L’Institut pour les études internationales et européennes et l’Institut Pierre Werner avaient organisé les 16 et 17 mai 2008 un colloque sur "les petits Etats dans et en-dehors de l’Union européenne" au Kochhaus à Schengen.
Les participants ont essayé dans un premier temps de définir le concept ce que c’est qu’un petit Etat. Parler seulement de la taille d’un petit Etat, ou du faible nombre de ses habitants ou bien de son économie ne suffit pas. D’autres éléments entrent en compte : les pays qui entourent un petit Etat, les asymétries régionales, mais surtout ses résultats. Il y a des petits Etats qui ont une grande influence soit économique, financière ou politique au vu de leurs résultats. Mario Hirsch comme Clive Archer de l’Université de Manchester citèrent la Norvège, qui a de l’influence grâce à ses ressources énergétiques et à sa politique de développement, le Luxembourg, fort de sa place financière, l’Islande, une superpuissance dans le domaine de la pêche.
Raimo Väyrynen, professeur à l’Institut finnois de relations internationales d’Helsinki, montra avec l’exemple de la Finlande, que surtout dans l’Union européenne, l’influence d’un pays ne dépendait pas seulement de sa taille. La Finlande a toujours cherché, dès qu’elle a rejoint le processus d’intégration européenne, d’accéder au cœur des activités de l’Union européenne. Cette attitude a été une véritable source d’influence. La Commission européenne est par ailleurs le garant institutionnel qu’il y ait toujours un contrepoids dans l’Union européenne vis-à-vis des grands Etats. D’autre part, un petit Etat ne peut pas ne pas s’allier avec un ou de grands Etats. La Finlande s’est souvent alignée sur l’Allemagne au sein de l’Union européenne, ce qui n’a pas manqué de provoquer un débat public. La Suède, de son côté, essaie de maintenir un équilibre entre ses relations avec les USA et la France. Ce qui importe pour un petit pays, c’est de mettre l’accent, au sein de l’Union européenne, sur ses forces. La Finlande peut ainsi miser sur les performances et la bonne image de son R&D ou de son système d’enseignement, mis en exergue par les études PISA de l’OCDE. Dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, sa diplomatie et ses représentants ont été en position d’innover. D’où aussi la suggestion de Clive Archer qu’un Etat peut être petit, mais intelligent, et que s’il peut invoquer sa nature de petit Etat, cela peut être certes une excuse, mais aussi un actif et une valeur réels.
Baldur Thorhallsson, professeur de sciences politiques à l’Université de Reykjavik, mit en avant qu’un petit Etat a un avantage certain pour réagir grâce à la proximité, à la rapidité et à l’efficacité de ses administrations à taille humaine. Encore doit-il disposer de capacités en accord avec les attentes qui lui sont adressées. Pour cela, il doit définir ses ambitions, ses priorités, ses préférences, ce qui relève, au-delà des ressources disponibles, de la volonté politique.
Mario Hirsch, directeur de l’Institut Pierre Werner, s’est demandé si la question de la taille d’un Etat était encore pertinente, et si tout dépendait de la taille et de la position géographique, au centre ou à la périphérie de l’Europe. Un trait distinctif des petits Etats reste néanmoins le besoin plus fort de cohésion sociale. Pour Hirsch, il existe une relation entre la taille d’un Etat et la façon dont il aborde la solution de ses problèmes sociaux. De l’autre côté, il craint que les dispositions du traité de Lisbonne n’affaiblissent la Commission et donc par ricochet la position des petits Etats dans l’Union européenne, ce que l’ancien président de la Commission européenne, Jacques Santer, a démenti pendant le débat.
Anders Wivel, de l’Université de Copenhague, a mis en exergue les nouvelles marges de manœuvre des petits Etats de l’Union européenne qui n’ont plus à craindre une invasion ou une atteinte à leur intégrité territoriale, et qui peuvent donc se dédier à beaucoup d’autres objectifs plus constructifs. Larry Siedentop, professeur émérite de l’Université d’Oxford, a posé la question si la prolifération au sein de l’Union européenne de tant de nouveaux petits Etats n’encourageait pas à terme les séparatismes au Royaume Uni, en Espagne et autre part. David Criekemans, du Centre flamand pour la politique internationale d’Anvers, déclara que même s’il voulait éviter certains déterminismes liés à la taille et à la position d’un petit Etat, l’on ne pouvait faire abstraction de sa taille et de sa position géographique qui ont toujours un impact sur sa position, qui secrète toujours des opportunités et des restrictions. C’est selon lui la tâche des leaders des petits Etats de comprendre comment l’on peut mener une politique qui accentue les opportunités et réduit les restrictions. Et de citer les exemples de Singapore et de Dubaï. Plamen Pantev, professeur ä Sofia, suggéra que l’influence d’un petit Etat dépendait de sa capacité de contribuer à des ensembles plus grands et Mario Hirsch souligna la capacité de certains petit Etats d’utiliser à leur profit, dans des ensembles plus grands, les ressources des grands Etats.
