Cette directive a pour objectif de garantir aux travailleurs détachés, indépendamment de la loi applicable à leur relation de travail (en particulier la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles), l'application de certaines dispositions protectrices minimales en vigueur dans l'État membre dans lequel il est détaché.
Selon l'article 3, paragraphe 1 de la directive, les Etats veillent à ce que, sur leur territoire, les entreprises entrant dans son champ d’application garantissent aux travailleurs détachés les conditions de travail et d’emploi qui sont fixées par les dispositions législatives, réglementaires et administratives et/ou les conventions collectives d’application générale concernant les activités du domaine de la construction visées en annexe, qui portent sur les matières suivantes:
Les États membres ont également la possibilité d'imposer, dans le respect du Traité, l'application de conditions de travail et d'emploi concernant des matières autres que celles énumérées dans la directive dans la mesure où il s'agit de dispositions d'ordre public.
Concrètement, la Directive 96/71/CE prévoit un "noyau dur" de règles impératives de protection minimale que doivent respecter les employeurs qui envoient des salariés dans un Etat, dit "pays d’accueil", en vue d’exécuter, à titre temporaire, une prestation dans cet Etat.
La Commission européenne avait attaqué en avril 2004 le Luxembourg pour avoir manqué de transposer correctement la directive sur quatre points :
La CJCE a rejeté la manière dont le Luxembourg a invoqué dans le contexte de la directive 96/71 de la notion d’ordre public. Celle-ci constitue selon la CJCE "une dérogation au principe fondamental de la libre prestation des services, devant être entendue strictement et dont la portée ne saurait être déterminée unilatéralement par les États membres." Les mots "dispositions d’ordre public" devraient être considérés selon elle "comme couvrant celles des dispositions obligatoires à l’égard desquelles il ne peut être dérogé et qui, par leur nature et leur objectif, répondent aux exigences impératives de l’intérêt public." Il en découle pour la CJCE que l’ordre public ne peut être invoqué "qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société." Si un Etat membre veut appliquer une mesure qui constitue une dérogation au principe de la libre prestation des services, "elle doit être accompagnée d’une analyse de l’opportunité et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État."
Dès lors, l’obligation contestée par la Commission de ne détacher que le personnel lié à l’entreprise par un contrat de travail écrit ou un autre document réputé analogue aux termes de la directive 91/533 a, selon la CJCE, "pour effet de soumettre les entreprises qui détachent des travailleurs au Luxembourg à une obligation à laquelle elles sont déjà soumises dans l’État membre dans lequel elles sont établies."
"En ce qui concerne la prescription relative à l’adaptation automatique de la rémunération à l’évolution du coût de la vie, il ressort du recours introduit par la Commission que cette dernière conteste non pas le fait que les salaires minimaux sont indexés sur le coût de la vie, une telle prescription relevant incontestablement, ainsi que le fait remarquer le Grand-Duché de Luxembourg, de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71, mais la circonstance que cette indexation concerne l’ensemble des rémunérations, y compris les salaires qui ne relèvent pas de la catégorie des salaires minimaux."
À cet égard, la CJCE souligne que "le législateur communautaire a (..) entendu limiter la faculté d’intervention des États membres, en ce qui concerne les salaires, aux taux de salaire minimal."
Elle critique dans ce contexte le Luxembourg qui, "afin de permettre à la Cour d’apprécier si les mesures en cause sont nécessaires et proportionnées par rapport à l’objectif de sauvegarde de l’ordre public, (..) aurait dû présenter des éléments permettant d’établir si et dans quelle mesure l’application aux travailleurs détachés au Luxembourg de la prescription relative à l’adaptation automatique des salaires à l’évolution du coût de la vie est susceptible de contribuer à la réalisation de cet objectif." Le Luxembourg ne saurait donc "se prévaloir de l’exception d’ordre public (..) pour imposer aux entreprises effectuant un détachement sur son territoire la prescription relative à l’adaptation automatique des salaires autres que les salaires minimaux à l’évolution du coût de la vie."
En ce qui concerne la prescription relative à la réglementation du travail à temps partiel et à durée déterminée, la Cour souligne que cette prescription "relève d’une matière qui n’est pas mentionnée sur la liste figurant à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71."
En ce qui concerne la prescription relative aux dispositions impératives de droit national en matière de conventions collectives de travail, la Cour déclare "que rien ne justifie que les dispositions ayant trait aux conventions collectives de travail, à savoir celles qui en encadrent l’élaboration et la mise en œuvre, puissent, per se et sans autre précision, relever de la notion d’ordre public" et que la compétence des Etats membres se rapporte exclusivement aux conditions de travail et d’emploi fixées par des conventions collectives déclarées d’application générale.
La Commission a reproché au Luxembourg une transposition incomplète de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 96/71 relatif au respect des périodes maximales de travail et des périodes minimales de repos. Le Grand-Duché de Luxembourg a déjà au cours de la procédure reconnu le bien-fondé de ce grief et a indiqué qu’il avait modifié sa législation en 2006 afin de mettre en conformité la législation nationale avec les dispositions communautaires pertinentes.
Pour la CJCE, "la procédure de déclaration préalable que doit suivre une entreprise souhaitant effectuer un détachement sur le territoire luxembourgeois n’est pas dénuée d’ambiguïtés". Ces ambiguïtés sont selon elle "susceptibles de dissuader les entreprises désirant détacher des travailleurs au Luxembourg d’exercer leur liberté de prestation de services", d’autant plus que "les entreprises n’ayant pas observé les obligations prévues par ladite disposition encourent des sanctions non négligeables." Elle est donc incompatible avec l’article 49 CE Article 49 qui interdit "les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté (..) à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation."
Le Luxembourg a défendu ce mécanisme qui permet aux autorités administratives compétentes, en l’occurrence l’Inspection du Travail et des Mines (ITM), d’effectuer des contrôles ordinaires avec l’efficacité requise. "À cet égard, la Cour a jugé que la protection efficace des travailleurs peut exiger que certains documents soient tenus à disposition sur le lieu de la prestation ou, au moins, en un lieu accessible et clairement identifié du territoire de l’État membre d’accueil pour les autorités de cet État chargées d’effectuer les contrôles." Mais elle a aussi jugé "qu’une obligation de conservation des documents auprès d’une personne physique domiciliée sur le territoire de l’État membre d’accueil ne saurait être justifiée." La Cour a également jugé "que le système organisé de coopération ou d’échange d’informations entre États membres (..) rend superflue la conservation de ces documents dans l’État membre d’accueil après que l’employeur a cessé d’y employer des travailleurs."
Par conséquent, le Luxembourg ne peut pas exiger selon la Cour "des entreprises qui détachent des travailleurs qu’elles fassent le nécessaire pour conserver lesdits documents sur le territoire luxembourgeois à l’issue de la fourniture de la prestation de services."
"Une obligation de conservation desdits documents antérieurement au commencement des travaux constituerait une entrave à la libre prestation des services qu’il appartiendrait au Grand-Duché de Luxembourg de justifier par d’autres arguments que de simples doutes quant à l’efficacité du système organisé de coopération ou d’échange d’informations entre États membres prévu à l’article 4 de la directive 96/71."
De ce fait la Cour a déclaré et arrêté :
"Le Grand-Duché de Luxembourg,