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Emploi et politique sociale - Marché intérieur
La CJCE a condamné le Luxembourg pour sa transposition de la directive 96/71 sur le détachement des travailleurs
19-06-2008


Le 19 juin 2008, la CJCE a rendu un arrêt à l’encontre du Luxembourg au sujet de la transposition de la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs dans laquelle elle condamne le Luxembourg sur tous les points de litige.  Cet arrêt qui vise la loi du 20 décembre 2002 portant transposition de la directive 96/71/CE a soulevé un vaste débat autour de ses implications pour le droit du travail luxembourgeois et sur l’Europe sociale. Lisez ci-dessous les principaux éléments de l’arrêt de la CJCE.

Le contenu de la directive 96/71/CE

Cette directive a pour objectif de garantir aux travailleurs détachés, indépendamment de la loi applicable à leur relation de travail (en particulier la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles), l'application de certaines dispositions protectrices minimales en vigueur dans l'État membre dans lequel il est détaché.

Selon l'article 3, paragraphe 1 de la directive, les Etats veillent à ce que, sur leur territoire, les entreprises entrant dans son champ d’application garantissent aux travailleurs détachés les conditions de travail et d’emploi qui sont fixées par les dispositions législatives, réglementaires et administratives et/ou les conventions collectives d’application générale concernant les activités du domaine de la construction visées en annexe, qui portent sur les matières suivantes:

  • les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos,
  • la durée minimale des congés annuels payés,
  • les taux de salaire minimum,
  • les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment des entreprises de travail intérimaire,
  • la sécurité, la santé et l'hygiène au travail,
  • les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d'emploi des femmes  enceintes et des femmes venant d'accoucher, des enfants et des jeunes et l’égalité de traitement entre homme et femme.

Les États membres ont également la possibilité d'imposer, dans le respect du Traité, l'application de conditions de travail et d'emploi concernant des matières autres que celles énumérées dans la directive dans la mesure où il s'agit de dispositions d'ordre public.

Concrètement, la Directive 96/71/CE prévoit un "noyau dur" de règles impératives de protection minimale que doivent respecter les employeurs qui envoient des salariés dans un Etat, dit "pays d’accueil", en vue d’exécuter, à titre temporaire, une prestation dans cet Etat.

Les griefs de la Commission européenne contre le Luxembourg

La Commission européenne avait attaqué en avril 2004 le Luxembourg pour avoir manqué de transposer correctement la directive sur quatre points :

  1. les dispositions d’ordre public :
    1. l’obligation de ne détacher que le personnel lié à l’entreprise par un contrat de travail écrit ou un autre document réputé analogue aux termes de la directive 91/533.
    2. l’adaptation automatique de la rémunération à l’évolution du coût de la vie, la Commission soutenant que la législation luxembourgeoise est en contradiction avec la directive 96/71 qui ne prévoit une réglementation par l’État membre d’accueil des taux de salaire qu’en ce qui concerne les salaires minimaux
    3. sur le respect de la réglementation du travail à temps partiel et à durée déterminée, la Commission a fait valoir qu’il n’appartient pas à l’État membre d’accueil d’imposer sa réglementation en matière de travail à temps partiel et à durée déterminée aux entreprises qui détachent des travailleurs sur son territoire.
    4. sur l’obligation de respecter des conventions collectives de travail, la Commission fait valoir que ne sauraient constituer des dispositions de police relevant de l’ordre public national
  2. les repos hebdomadaires, où la Commission a reproché au  Luxembourg une transposition incomplète de la directive 96/71 relatif au respect des périodes maximales de travail et des périodes minimales de repos
  3. l’obligation de présentation des documents relatifs à un détachement sur simple demande des autorités nationales entraînait selon la Commission  pour les entreprises désirant détacher des travailleurs au Luxembourg, une insécurité juridique. Ainsi, l’obligation pour toute entreprise de rendre accessible à l’Inspection du travail et des mines avant le commencement des travaux, sur simple demande et dans le plus bref délai possible, les indications essentielles indispensables à un contrôle s’apparenterait, dans le cas d’un détachement, à une procédure de déclaration préalable incompatible avec l’article 49 CE. Toutefois, si tel ne devait pas être le cas, il conviendrait, néanmoins, de modifier le texte de la disposition litigieuse pour écarter toute ambiguïté juridique
  4. l’obligation de désigner un mandataire ad hoc résidant au Luxembourg et conservant tous les documents nécessaires aux fins des contrôles est considérée par la Commission comme une restriction à la libre prestation des services