La chance et la capacité d’innovation. Ces deux facteurs ont été invoqués par Jacques Santer, ancien Premier ministre luxembourgeois et ancien président de la Commission européenne, pour expliquer le succès du modèle luxembourgeois. La reconnaissance de l’indépendance du Luxembourg en 1867, l’avènement de la monarchie en 1890 et la découverte de l’acier, sont autant événements qui ont jalonné l’histoire luxembourgeoise et qui ont été cité par Santer pour illustrer le facteur "chance".
Jacques Santer a également fait référence au référendum qui a été organisé en 1919 au Luxembourg sur une Union économique avec la France ou la Belgique. Ce référendum avait débouché, malgré une large majorité de Luxembourgeois qui s’étaient exprimés (74 %) en faveur de la France, sur une Union économique belgo-luxembourgeois. "Avec le recul, il s’agit d’une chance pour le Luxembourg qui, intégré dans une Union économique avec la France, n’aurait pas connu un tel essor économique et aurait été réduit à un département des Forêts, comme du temps de Napoléon," déclara l’ancien Premier ministre.
Le Luxembourg, avec sa taille réduite, représente selon Santer un formidable laboratoire pour l’innovation. En témoignent selon lui, le lancement de la première télévision privée en 1958, la diversification avec les fonds d’investissement et le lancement de nombreux satellites par des sociétés luxembourgeoises.
Pour expliquer le succès du modèle luxembourgeois, Serge Thines, chercheur au Centre Virtuel de la Connaissance sur l’Europe (CVCE) a invoqué les ressources naturelles du Luxembourg et sa ruse diplomatique. Il a expliqué comment le Luxembourg, pays fondateur de la CECA et de la CE, a utilisé ses ressources naturelles pour transformer sa puissance économique en force politique. L’illustration de cette position de force sur l’échiquier européen s’est concrétisée selon Thines par la participation du Luxembourg aux négociations CECA et par son rôle dans la relance du processus d’intégration après l’échec de la Communauté européenne de défense en 1954. L’établissement de la Haute Autorité de la CECA au Luxembourg en 1952 est un autre facteur qui a contribué selon le chercheur au prestige international du Luxembourg et lui a facilité la tâche de s’établir comme un pôle d’attraction auprès de la finance internationale. Finalement, il a également cité la parenté culturelle et linguistique qui existe avec ses voisins français et allemand. Des atouts qui ont permis au Luxembourg, pays aux confins de l’Allemagne et de la France, d’endosser le rôle de médiateur en Europe.
Pour Jacques Santer un petit Etat doit avant tout adopter un comportement proactif. Il doit bénéficier d’une stabilité politique avec des responsables politiques qui se maintiennent longtemps au pouvoir. Il doit bénéficier d’une administration réduite, promouvoir la cohésion sociale et développer des stratégies à long terme pour mieux aborder le futur. Son diagnostic pour le futur "L’Europe va se développer comme une région d’Etats nations où les grandes régions vont gagner en importance".
Pour Mario Hirsch, un petit Etat doit avant tout faire preuve de modestie. Avec l’arrivée de Jean-Claude Juncker, la politique étrangère du Luxembourg est selon lui passée d’une politique de subordination délibérée à une politique plus "active". L’illustration la plus pertinente de ce phénomène est selon Mario Hirsch, le sommet en 2003 des quatre Etats (Allemagne, Belgique, France et Luxembourg) qui se sont opposés à l’intervention américaine en Irak. Force est de constater selon Hirsch que ce sommet, qualifié de "Pralienengipfel" par ses détracteurs, n’a apporté aucune avancée significative de la politique étrangère et de sécurité commune.
Estimant "qu’il est parfois risqué pour un petit Etat d’exposer ses couleurs", Mario Hirsch a également prôné un usage parcimonieux du droit de veto. "Un petit Etat doit comprendre quand et pourquoi il lève sa voix", a –t-il dit. Vu qu’il est impossible pour un petit Etat de couvrir l’ensemble des domaines politiques, un petit Etat doit selon Hirsch définir ses priorités et faire des politiques de "niche".
