L’arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) contre le Luxembourg pour sa transposition jugée non-conforme de la directive "détachement" est "une attaque contre l’Europe sociale". Tel était le constat unanime qu’ont dressé les deux syndicats luxembourgeois, l’OGB-L et le LCGB, qui ont manifesté leur désaccord avec le verdict européen au cours d’une conférence de presse conjointe convoquée par leur secrétariat commun européen le 20 juin 2008.
Aux yeux du président de l’OGBL, Jean-Claude Reding, l’arrêt de la CJCE est un coup dur pour l’Europe sociale. Pour lui, cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne d’une série de jugements récents – les arrêts Laval, Viking et Rüffert -, qui signifient un recul de la dimension sociale en Europe.
La directive "détachement" ou 96/71, qui, selon le syndicaliste, concerne un nombre croissant de travailleurs, avait initialement été perçue d’un œil bienveillant par les syndicats luxembourgeois. Ne fixe-t-elle pas des standards minimaux pour les travailleurs détachés pour l’ensemble de l’Union européenne, tout en laissant aux Etats membre la possibilité de définir des standards plus élevés, une clause dont avait fait usage le Luxembourg. La donne a cependant changé avec l’arrêt de la CJCE. "La protection minimale instaurée par la directive se transforme tout à coup en protection maximale", a lancé un Jean-Claude Reding indigné.
La CJCE reproche entre autres au Luxembourg de trop étendre sa définition du concept de l’ordre public. Un autre aspect de la condamnation de la CJCE concerne la réglementation luxembourgeoise sur l’indexation des salaires. Celle-ci prévoyait jusqu’à présent que l’indexation doit s’appliquer à l’ensemble des travailleurs détachés au Luxembourg. La Cour de Justice a décidé que désormais, seuls les salaires minimaux légaux pourront bénéficier de l’indexation. Dans l’analyse de Jean-Claude Reding, ceci pourra créer une situation de discrimination pour les entreprises luxembourgeoises qui pourraient devenir victimes de dumping social. "Il ne faut pas oublier que notre marché du travail est dans une très large mesure un marché transfrontalier", a mis en garde Jean-Claude Reding.
Pour Reding, l’arrêt de la CJCE constitue une "attaque lourde de conséquences" contre l’ordre social au Luxembourg. Il voit dans cette jurisprudence "une immixtion de la Commission européenne dans le droit du travail national". "Il s’agit d’une question qui relève de la compétence nationale", a-t-il insisté, en ajoutant: "La Commission prétendait toujours que le droit du travail relevait exclusivement de la compétence des Etats membres. Par les arrêts qui se multiplient ses derniers temps, on constate que la Commission européenne essaie de faire rentrer la directive Bolkestein par la petite porte."
Le président de l’OGB-L a ensuite critiqué l’attitude affichée par la CJCE, qui tend à privilégier la liberté de circulation des services au détriment des politiques sociales. "Si le droit social et du travail national empêche la libre circulation, alors il doit être changé", a condamné fermement le président de l’OGB-L. "Que voulons-nous privilégier l’Europe sociale ou la libre prestation des services, l’économie ?", a-t-il lancé.
Robert Weber, le président du LCGB, a également pris un ton sévère et tranchant. Il ne suffit plus pour les syndicats luxembourgeois d’être présents au niveau national, mais ils doivent aussi s’engager au niveau de la Grande Région, au niveau européen, voire au niveau global auprès du Bureau international du travail (BIT) qu’il a qualifié de dernier rempart conventionnel des droits des travailleurs.
C’est la conclusion politique que Robert Weber, président du LCGB, tire de l’arrêt de la Cour de Justice. Pour lui, cet arrêt est décevant. "Jusqu’à présent, nous étions partis du principe que nous avions bien transposé la directive détachement", regretta-t-il.
Aux yeux de Robert Weber, l’importance de la dimension sociale en Europe est relativisée et même dégradée par l’arrêt de la Cour. Il conteste la façon dont la dimension sociale est scrutée sous l’angle de sa compatibilité avec la liberté de la prestation des services et de fait grugée en Europe. "Nous avons là un déséquilibre entre la dimension sociale et la dimension économique", a-t-il condamné. "A travers cet arrêt, la CJCE fait de la politique. Elle ne se contente plus de rendre des jugements. C’est une situation très grave", a insisté le syndicaliste.
Selon Weber, le gouvernement luxembourgeois et les syndicats devraient saisir l’occasion pour cimenter davantage la pratique de l’indexation dans la législation nationale. "Sinon, nous risquons un dumping social", a-t-il confirmé les propos de Jean-Claude Reding.
Pour le président du LCGB, l’arrêt de la Cour de Justice provoque même une situation absurde en matière de contrôles des travailleurs détachés. Jusqu’à présent, un travailleur détaché au Luxembourg devait présenter un contrat écrit aux instances nationales. Cette mesure est passée par le collimateur de la CJCE. "A chaque fois, il faudra désormais aller demander l’autorisation d’emploi auprès des instances nationales du travailleur détaché. C’est une situation absurde", s’est indigné Robert Weber. A ses yeux, l’on court le risque que des entreprises abuseront de la nouvelle situation créée par l’arrêt.
Comment faut-il procéder maintenant ? Aux yeux de Jean-Claude Reding et de Robert Weber, le gouvernement luxembourgeois devra maintenant prendre des mesures pour éviter que de tels jugements s’accumulent à l’avenir. Selon eux, la décision de la Commission d’attaquer le Luxembourg, pays à hauts standards sociaux, devant la CJCE, est une décision politique qui permet, par l’exemple statué, de nombreuses applications contre des standards sociaux plus élevés dans tous les Etats membres.
Les syndicats ont annoncé qu’ils entreront dans un contact étroit avec le ministre du Travail et de l’Emploi, François Biltgen, pour trouver des réparties adéquates à l’arrêt de la CJCE. "Il est très important que les politiques et les syndicats fassent front commun", a déclaré Robert Weber, pour éviter une Europe que les syndicats jugent de moins en moins attentive à la question sociale. Pour Jean-Claude Reding, l’analyse du ministre et celle des syndicats se rejoignaient en gros, même si François Biltgen "affichait peut-être un peu plus optimisme que les syndicats".
Robert Weber et Jean-Claude Juncker ont par ailleurs annoncé qu’ils entendaient se réunir avec les syndicats de la Grande Région le 3 juillet à Luxembourg, pour discuter des conséquences du verdict de la CJCE sur l’ensemble de la région.