"Quelles conséquences l’ouverture des frontières peut-elle avoir sur le marché du travail luxembourgeois ?", "Comment les politiciens se situent-ils par rapport à la politique européenne de subventionnements?", "L’énergie nucléaire, peut-elle être une alternative aux énergies fossiles et aux énergies renouvelables ?", "Jusqu’où l’Union européenne veut s’élargir dans le futur ?". C’est à ce genre de questions que le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l'Immigration, Nicolas Schmit, les députés Camille Gira, Charles Goerens, Marco Schank, et Erny Lamborelle, le directeur d’Electrolux, onnt été confrontés lors d’un débat avec les élèves de 12e et 2e, qui s’est déroulé le 21 mai 2008 au Lycée du Nord à Wiltz.
Devant une salle bondée, les politiciens ont répondu sans faux-fuyants aux questions des élèves, qui, bien qu’intimidés au début du débat, ont fini par participer activement aux échanges de vues entre jeunes et politiques, comme les y avait exhortés leur directeur, Jo Troian, qui avait souhaité un dialogue ouvert et franc.
Dans quelle manière l’élargissement de l’Union européenne à des pays de l’Europe de l’Est peut-il constituer une concurrence pour les jeunes sur le marché de travail ? Telle était la première question qui a introduit le débat. Oui, à long terme, l’ouverture des frontières aura des conséquences sur notre marché de travail. C’est le constat qu’a dressé Erny Lamborelle, le directeur d’Electrolux, en faisant référence aux délocalisations récentes de grandes entreprises implantées en Suède, Allemagne ou en Angleterre vers des pays de l’Est de l’Union européenne. Pour lui, il s’agit d’une question de compétitivité. Certains secteurs sont cependant en pleine expansion au Luxembourg.
A la question posée par le modérateur du débat, Frank Goetz, si les jeunes avaient des craintes à ne pas trouver un emploi après leurs études, la plupart ont répondu par un non. "Vous qui êtes ici n’avez pas besoin de vous faire des soucis", les a interpellés Erny Lamborelle, en faisant ainsi référence au grand nombre de jeunes Luxembourgeois qui, eux, quittent l’école sans diplôme.
Marco Schank, député du CSV, a rappelé que le chômage au Luxembourg était un chômage structurel et non conjoncturel. En général, les jeunes diplômés trouvent un travail après relativement peu de temps.
Camille Gira, bourgmestre de la commune de Beckerich et député vert, a annoncé qu’il existe un secteur au Luxembourg qui a du potentiel et qui ne risque pas de se délocaliser vers l’Europe de l’Est. Il s’agit du secteur des énergies renouvelables et de l’environnement en général. Par ailleurs, c’est un secteur qui aura besoin de personnes à la fois non qualifiés et de gens hautement qualifiés.
La discussion tourna ensuite vers la question de la politique européenne des subventions. Les opinions sur ce sujet divergeaient. Erny Lamborelle s’est montré sceptique sur la politique de subventionnement. A ses yeux, un marché sain devrait fonctionner sans subventions. Mais il a reconnu que la politique doit intervenir pour éviter que les nouveaux Etats membres soient déconnectés du reste de l’Union.
Camille Gira a livré une autre interprétation de la politique de subventionnement, qui est selon lui un des piliers les plus importants de la politique européenne, et fait partie de son succès. Pour le député vert, c’est le principe de la solidarité qui doit primer dans ce contexte. Sa critique s’adressait plutôt à la manière dont ces subventions sont distribuées. Au lieu d’investir dans des routes, il faudrait par exemple donner la priorité à l’expansion des réseaux ferroviaires.
Nicolas Schmit a rappelé que les subventions ne représentent qu’une partie du budget total de l’Union européenne, 0,4 % du PIB allant à l’agriculture, 0,35 % allant aux fonds structurels, et ce pour un budget européen global qui représente 1 % du PIB européen. Aux yeux du ministre, il ne faut pas oublier que le Luxembourg a lui aussi profité de la solidarité européenne au moment où son secteur de la sidérurgie a connu une crise structurelle dans les années 70 et 80.
Pour Charles Goerens, la politique doit parfois avoir le courage de soutenir certains secteurs, qui ne se développeraient pas sans son aide, comme par exemple le secteur des énergies renouvelables ou l’agriculture. Même son de cloche chez Marco Schank, qui a estimé que la politique doit parfois intervenir en tant que régulateur du marché.
