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Traités et Affaires institutionnelles
Jean Asselborn : "Le ‘Non’ irlandais n’est pas un problème irlandais, mais un problème européen"
16-06-2008


Jean Asselborn, Franco FrattiniTout au long de la journée du 16 juin 2008, alors que se tenait le Conseil des ministres européens des Affaires étrangères, les ministres luxembourgeois Jean Asselborn et Nicolas Schmit ont livré des éléments de leur analyse de la situation en Europe après le "Non" irlandais au traité de Lisbonne. Il faut continuer le processus de ratification, respecter le vote irlandais, travailler avec les Irlandais à une solution commune, être patients mais ne pas perdre trop de temps, éviter de conjurer une crise européenne, s’occuper des vrais problèmes des citoyens comme la cherté de l’énergie et des aliments, voilà quelques éléments qui se sont dégagés au cours d’une journée particulière au Kirchberg.     

Asselborn : Continuer le processus de ratification

Dans une interview accordée au Deutschlandfunk le matin du 16 juin 2008, juste avant le début des travaux du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne qui se réunissait à Luxembourg,  le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a livré sa vision de ce qu'il a appelé dans un premier temps une nouvelle "crise" dans laquelle l'Union européenne se trouvait catapultée par le "Non" irlandais au traité de Lisbonne.

Aux yeux de Jean Asselborn, ni le Conseil des ministres de ce jour, ni le Conseil européen des 19 et 20 juin "n’allaient permettre de trouver une formule magique" pour sortir de ce qu’il a qualifié le matin du 16 juin une crise. Il faudrait par contre essayer de trouver, de concert avec les Irlandais, un chemin pour sortir de la situation.

Pour Asselborn, il a été au cours de toute la journée essentiel que le processus de ratification du traité de Lisbonne soit poursuivi dans les huit Etats membres, qui ne l'ont pas encore entamé. "Il nous faut une solidarité politique des 27 Etats membres, et non pas seulement de 26 Etat membres", a souligné le ministre, pour qui l'entrée en vigueur du traité le 1er janvier 2009  est par ailleurs compromise. Autre point important aux yeux d'Asselborn: un troisième processus de ratification (et donc une nouvelle ronde de négociations) doit à tout prix être évité.

Un des moyens pour aider les Irlandais "à se remettre sur les rails communs", est d'aborder patiemment avec eux des éléments d'une déclaration qui dirait que l'Union européenne s'abstiendra de toute immixtion en matière d'avortement, respectera la neutralité de l'Irlande, et maintiendra l'unanimité en matière fiscale.

Asselborn : S’occuper des vrais problèmes des citoyens

Ce que Jean Asselborn a le plus regretté, ce n'était cependant pas ce qu’il qualifiait le matin du 16 juin de "crise institutionnelle", mais que l'Europe s'occupe avant tout d'elle-même, alors que les prix des carburants et des aliments augmentent et que des milliers de gens iront manifester à Bruxelles. "Je ne pense pas que l'Europe puisse se permettre de rester dans son coin et de s'occuper pendant deux ou trois ans d'elle-même. Le monde n'attendra pas l'Europe."

Jean Asselborn s'est également interrogé sur la nécessité d'un référendum. "Nous devons comprendre que l'on ne peut pas recourir à la démocratie directe pour gouverner un ensemble politique de 500 millions d'habitants." Et d'ajouter: en ce qui concerne le Luxembourg : "Si aux débuts de l'Union européenne dans les années cinquante, on avait fait des référendums en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg pour savoir si l'Allemagne devait devenir membre de la Communauté européenne et être assise autour de la même table avec tous les autres pays, l'issue de ces référendums aurait sûrement été négative."

Nicolas Schmit : S’abstenir de déclarations du genre "nous sommes sur le chemin de l'Europe du noyau dur"

Nicolas SchmitNicolas Schmit, le ministre délégué aux Affaires étrangères, a déclaré en marge du Conseil "que l'athmosphère n'était pas à l'euphorie". L'issue largement commenté du référendum irlandais a "bouleversé l'agenda du Conseil européen des 19 et 20 juin qui devait entamer la discussion sur la mise en vigueur du traité de Lisbonne."

Le ministre délégué a indiqué plusieurs pistes pour que l'Union européenne puisse sortir de ce "blocage provisoire".  Il faudra selon lui surtout "ne pas brusquer les Irlandais et s'accorder du temps pour une solution qui ne sera pas trouvée dans les prochains jours". Il faudra également s'abstenir de toute déclaration intempestive qui pointerait du doigt contre les Irlandais. Schmit s'est surtout élevé contre des déclarations du genre "nous sommes sur le chemin de l'Europe du noyau dur". Pour Schmit, l'Irlande, qui a adopté l'euro, se trouve au cœur de l’Europe.

