Le 22 mai 2008, le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker a fait sa traditionnelle déclaration sur l’état de la nation devant une Chambre des députés comble. L’Europe et l’Union européenne ont évidemment été évoquées en profondeur dans le discours du Premier ministre. L’économie européenne, l’euro, l’agriculture, le biocarburant, la solidarité, l’Europe sociale, la globalisation, le droit de vote pour les résidents européens vivant au Luxembourg, étaient autant de sujets européens abordés par Jean-Claude Juncker.
Jean-Claude Juncker a tout d’abord fait l’éloge de l’idée européenne. Elle a aboli les frontières qui ont si longtemps dramatiquement aliéné les Européens les uns aux autres. L’Europe est selon lui une invention philanthropique dans le plein sens du terme et la "plus belle invention de l’après-guerre", qui mériterait "plus de cent mille prix Nobel". C’est cette idée européenne qui protègera aux yeux du Premier ministre l’Europe contre la haine qui ravage dans le monde et qui produit des centaines de guerre dans tout le monde. Il a toutefois reproché aux Européens, et surtout aux jeunes, de ne plus apprécier l’Europe. "Nous œuvrons à ce qu’ils ne seront plus jamais confrontés à ce vieux démon de la guerre. Il serait bien que plus d’Européens, jeunes et vieux, participent corps et âme à la construction européenne, au lieu de considérer la paix actuelle comme normale alors que la paix n’a jamais été l’état normal de l’Europe".
Le Premier ministre a ensuite plaidé pour une politique agricole européenne efficace et performante. "Nous ne produisons pas assez d’aliments, comme le montre la crise alimentaire actuelle", a-t-il déploré, tout en mettant en garde qu’il est erroné "d’en rendre responsables les agriculteurs", à qui on avait également reproché la surproduction il y a tout juste quelques années. "L’agriculture n’est pas une place de jeux pour les agriculteurs, mais elle est la base de notre alimentation", a insisté Jean-Claude Juncker.
Ramener l’enthousiasme pour les agrocarburants à ses justes proportions était une autre recommandation que Jean-Claude Juncker a adressée à l’auditoire lors de son discours. Leur expansion massive risquerait à ses yeux d’engendrer une réduction dangereuse des surfaces destinées à la production d’aliments. Il faut maintenir l’objectif d’augmenter la part des agrocarburants à 10 % de biocarburants d’ici à 2020, mais seulement s’il est produit selon des conditions écologiquement justifiables. Pour le Premier ministre, l’alimentation doit cependant avoir la priorité absolue sur l'agrocarburant. Selon lui, il faudra davantage favoriser la deuxième génération des biocarburants, qui utilise les déchets organiques et non pas des cultures céréalières ou autres. Afin que le Luxembourg atteigne ses objectifs de Kyoto, il ne suffit pourtant pas d’augmenter la part de biocarburants, mais il faut "mettre en œuvre tous les autres leviers écologiques", dont les économies d’énergie dans les transports, les constructions et les comportements quotidiens.
La globalisation n’est pas l’épouvantail que 59 % des Luxembourgeois croient qu’elle est. Quelques arguments du Premier ministre. Les impulsions économiques des pays émergents poussent la croissance en Europe et au Luxembourg vers le haut. Le Luxembourg fait partie depuis longtemps des gagnants de la globalisation avec des entreprises comme la CLT ou SES qui étaient des entreprises de la globalisation avant même que ce mot était sur toutes les langues. S’il y a des fois des délocalisations, il n’en reste pas moins que depuis 8 ans, 70 000 emplois ont été créés au Luxembourg, dont le marché du travail connaît la plus forte expansion de l’Union.
La crise financière, qui est elle-aussi une crise globale, a donné aux banques centrales des Etats membres de l’Union européenne et à la Banque centrale européenne la possibilité d’injecter des liquidités sur des marchés "asséchés", de leur donner de véritables « injections de solidarité ».
La zone euro, qui est représentée dans le G7, a pu contribuer en avril 2008 à Washington à ce que les grands pays industriels aborderont les points faibles des marchés financiers.
Il est donc pour le Premier ministre faux d’affirmer que les Européens sont laissés en pâture à la globalisation et que l’Union européenne la subirait sans réagir. "L’Europe s’est organisée face à la globalisation."
Un rôle essentiel revient dans le cadre de la globalisation à l’euro. Selon le Premier ministre, "l’euro, que beaucoup ont voulu empêcher de naître et dénigré comme une utopie, est le dispositif le plus important de l’arsenal européen qui permet d’affronter la globalisation". Il est à ses yeux la plus grande performance européenne des 25 dernières années. L’euro, qui fêtera ses dix ans en 2009, a mis fin aux turbulences monétaires, et a apporté une stabilité jamais connue au marché économique européen.