C’est ainsi que le débat a tourné vers la question de l’énergie, qui semblait beaucoup préoccuper les jeunes. Faut-il investir massivement dans les énergies renouvelables, ou favoriser l’énergie atomique ? L’opinion de certains élèves divergeait fortement de celle des politiques, qui avaient du mal à convaincre les jeunes des dangers que peut représenter l’énergie atomique. Ce qui a été révélé à travers ce débat, c’est qu’une sorte de changement d’opinion semble s’opérer parmi les jeunes au sujet de l’énergie nucléaire, à laquelle ils semblent être plus favorables que les politiques.
De manière quelque peu provocatrice, un étudiant a déclaré que l’énergie nucléaire était beaucoup plus rentable que les énergies renouvelables. Il a cité l’exemple de l’Allemagne, qui construit des centrales à charbon pour compenser les manques qui résulteront du débranchement des centrales nucléaires. « Combien de cellules solaires faut-il pour compenser une centrale nucléaire", a-t-il lancé aux invités. Pour ce jeune, la technologie qui a conduit à la catastrophe de Tchernobyl ne peut être comparée à celle des "centrales hypermodernes européennes".
Camille Gira n’était pas du tout de la même opinion. "Tout ce qui peut arriver, arrivera", a-t-il préconisé. Selon ce député vert convaincu, l’énergie atomique ne peut en aucun cas représenter une alternative aux énergies fossiles ou renouvelables, surtout parce que la question du traitement des déchets nucléaires est loin d’être résolue. Pour lui, le "leitmotiv" doit être "économiser le plus possible la consommation en énergie". Charles Goerens s’est montré très surpris de l’acceptation dont jouit l’énergie atomique parmi les jeunes. Lui aussi a préconisé l’économie de l’énergie. Erny Lamborelle a remarqué que "si tous les appareils électroniques qui sont âgés de plus de dix ans seraient remplacés, alors on aurait résolu un tiers du problème".
Nicolas Schmit a affiché des couleurs plus nuancées. Selon lui, on ne peut pas se passer "comme ca" de l’énergie nucléaire. "La fermeture des centrales nucléaires crée des problèmes", a-t-il avancé. Il n’est pas non plus totalement contre les centrales à charbon. "C’est toujours une question de technologie", a expliqué le ministre.
Un autre sujet qui fut abordé lors de la table-ronde était l’appel du Parlement européen au boycott des Jeux Olympiques de Pékin en été 2008 au cas où la Chine refuserait de reprendre le dialogue avec le Dalaï Lama. Un étudiant a lancé la question dans quelle mesure cette menace pourrait être réaliste. Charles Goerens a loué l’attitude du Parlement européen, qui était à ses yeux "un des seuls à avoir fait pression sur le gouvernement chinois". Selon lui, cette politique a porté ses fruits, puisque le dialogue entre le Dalaï Lama et des représentants du gouvernement de Pékin a repris tout doucement. Dans ce contexte, il s’est prononcé en faveur de ce qu’il appelait la "politique des petits pas", qui a souvent selon le député apporté de meilleurs résultats que les grandes actions, et contre un boycott des jeux.
La dernière partie de la rencontre fut dédiée à la question des élargissements futurs de l’Union européenne et à la question des bénéfices d’une éventuelle adhésion turque à l’Union. Pour Marco Schank, accueillir la Turquie en tant qu’Etat membre au sein de l’Union européenne peut présenter des chances, et notamment en ce qui concerne le dialogue entre les religions. La Turquie pourrait par exemple faire office de "pont" entre l’Ouest et l’Est. Selon lui, on ne peut pas "dire de prime abord que nous n’en voulons pas de la Turquie".
Charles Goerens a estimé qu’il ne faut pas adopter une attitude fataliste à l’égard des questions de l’élargissement. Selon lui, l’élargissement fait des gagnants de tous les côtés. "Nous ne serions pas une meilleure Europe, si nous n’étions pas à 27", a-t-il résumé.
Pour Nicolas Schmit, la question dans quelle mesure l’Union européenne devrait s’étendre, est une "discussion de plusieurs heures minimum". Le ministre "n’est ni pour ni contre la Turquie", mais à ses yeux, il faut évaluer comment un pays grand comme la Turquie peut changer l’Union européenne dans son fonctionnement et dans ses objectifs. "Si le résultat des élargissements est une UE moins dynamique, alors nous n’avons pas bien travaillé", a-t-il conclu.