où dans une localité, église et mosquée pourront harmonieusement se faire face, et où les mariages entre gens d’une religion différente seront acceptés comme une chose normale. Vu les agressions verbales dont il a été objet depuis qu’il a rendu public le projet de convention entre l’Etat et la communauté musulmane, François Biltgen s’attend cependant à quelques problèmes. De même, lorsqu’un jour une communauté musulmane voudra bâtir une mosquée, il s’attend à un certain tollé jusqu’à ce que les autorisations de bâtir seront accordées.

C’est au nom de la paix civile et de la cohésion sociale que l’Etat doit soutenir le dialogue interreligieux. Il doit aussi parer aux communautarismes sous couvert religieux. D’où deux thèses de Biltgen. Primo : l’Etat doit respecter le fait religieux comme fait de société. Secundo : Le dialogue interreligieux se déroule sur l’arrière-fond religieux et historique qui caractérise l’Etat.

Première thèse : L’Etat respect le fait religieux, car il est un fait public. La foi par contre est une affaire privée. La signature d’une convention entre l’Etat et une communauté religieuse fait justement la part du temporel et du spirituel. Aucune Eglise n’est celle de l’Etat. Aucune religion ne doit imposer ses convictions et avoir le droit d’être au-dessus de l’Etat et de ses lois. De ce point de vue, le Luxembourg assure la séparation de l’Etat et de l’Eglise, et il est selon Biltgen un Etat laïc.

Deuxième thèse : Dans la mesure où le dialogue interreligieux se déroule sur l’arrière-fond religieux et historique qui caractérise l’Etat, celui-ci exige que les religions respectent les droits de l’homme, l’ordre public et les us et coutumes du pays. Et pour que des conventions puissent être signées, les religions doivent parler d’une seule voix face à l’Etat et se conformer aux règles du dialogue interreligieux.

François Biltgen est d’avis que le dialogue interreligieux ne se porte pas très bien. Il suscite des réactions populistes, comme dans le cas du projet de convention avec la communauté musulmane, ou bien le débat sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat est mené de manière exacerbée. D'où ce jugement "un peu désabusé" selon ses propres mots:  "Même si on a une maison qu’on connaît très bien,  il se peut qu’il y ait peu de dialogue. Nous avons pour l’instant peu de culture du dialogue et peu de dialogue des cultures."

Multiples identités, pluri-culturalité et dignité humaine

Dans son intervention, Antoni Montserrat, le président du CLAE, abord la question des identités multiples, qui implique qu’il y a de nombreuses façons d’être Luxembourgeois, ou Français ou Espagnol. De ce fait, le dialogue interculturel devrait impliquer le monde politique et n’est pas seulement une question culturelle, mais une question qui touche à toutes les sphères de la citoyenneté.

Serge Kollwelter, de l’ASTI, évoqua la crainte des sociétés parallèles que le Premier ministre Juncker avait exprimée le 12 octobre 2005  lors de son discours sur l'état de la nation souligner la profusion actuelle du football ethnique, des services religieux à différents régimes linguistiques ou des systèmes scolaires cloisonnés et discriminatoires qu’il qualifie de voies de garage. Pour lui, il faut passer de l’inter-culturalité qui décentre, qui permet de comprendre et de coopérer avec l’autre à la pluri-culturalité qui permet le partage du pouvoir tel qu’il est prôné par exemple par l’initiative "Refresh democracy".

Jim Lehners, le président de la Commission consultative des droits de l’homme, a de son côté réaffirmé le droit fondamental que chacun a, dans les différentes conventions relatives aux droits culturels, à l’expression et à la diversité culturelles au nom d’une valeur suprême qui est celle de la dignité bien comprise de l’être humain. Lehners a également souligné à quel point la culture des droits de l’homme est tributaire de la pratique du dialogue. Car la culture des droits de l’homme est tout sauf donnée, et pour exister et s’étendre, elle doit convaincre par le dialogue tout en sachant qu’elle a par définition des difficultés à être conforme aux discours conformistes.