Le 17 février 2008, le Premier ministre Jean-Claude Juncker était l’invité dans l’émission "Sternstunden Philosophie" de Roger de Weck, sur la chaîne de télévision suisse SF 1. L’émission, qui portait le titre "Kleines Land, grosser Europäer – EU-Vordenker Jean-Claude Juncker über Europa und die Schweiz", a été rediffusée le 23 mars 2008 sur 3Sat. Au centre de la rencontre figuraient des thèmes comme le rôle des petits Etats membres, et surtout du Luxembourg dans l’Union européenne, l’éventuelle adhésion suisse à l’UE, ou encore le référendum au Luxembourg. L’émission a été enregistrée dans la salle des fêtes (Grosse Aula) de l’Université de Zurich, la salle même où l’ancien Premier ministre britannique Winston Churchill a prononcé son fameux discours sur l’Europe en 1946.
Après les derniers élargissements en 2004 et en 2007, l’Union européenne compte désormais un grand nombre de petits Etats membres. "Est-ce que les petits pays comptent autant dans l’Union européenne que les grands ?", a demandé Roger de Weck. "Si je parlais à la télé française, je dirais que oui. Mais puisque nous sommes entre nous, je dirai que la plupart du temps nous comptons autant", a répliqué Jean-Claude Juncker, en ajoutant : "Lorsqu’on a une situation de conflit, ce sont les grands Etats membres qui se mettent à chercher une solution. Mais en règle générale, ils n’y parviennent pas sans l’aide des petits." Pour lui, l’amitié franco-allemande est certes indispensable pour la cohésion de l’Union européenne, mais elle n’est pas suffisante.
Interrogé sur la question comment un petit Etat peut défendre ses propres intérêts au sein de l’Union européenne, Jean-Claude Juncker a répondu que c’est à travers l’argumentation et la discussion qu’un "petit" peut faire valoir ses points de vue. "Il faut percer les grosses planches de bois de manière persévérante", a-t-il lancé. Pour pouvoir imposer leurs idées, il est, à ses yeux, important que les petits Etats membres donnent un profil européen à leurs arguments. "Tout le monde (les grands Etats), doit avoir l’impression que l’on vise le bien-être de toute l’Union", a-t-il expliqué. Pour Juncker, les grands Etats membres ont l’avantage d’un poids démographique plus important, que les petits pays doivent compenser par le poids de leurs arguments.
Jean-Claude Juncker a cependant estimé que le Luxembourg n’a jamais été acculé dans les négociations européennes, et que les situations où il était isolé étaient très rares.
La discussion aborda ensuite la crise institutionnelle, qui a été déclenchée par les "non" français et néerlandais à la Constitution européenne en 2005. Le Premier ministre luxembourgeois a relevé l’importance que revêtait à l’époque l’issue du référendum luxembourgeois. Selon Juncker, si le Luxembourg, et donc un troisième pays fondateur de l’UE, aurait également rejeté la Constitution, on n’aurait pas seulement pu abandonner l’idée de la Constitution européenne, mais aussi celle d’une réforme des institutions européennes tout court. "C’est pourquoi le référendum était devenu pour moi une affaire de cœur", a lancé Jean-Claude Juncker.
Pourtant, le Premier ministre était initialement contre le référendum au Luxembourg, car "nous n’avons pas cette tradition". Par ailleurs, il a estimé qu’un résultat négatif au référendum aurait eu des conséquences néfastes pour le Grand-Duché et son rôle précurseur au sein de l’Union européenne.
Si le Luxembourg n’a pas la tradition du référendum, celui-ci est par contre un élément indispensable de la vie politique en Suisse. Roger de Weck s’est demandé si, au cas où la Suisse adhérait à l’Union européenne, elle pourrait sauvegarder ses spécificités politiques. "Je ne pense pas que ce soit impossible, mais difficile", lui a répondu Jean-Claude Juncker. Une solution que l’on pourrait peut-être envisager, serait selon lui, des "lois d’habilitation" par lesquelles le peuple suisse attribuerait à son gouvernement l’autorisation d’agir au niveau européen, sans référendum.
Le Premier ministre luxembourgeois accueillerait par ailleurs à bras ouverts l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne. "Si la Suisse veut enter dans l’Union européenne, je l’aiderai avec une grande joie", a-t-il dit. Mais il a également mis en garde contre la volonté d’instruire la Suisse et de vouloir dire aux Suisses comment "le mieux accéder à leur bonheur continental".
Plus loin, Juncker a rappelé que la Suisse n’a pas besoin d’être membre de l’Union européenne pour profiter de la stabilité qu’elle engendre. Il a même estimé que la Suisse doit souvent concéder plus que les Etats membres : alors que le Luxembourg, Etat membre, peut participer aux décisions, la Suisse, qui est en dehors de l’UE, doit les accepter telles quelles.