Nicolas Schmit : "Soyons plus retenus avant de dire que l’Europe est en crise !"

Nicolas Schmit s'est également prononcé pour la continuation du processus de ratification et a exclu qu'une nouvelle période de réflexion commence, comme ce fut le cas après les Non de la France et des Pays-Bas. Qu'est-ce qui est différent cette-fois ci pour qu'une période de réflexion soit exclue par le ministre? "Avant, il s'agissait d'un processus qui devait faire passer l'Europe d'un traité, le traité de Nice, à un traité de type constitutionnel. Maintenant il s'agit de passer du traité de Nice au traité de Lisbonne." Schmit a souligné l'engagement réitéré par le Royaume Uni que le processus de ratification va continuer au niveau de la Chambre des Lords et l’espoir qu’il mettait en Londres. Une ratification par ce pays souvent retors au processus d’intégration européenne serait un signal important.

Nicolas Schmit ne pense pas qu'une solution à l'actuelle situation pourra être trouvée avant les élections européennes avant juin 2009. Mais cette échéance reste une option. "Beaucoup dépendra de la manière dont nous traiterons les Irlandais. Ainsi, il est légitime de se poser la question si l'Europe est en crise. Soyons un peu plus retenus. Posons-nous d'abord la question comment il a pu être possible qu'une population plutôt pro-européenne d'un pays qui a pu largement bénéficier de son adhésion à l'Union européenne ait pu céder ainsi aux sirènes populistes." La seule "vraie catastrophe" qui puisse selon Schmit arriver, c’est que l’on n’arrive pas à se faire rencontrer les citoyens et l’Union européenne, alors qu’un rendez-vous important, les élections européenne de juin 2009, s’annonce.

Asselborn : "Aucun ministre n’a dit en salle que le traité de Lisbonne était mort"

Tôt dans la soirée, Jean Asselborn a de nouveau rencontré la presse pour lui faire part des entretiens au Conseil avec le ministre des Affaires étrangères irlandais, Micheal Martin.

Deux premiers constats furent établis : le référendum, qui a vu une très forte participation (53,5 % au lieu des 35 % en 2001 lors du rejet du traité de Nice par les Irlandais) a soulevé des questions qui n’étaient pas du tout liées au traité de Lisbonne.

Parmi elles la peur que l’Irlande puisse perdre son autonomie ou sa souveraineté, que la Charte des droits fondamentaux puisse être invoquée pour que l’Europe se mêle de la législation sur l’avortement que la neutralité de l’Irlande soit mise en cause, etc..  

Le deuxième constat fut que ni le 16 ni le 19 au Conseil européen, il y aura de proposition irlandaise pour une solution. Lors du rejet du traité de Maastricht par le Danemark en 1992 et du rejet du traité de Nice par l’Irlande en 2001, il avait à chaque fois fallu attendre entre 18 mois et deux ans avant d procéder à une nouvelle consultation populaire.

Une option demeure par contre exclue : que le traité de Lisbonne soit complètement renégocié à l’instar de ce qui s’est passé après le rejet de du traité constitutionnel par la France et les Pays-Bas en 2005 et que l’on aille ainsi vers un troisième processus de ratification. "Aucun ministre n’a dit en salle que le traité de Lisbonne était mort", a affirmé Asselborn. En même temps, il a exprimé l’espoir "qu’aucun Etat membre ne se cachera derrière le 'Non' irlandais pour ne pas ratifier".

"Le ‘Non’ irlandais n’est pas un problème irlandais, mais un problème européen", a déclaré un Jean Asselborn qui n’a plus parlé de crise après la réunion des ministres. "t il ne pourra pas être résolu contre les Irlandais mais avec les Irlandais."

Les travers institutionnels du statu quo

Reste que le risque est grand que le traité de Nice soit d’application pour le prochain Parlement européen qui ne comptera donc pas 751 députés redistribués – sous-entendu de manière plus juste -entre Etats membres – mais 736.

D’autre part, alors que selon le traité de Lisbonne, la Commission devait comprendre un commissaire par État membre jusqu’en 2014,  et que ce n’est qu’après qu’elle sera réduite à un nombre correspondant aux deux tiers du nombre d’États membres, la prochaine Commission risque d’être régie selon le traité de Nice. Or, celui-ci prévoit que dès 2009, le nombre des commissaires sera inférieur à celui du nombre des États membres à partir de la date d'entrée en fonction de la première Commission suivant l'adhésion du vingt-septième État membre, donc normalement à partir de novembre 2009). Le nombre exact sera alors fixé par le Conseil statuant à l'unanimité.

Bref, le statu quo ne peut selon Asselborn qu’attiser les craintes qu’ont les Irlandais d’être privé de commissaire.