Mario Hirsch, qui s’est interrogé si le Luxembourg courait le risque de devenir la victime de son propre succès, a relevé un double handicap de l’économie luxembourgeoise : le "monolithisme", centré dans les années sur la sidérurgie et aujourd’hui sur le secteur bancaire et "l’hyper-développement" de l’économie qui se caractérisé par un hiatus entre la taille du pays et la force de son économie. Une opinion qui ne fut pas partagée par Serge Allegrezza, le directeur du STATEC. Même s’il a admis que le PIB du Luxembourg est parmi les plus élevés de l’Europe, il a rejeté le terme d’une économie surdéveloppée en ajoutant que cela signifie plutôt une bonne spécialisation.
Pour Serge Allegrezza, l’ouverture économique, une diversification économique limitée, la dépendance vis-à vis d’autres Etats membres et la territorialité sont autant de critères que l’on trouve dans la littérature pour caractériser les petits Etats membres. Même si ces critères sont pertinents pour établir des parallèles avec d’autres domaines, la littérature n’a selon Allegrezza pas réussi à fournir de définition précise d’un petit Etat. Allegrezza a attiré l’attention sur le fait que la taille n’est jamais qu’un critère parmi tant d’autres (la division du marché, la capacité de gérer les crises et d’innover) pour déterminer le succès d’une organisation. Selon Allegrezza, la volatilité et la vulnérabilité sont deux critères qui caractérisent le Luxembourg, qui, en l’absence d’une masse critique, n’est pas capable de se lancer dans de grands projets d’infrastructure, par exemple dans le domaine de la recherche, du transport. L’atout des petits Etats comme le Luxembourg est selon Allegrezza leur capacité à réagir vite parce qu’ils ne sont pas soumis aux contingences des longs processus de décision caractéristiques des grands Etats.
Bojko Bucar, professeur de relations internationales à l’Université de Ljubljana, a retracé l’historique de la Slovénie depuis l’acquisition de son indépendance, et son adhésion à l’Union européenne, jusqu’aujourd’hui, moment où la Slovénie détient la présidence tournante du Conseil européen.
Pour Bojko Bucar, adhérer ou non à l’Union européenne n’a jamais été une question en Slovénie, mais une évidence, qui résultait de l’envie de se distancier de la Yougoslavie dont elle avait fait sécession en 1991. 70 % de la population, qui voyait dans l’UE une sorte de bénéfice économique, mais aussi un mode de coopération plus égalitaire qu’en ex-Yougoslavie, était en faveur de l’adhésion.
Le soutien de la population à l’adhésion avait pourtant chuté à 54 % durant le processus de négociation. A l’occasion du référendum, qui allait sceller l’adhésion de la Slovénie, les acteurs politiques avaient alors développé ce que Bucar a appelé la "diplomatique publique". Une grande campagne d’information avait été menée pour informer le public sur l’Union européenne et le processus de négociation. C’est ainsi qu’un site internet avait par exemple été créé, sur lequel étaient retracées toutes les étapes des négociations, les positions slovènes, les résultats des négociations.
Bojko Bucar a finalement abordé la question de la présidence slovène qui, étant la première à être confiée à un "nouvel" Etat membre, doit être un succès. Mais la Slovénie n’a pas pu définir ses priorités toute seule. L’agenda avait été posé par la troïka Portugal-Allemagne-Slovénie. La seule situation de "crise" de la présidence a été jusqu’à présent la déclaration d’indépendance du Kosovo.
Conclusion : "La Slovénie peut être un modèle comment un petit Etat peut non seulement survivre mais aussi devenir prospère", a déclaré Bojko Bucar, en ajoutant que la petite taille de la Slovénie est certainement un avantage.
Silvo Devetak, le directeur du Centre européen d’études ethniques et régionales de Maribor, s’est penché sur les "aspects moins scintillants" de la Slovénie d’aujourd’hui. De la cohésion sociale menacée, à des relations extérieures difficiles avec ses voisins, en passant par une administration inefficace, trop grande et trop coûteuse, un déficit démocratique, une situation des droits de l’homme problématique, le bilan que Silvo Devetak a dressé semble être complètement à l’opposé de l’image positive qu’avait livrée Bojko Bucar. A titre d’exemple, il a cité une directive européenne contre la discrimination, où la Slovénie a produit de mauvais résultats. "Personne n’a levé la voix à ce sujet pendant deux ans", a-t-il fustigé.
Seul point où l’opinion des deux experts slovènes se rejoignait : le rôle de la présidence slovène. Tout comme Bucar, Devetak a estimé que la Slovénie "n’a pas pu inventer beaucoup de nouvelles priorités" pour sa présidence. Le pays a tout de même réussi selon lui à faire avancer la politique de l’Union européenne dans la région des Balkans occidentaux, et à établir de meilleures relations avec ces pays.
