L’Union européenne est un complexe de cultures, de nations, et de différentes traditions. Chaque Etat membre a son histoire, sa mémoire, ses valeurs sociales. Certaines valeurs se veulent communes à l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne, mais chaque pays conserve en même temps son identité particulière. Quelles sont ces valeurs sociales européennes et comment sont-elles compatibles avec les valeurs d’un pays, d’une nation ? Trouver une réponse à cette question, c’est le défi que s’était donné l’exposition roumaine "L’Eurobaromètre visuel", qui est occupe actuellement les cimaises de la Maison de l’Europe à Luxembourg.
L’Eurobaromètre visuel est une initiative lancée en 2005 par le Centre International pour l’Art contemporain de Bucarest (CIAC) et la Délégation de la Commission européenne en Roumanie. En 2007, elle a été reprise dans le cadre des projets du Fonds PHARE - Europa. Il s’agit d’un concours artistique, où les artistes roumains sont invités à travailler sur un sujet précis. L’exposition tournante qui se tient à Luxembourg propose un choix de l’ensemble des œuvres qui avaient été retenues lors des deux concours en 2005 et 2007.
La première édition du concours de 2005 était articulée autour de la question des valeurs sociales au quotidien. Quelles sont les valeurs sociales européennes ? De quelle manière sont-elles compatibles avec les valeurs qui régissent la société roumaine ? Comment les citoyens roumains perçoivent-ils les valeurs européennes ? Au moment où l’initiative fut lancée en 2005, la question des valeurs sociales fut d’autant plus actuelle en Roumanie que le pays se trouvait alors en plein processus d’adhésion à l’Union européenne.
Afin de mieux définir et cibler le sujet de travail, des séminaires avaient été organisés simultanément dans trois villes roumaines avant chaque concours. Le but était d’offrir aux artistes un savoir théorique, et de définir une série de notions. "Au cours des workshops, les artistes avaient été confrontés à des philosophes, des journalistes, des sociologues", a expliqué Irina Cios, la commissaire de l’exposition. "L’objectif était de donner aux artistes un bagage conceptuel qui leur permettrait de mieux structurer leur travail artistique, et de pouvoir agir tant au niveau théorique que pratique".
Les artistes qui ont participé au concours ont abordé la thématique de différentes manières, et le concours a donné naissance à différentes visions du concept des valeurs sociales.
Selon Irina Cios, un intérêt particulier avait été porté à la redéfinition des valeurs et traditions roumaines dans le contexte européen. Une série d’artistes ont proposé une vue critique et ironique de la manière dont les valeurs sociales sont mises en pratique dans la vie quotidienne. Certains étaient soucieux de proposer des solutions ou de provoquer des réactions, comme par exemple la série photographique de Mihai Burlacu, qui s’est penché sur la question de l’attractivité de la Roumanie pour l’Union européenne et inversement. Il s’est donné le défi de trouver à quoi pourrait ressembler une publicité pour "vendre"la Roumanie à l’Union européenne, ou "vendre" l’Europe aux Roumains. Il est parti du slogan de l’Union européenne "Unis dans la diversité". Le résultat : la série " United Colors of Europe".
En 2007, les artistes étaient invités à se pencher sur la notion du voisinage. En partant de la question comment le concept de voisinage peut être défini aujourd’hui, à un moment où la diversité des concepts référentiels offre de multiples chemins.
En Roumanie, l’expérience totalitaire a conduit à une fragmentation des relations de voisinage. Les résidences collectives imposent une vie commune "forcée". Ce qui était autrefois basé sur le principe de l’efficacité entre vie publique et privée, devient aujourd’hui "un non-lieu social". Trop de rencontres détruisent l’attention pour l’autre. L’individualisme et un manque d’intérêt pour l’espace public renforcent cette ambiance.
Le sujet proposé avait donné naissance à différentes approches artistiques. Plusieurs artistes ont été inspirés par les résidences collectives, qui suscitent des réactions à la fois nostalgiques et irritées. Les résidences collectives peuvent produire une homogénéisation de la population, conduire à une société de masse, ou provoquer une rupture.
D’autres encore ont analysé le manque de respect des citoyens pour l’espace public. La vidéo d’Emanuel Borcescu, un des gagnants du concours de 2007, montre comment les habitants d’une résidence collective marquent l’espace public d’une manière primitive : chacun marque "sa" place de parking, afin d’empêcher les autres de l’utiliser.
Loin d’être un simple concours artistique où chaque artiste peut présenter une œuvre sur un sujet vague et imprécis, l’eurobaromètre visuel est donc bien plus un véritable projet de recherche, un travail philosophique et sociologique, où l’artiste doit s’approprier un concept, celui des valeurs sociales, et le rendre « visible » et tangible à travers sa représentation d’un phénomène social.