L’approche de la CJCE

Les dispositions d’ordre public

La CJCE a rejeté la manière dont le Luxembourg a invoqué dans le contexte de la directive 96/71 de la notion d’ordre public. Celle-ci constitue selon la CJCE "une dérogation au principe fondamental de la libre prestation des services, devant être entendue strictement et dont la portée ne saurait être déterminée unilatéralement par les États membres." Les mots "dispositions d’ordre public" devraient être considérés selon elle "comme couvrant celles des dispositions obligatoires à l’égard desquelles il ne peut être dérogé et qui, par leur nature et leur objectif, répondent aux exigences impératives de l’intérêt public." Il en découle pour la CJCE que l’ordre public ne peut être invoqué "qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société." Si un Etat membre veut appliquer une mesure qui constitue une dérogation au principe de la libre prestation des services, "elle doit être accompagnée d’une analyse de l’opportunité et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État."

Dès lors, l’obligation contestée par la Commission de ne détacher que le personnel lié à l’entreprise par un contrat de travail écrit ou un autre document réputé analogue aux termes de la directive 91/533 a, selon la CJCE, "pour effet de soumettre les entreprises qui détachent des travailleurs au Luxembourg à une obligation à laquelle elles sont déjà soumises dans l’État membre dans lequel elles sont établies."

"En ce qui concerne la prescription relative à l’adaptation automatique de la rémunération à l’évolution du coût de la vie, il ressort du recours introduit par la Commission que cette dernière conteste non pas le fait que les salaires minimaux sont indexés sur le coût de la vie, une telle prescription relevant incontestablement, ainsi que le fait remarquer le Grand-Duché de Luxembourg, de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71, mais la circonstance que cette indexation concerne l’ensemble des rémunérations, y compris les salaires qui ne relèvent pas de la catégorie des salaires minimaux."

À cet égard, la CJCE souligne que "le législateur communautaire a (..) entendu limiter la faculté d’intervention des États membres, en ce qui concerne les salaires, aux taux de salaire minimal."

Elle critique dans ce contexte le Luxembourg qui, "afin de permettre à la Cour d’apprécier si les mesures en cause sont nécessaires et proportionnées par rapport à l’objectif de sauvegarde de l’ordre public, (..) aurait dû présenter des éléments permettant d’établir si et dans quelle mesure l’application aux travailleurs détachés au Luxembourg de la prescription relative à l’adaptation automatique des salaires à l’évolution du coût de la vie est susceptible de contribuer à la réalisation de cet objectif." Le Luxembourg ne saurait donc "se prévaloir de l’exception d’ordre public (..) pour imposer aux entreprises effectuant un détachement sur son territoire la prescription relative à l’adaptation automatique des salaires autres que les salaires minimaux à l’évolution du coût de la vie."

En ce qui concerne la prescription relative à la réglementation du travail à temps partiel et à durée déterminée, la Cour souligne que cette prescription "relève d’une matière qui n’est pas mentionnée sur la liste figurant à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71."

En ce qui concerne la prescription relative aux dispositions impératives de droit national en matière de conventions collectives de travail, la Cour déclare "que rien ne justifie que les dispositions ayant trait aux conventions collectives de travail, à savoir celles qui en encadrent l’élaboration et la mise en œuvre, puissent, per se et sans autre précision, relever de la notion d’ordre public" et que la compétence des Etats membres se rapporte exclusivement aux conditions de travail et d’emploi fixées par des conventions collectives déclarées d’application générale.