Quel sera l’impact du traité de Lisbonne sur la capacité décisionnelle des petits Etats membres ? Jan Rood, de l’Université d’Utrecht, est profondément convaincu que cette discussion manque de réalisme et que le traité de Lisbonne maintient l’équilibre des forces entre grands et petits Etats membres. Avant d’entamer la discussion sur les modifications apportées par le traité de Lisbonne, il faut, selon lui, adopter une attitude prudente vis-à vis d’un traité qui laisse de nombreuses questions, 33 selon lui, en suspens.
Jan Rood a relativisé l’impact de l’application de la nouvelle règle de la double majorité au Conseil des ministres qui inclut le critère de la population des Etats membres, en estimant que les grands Etats membres ne seront pas en mesure d’imposer leurs choix aux autres et que la plupart des grandes décisions se prennent par consensus. Pourquoi ? Les arguments avancés par Jan Rood sont qu’une décision requiert dorénavant le soutien d’au moins 15 Etats membres et qu’une minorité de blocage doit inclure au moins quatre Etats membres. "L’expérience nous enseigne", a ajouté Rood "que les grands Etats membres sont rarement d’accord sur un sujet politique".
Selon Jan Rood, il convient de ne pas oublier non plus que le vote n’est qu’un facteur parmi tant d’autres – il a cité les réseaux, la réputation, la qualité du personnel diplomatique d’un Etat - qui influent sur la prise de décision à l’échelle européenne.
Rood a relativisé l’impact des modifications institutionnelles. Une Commission réduite selon un système de rotation égalitaire entre les Etats membres et un Président du Conseil permanent chargé de coordonner les travaux de la présidence du Conseil de l’UE, sont selon lui deux modifications qui s’appliquent à "l’ensemble et pas uniquement aux petits Etats membres qui seront traités sur un pied d’égalité". En élargissant la procédure de codécision, en renforçant le pouvoir du Parlement européen et en étendant la majorité qualifiée, Rood a estimé que le traité de Lisbonne élargit, in fine, les matières communautaires.
Même son de cloche chez Anders Wivel de l’Université de Copenhague. Il a estimé que le traité représente un vrai défi pour les petits Etats membres tout en démontrant, comme Jan Rood, que l’équilibre des forces sera plus ou moins maintenu. Il a cependant rappelé que les procédures de vote, même si elles ont été modifiées, restent basées sur le consensus. Il a tenu à relativiser la capacité d’action des Etats dans le système actuel de rotation des présidences du Conseil car "80 % des orientations sont prédéterminés par les grands Etats membres" et a ajouté qu’il ne faut pas oublier que la prise de décision s’effectue à de multiples nivaux (lobbys, organisations).
Pour augmenter leur influence, les petits Etats membres se basent selon Wivel sur une "stratégie rusée", basée sur trois caractéristiques. Premièrement : vu que les Petits Etats sont incapables de couvrir l’ensemble des domaines politiques, ils doivent déterminer des priorités et montrer leur volonté de négocier sur des sujets qui sont d’une importance vitale. Deuxièmement : Les petits Etats doivent présenter leurs initiatives comme faisant partie de l’intérêt commun et rechercher le consensus. Troisièmement : ils doivent endosser le rôle d’un médiateur honnête entre les différents intérêts.
Pour Mario Hirsch, les petits Etats doivent avant tout former des coalitions et se rassembler dans des organisations, comme par exemple le Benelux. Il a par ailleurs attiré l’attention sur l’instrumentalisation des petits Etats par la Troïka lorsqu’ils exercent la présidence.
Clive Archer, de l’Université de Manchester, est ensuite intervenu sur la Norvège qui a déjà rejeté à deux reprises en 1972 et en 1994 par référendum l’adhésion à l’Union européenne. Le gouvernement norvégien, bien que très pro-européen, ne veut pas courir le risque de devoir affronter un troisième échec. La crainte de voir ses ressources énergétiques (surtout le pétrole et le gaz), et sa pêche sous la mainmise de Bruxelles, sont deux arguments importants qui dissuadent aujourd’hui la majorité des Norvégiens (65 % selon un sondage récent) d’intégrer l’UE. A ces ressources naturelles s’ajoutent selon Archer la position stratégique de la Norvège, qui en tant que voisin direct de la Russie, suscite de plus en plus l’intérêt des Etats-Unis.