Cette stabilité engendrée par l’euro est essentielle pour une petite économie axée sur les exportations comme celle du Luxembourg, car son commerce extérieur avec ses principaux partenaires se fait avec la même devise. Les échanges sont devenus plus prévisibles.
Depuis l’introduction de l’euro, 17 000 millions d’emplois ont été créés en Europe, et le chômage a atteint son niveau le plus bas depuis 25 ans. Les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas. L’inflation, qui avait atteint une moyenne de 8 % dans les années 80 et de 4 % dans les années 90, tourne en moyenne autour de 2 % par an depuis 2000. "Nous sommes aujourd’hui les copropriétaires de la monnaie la plus forte du monde. Nous n’avons pas perdu, nous avons gagné en souveraineté."
L’euro a permis à l’économie de devenir "plus résistante" selon Juncker, pour qui les Américains font face à la récession alors qu’en Europe, la croissance continue, certes moins que les années précédentes. Et c’est toujours mieux qu’aux USA que les Européens n’ont plus besoin de regarder d’en bas, "mais droit dans les yeux". Une affirmation claire. "L’euro est une pièce maîtresse de la diplomatie de l’Union européenne."
Cela n’empêche pas que l’environnement économique se soit détérioré. Les prévisions économiques pour 2008 indiquent une croissance de 1,7 %, celles pour 2009 une hausse de 1,5 % seulement. Le Fonds monétaire international est même plus pessimiste. Mais les résultats réels de la zone euro pour le premier trimestre 2008 montrent que ce pessimisme n’est pas entièrement justifié. "Il n’y aura pas de récession en Europe", a affirmé un Premier ministre sûr de son fait.
Le Premier ministre, qui avait lancé au cours des dernières semaines une attaque en règle en Europe et dans le monde contre les salaires "exagérément élevés" des dirigeants d’entreprises, a réitéré ses critiques. "L’on nuit à l’économie sociale de marché et à son acceptation quand on exige des salariés la plus grande retenue en matière de salaires et que l’on laisse en même temps exploser les rémunérations des dirigeants tout en récompensant des décisions stratégiques erronées par des indemnités de départ exorbitantes exonérées d’impôts."
Selon lui, le Luxembourg n’est pas obligé de se "jeter dans les bras d’une logique de la dérégulation radicale du droit du travail". Le Grand-Duché ne va rien changer à sa "solide" protection des salariés contre le licenciement. Le Luxembourg est avec 94 % des contrats de travail le pays en Europe avec le pourcentage le plus élevé en contrats de travail à durée indéterminée. Sa loi sur le travail intérimaire fonctionne bien, mais elle doit être vérifiée par rapport à d’éventuels abus. Pour Juncker, les contrats à durée déterminée ne peuvent pas devenir la règle, ni en Europe, ni au Grand-Duché.
Faisant allusion aux jugements dans les affaires Laval, Viking et Rüffert, Jean-Claude Juncker, a signalé que le gouvernement luxembourgeois "suivait avec la plus grande attention et parfois avec de la préoccupation" l’évolution de la jurisprudence européenne en matière sociale : "Les considérations sociales doivent primer sur les considérations liées au marché intérieur." Si des doutes quant à la hiérarchie des valeurs – le social d’abord, l’économique ensuite – ont pu surgir, cela est moins dû aux possibles errements d’une jurisprudence de la Cour de Justice européenne qu’au fait qu’il n’y a pas assez de dispositions sociales en Europe qui coulent ce principe de la primauté dans l’acier. Le gouvernement continuera donc à s’engager sur la voie d’une meilleure prise en compte de la dimension sociale par l’Union européenne. Pour le gouvernement, le marché intérieur ne sera achevé que quand l’Union européenne se sera donné un socle minimum de droits des salariés.
Un autre sujet européen que Jean-Claude Juncker a abordé lors de son discours, concernait la cohésion sociale et l’intégration des non-luxembourgeois. Pour Juncker "cohésion sociale rime avec intégration". A ses yeux, un pays comme le Luxembourg, dont presque la moitié des habitants ne sont pas d’origine luxembourgeoise, ne peut négliger l’intégration de ses communautés étrangères. Une grande avancée dans ce domaine constitue pour le Premier ministre le projet de loi du ministre de l’Intérieur sur le droit de participation des résidents issus de l’Union européenne aux élections européennes et communales. Par ce projet de loi, le délai d’inscription des ressortissants de l’UE sur les listes électorales européennes sera réduit de 14 à trois mois. Selon Juncker, cette nouvelle loi engendrera une plus grande participation aux élections des non-luxembourgeois.