Les périodes de repos

La Commission a reproché au Luxembourg une transposition incomplète de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 96/71 relatif au respect des périodes maximales de travail et des périodes minimales de repos. Le Grand-Duché de Luxembourg a déjà au cours de la procédure reconnu le bien-fondé de ce grief et a indiqué qu’il avait modifié sa législation en 2006 afin de mettre en conformité la législation nationale avec les dispositions communautaires pertinentes.

L’obligation de présentation des documents relatifs à un détachement sur simple demande des autorités nationales

Pour la CJCE,  "la procédure de déclaration préalable que doit suivre une entreprise souhaitant effectuer un détachement sur le territoire luxembourgeois n’est pas dénuée d’ambiguïtés". Ces ambiguïtés sont selon elle "susceptibles de dissuader les entreprises désirant détacher des travailleurs au Luxembourg d’exercer leur liberté de prestation de services", d’autant plus que "les entreprises n’ayant pas observé les obligations prévues par ladite disposition encourent des sanctions non négligeables." Elle est donc incompatible avec l’article 49 CE Article 49 qui interdit "les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté (..) à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation."

L’obligation de désigner un mandataire ad hoc résidant au Luxembourg et de conserver des documents

Le Luxembourg a défendu ce mécanisme qui permet aux autorités administratives compétentes, en l’occurrence l’Inspection du Travail et des Mines (ITM), d’effectuer des contrôles ordinaires avec l’efficacité requise. "À cet égard, la Cour a jugé que la protection efficace des travailleurs peut exiger que certains documents soient tenus à disposition sur le lieu de la prestation ou, au moins, en un lieu accessible et clairement identifié du territoire de l’État membre d’accueil pour les autorités de cet État chargées d’effectuer les contrôles." Mais elle a aussi jugé "qu’une obligation de conservation des documents auprès d’une personne physique domiciliée sur le territoire de l’État membre d’accueil ne saurait être justifiée." La Cour a également jugé "que le système organisé de coopération ou d’échange d’informations entre États membres  (..) rend superflue la conservation de ces documents dans l’État membre d’accueil après que l’employeur a cessé d’y employer des travailleurs."

Par conséquent, le Luxembourg ne peut pas exiger selon la Cour "des entreprises qui détachent des travailleurs qu’elles fassent le nécessaire pour conserver lesdits documents sur le territoire luxembourgeois à l’issue de la fourniture de la prestation de services."

"Une obligation de conservation desdits documents antérieurement au commencement des travaux constituerait une entrave à la libre prestation des services qu’il appartiendrait au Grand-Duché de Luxembourg de justifier par d’autres arguments que de simples doutes quant à l’efficacité du système organisé de coopération ou d’échange d’informations entre États membres prévu à l’article 4 de la directive 96/71."

L'arrêt

De ce fait la Cour a déclaré et arrêté :

"Le Grand-Duché de Luxembourg,

  • en déclarant que les dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, points 1, 2, 8 et 11, de la loi du 20 décembre 2002 portant transposition de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et réglementation du contrôle de l’application du droit du travail constituent des dispositions de police relevant de l’ordre public national;
  • en ayant transposé de manière incomplète les dispositions de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services;
  • en énonçant, à l’article 7, paragraphe 1, de cette loi du 20 décembre 2002, les conditions relatives à l’accès aux indications essentielles indispensables à un contrôle par les autorités nationales compétentes d’une manière manquant de la clarté nécessaire pour assurer la sécurité juridique des entreprises désirant détacher des travailleurs au Luxembourg, et
  • en imposant, à l’article 8 de ladite loi, la conservation au Luxembourg, entre les mains d’un mandataire ad hoc y résidant, des documents nécessaires au contrôle;
  • a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, lu en combinaison avec le paragraphe 10 de cet article, ainsi que des articles 49 CE et 50 CE."