Selon Silja Bara Omarsdottir, la directrice du Centre pour les études des petits Etats à Reykjavik, le cas de l’Islande est comparable à celui de la Norvège. Elle a expliqué que la crainte d’une perte d’influence en matière politique est le plus souvent invoquée pour expliquer la réticence des Islandais vis-à vis de l’UE. En Islande, les partis politiques sont partagés. Les représentants de l’agriculture et les acteurs économiques qui sont confrontés à une situation économique instable sont deux tranches de la population qui selon Omarsdottir sont en faveur de l’adhésion à l’UE. Des voix se sont levées récemment pour organiser un référendum sur une éventuelle adhésion à l’UE. Pour elle, une chose est claire : on est arrivé à un moment où une décision s’impose.
Laurent Goetschel, professeur suisse de Sciences politiques à l’Institut Europa de Bâle et directeur de Swisspeace, a ébauché un tableau complexe des relations entre la Suisse et de l’Union européenne. Il a détaillé les raisons pour lesquelles la Suisse hésite à adhérer à l’Union européenne.
Argument historique d’abord. Pour Goetschel, les raisons de la Suisse à ne pas rejoindre l’Union européenne ont changé au fil des années, et se sont en quelque sorte inversées. Au début de la construction européenne, les conditions économiques étaient favorables à un rapprochement avec la Communauté européenne, mais la neutralité politique de la Suisse rendait une adhésion impossible. La situation s’est inversée en quelque sorte aujourd’hui. Alors que la Suisse aurait aujourd’hui un intérêt politique grandissant à coopérer avec l’Union européenne, des raisons économiques l’en dissuadent.
Un autre argument que Laurent Goetschel a avancé concerne le déficit démocratique de la manière dont la Suisse participe à certains domaines et politiques européens comme l’espace Schengen et la libre circulation. En tant que pays tiers, la Suisse a le droit de participer aux réunions informelles, aux négociations, mais elle ne pourra jamais participer dans la prise de décision formelle.
Pourquoi la Suisse accepte-elle la situation ? Selon le chercheur, la Suisse favorise aujourd’hui la discrimination positive dans certains domaines comme le secret bancaire. Une autre raison constitue, la tradition de la démocratie directe, qui est inhérente au système politique suisse, et dont on ne sait pas comment elle pourrait s’intégrer dans la vie communautaire.
Laurent Goetschel a livré quelques scénarios, comment le système de la démocratie directe pourrait évoluer si la Suisse devenait Etat membre de l’UE. Deux possibilités s’imposent selon lui. La démocratie directe pourrait être abolie ou être maintenue dans sa forme actuelle. Dans ce cas de figure, les politiciens adopteraient ce que Goetschel a qualifié de politique "let it happen and see". Dans un dernier cas de figure, l’Union européenne développera d’autres modes de participation et d’adhésion, auxquels la Suisse pourrait participer, et sauvegarder ainsi la démocratie directe.
Selon Laurent Goetschel, beaucoup dépendra du référendum sur l’accord sur la libre circulation, qui se tiendra en 2009. Si la population se prononce de manière négative, cela pourrait mettre fin aux relations bilatérales avec l’Union européenne. "C’est une stratégie hautement risquée", a mis en garde Laurent Goetschel, en reconnaissant toutefois que cette stratégie bilatérale a eu beaucoup plus de succès depuis les années 80 qu’attendu. A présent, la Suisse n’a toutefois donné aucun signe positif qui indiquerait une adhésion prochaine.
Une partie de la discussion sur les Etats qui veulent rejoindre l’Union européenne et ceux qui hésitent à la rejoindre aborda la question des Etats des Balkans occidentaux, dont tous les pays aspirent selon Mladen Stanicic de l’Université de Zagreb à devenir membres de l’Union européenne. Le professeur croate montra dans sa revue de la situation dans tous ces pays que de nombreux problèmes n’auraient jamais pu être résolus sans la pression de l’Union européenne. Silvo Devetak, du Centre d’études régionales et ethniques de Maribor en Slovénie reprocha cependant à l’Union européenne de ne pas tenir ses promesses à l’égard de certains pays et critiqua en même temps certains aspects de son approche stratégique, notamment à l’égard de la Serbie. La discussion qui s’ensuivit montra que même parmi les politologues, le conflit en ex-Yougoslavie a laissé des blessures et des traces profondes qui sont loin d’être maîtrisées, et qu’il existe une grande disparité entre la volonté affichée d’aller vers l’Union européenne et la volonté de mettre en pratique sur le terrain les démarches "vertueuses" qui l’ont affirmée en Europe occidentale, centrale et du nord comme un projet de paix durable.
En guise de conclusion d’un colloque qui a eu des problèmes à trouver ses marques théoriques, notamment quand il fut question de souveraineté extérieure et intérieure, ou de l’Etat-nation, Mario Hirsch conclut en quatre points :