Lors de la troisième édition du "Luxemburg Financial forum" qui a rassemblée 600 experts de la finance européenne à l’hémicycle du Kirchberg, Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, et Jürgen Stark, membre du directoire de la Banque Centrale européenne ont livré leurs réflexions sur la monnaie commune européenne. Le débat a permis d’opposer deux visions. Celle de Juncker, l’homme politique, représentant de la politique budgétaire, témoin de la première heure, participant à la Conférence intergouvernementale qui a posé les jalons de l’Union économique et monétaire, et celle de Jürgen Stark, banquier, représentant de la politique monétaire et fervent défenseur de la lutte contre l’inflation, le meilleur moyen, selon lui, pour assurer la stabilité des prix en Europe.
Le débat était pour les deux hommes l’occasion de jeter un regard en arrière sur dix ans d’existence de l’euro et de la Banque centrale européenne (BCE). Pour Jean-Claude Juncker, les dix premières années de la construction de la zone euro ont eu un succès considérable. D’après lui, la phase préparatoire de l’euro, les négociations autour du traité de Maastricht et du pacte de stabilité étaient plus captivantes que sa mise en œuvre. "Sans l’euro, nous ne serions pas aussi bien préparés contre les chocs extérieurs", a souligné Juncker qui s’est qualifié lui-même de "dernier survivant de Maastricht". "Nous avons eu raison. Nous n’avons pas tout bien fait, mais nous l’avons mieux fait que beaucoup le pensaient», a résumé le président de l’Eurogroupe qui a annoncé qu’il entendait se retirer de cette fonction, au 1er janvier 2009.
Jürgen Stark a lui aussi dressé un bilan positif de l’euro et du travail que la BCE a accompli au cours de la première décennie. Stark a reconnu les difficultés du début, mais en somme, la BCE a selon lui su acquérir une base solide. "Certains nous rétorquent que nous n’avons pas encore dû affronter de test. Mais ce n’est pas vrai", a-t-il insisté. "Globalement, nous avons bien géré ces crises. Les sceptiques n’ont pas eu raison", expliqua-t-il.
L’expression "communauté de destin", est selon Stark une formule adéquate permettant de traduire le policy mix, c’est-à-dire la responsabilité partagée qui incombe à la Banque Centrale européenne et aux gouvernements des Etats membres. Son seul regret : l’absence de consensus à l’échelon européen sur ce qu’on entend par "union politique". Il a toutefois estimé que les instruments et les critères de convergence qui ont été énoncés dans le traité de Maastricht et qui portent sur le niveau du déficit, la dette des administrations publiques, l’inflation, les taux d’intérêts à long terme, représentent "une union politique", le "minimum technique" pour assurer le fonctionnement de l’UEM.
Installer d’abord "le pouvoir du factuel", afin de faire émerger à partir de cette dynamique une Union politique. Cette analyse politique du chancelier allemand Helmut Kohl fut rejetée à l’époque par le jeune politicien Juncker qui voulait emprunter le chemin inverse, c’est-à-dire commencer avec le grand volet l’élaboration d’une Union politique, pour se consacrer ensuite au petit volet, l’Union économique. Avec le recul, force est pourtant de constater selon Juncker que Helmut Kohl avait raison. "Beaucoup de développements qui ont fait avancer l’intégration européenne se sont faits sous l’impulsion de l’UEM", reconnaît-il aujourd’hui. Dans son analyse, l’euro constitue un véritable "input" qui a poussé les gouvernements à se mettre d’accord lors de tractations difficiles aux Conseils européens et a évité à l’UE de dériver. Avant l’introduction de l’euro, rares étaient selon Juncker les responsables politiques qui ont discuté avec leurs collègues européens de leurs politiques budgétaires. Aujourd’hui, en revanche, les choses ont changé et il y a des discussions « au niveau européen sur les politiques budgétaires des Etats membres».
Pour Stark, qui a vu les événements d’une manière plus nuancée, une différenciation dans le temps s’impose. Il a fait référence à l’année 2003 qualifiée de "fatidique", où les critères de convergence n’ont pas été appliqués par le Portugal, l’Italie, la France et l’Allemagne. Une situation qui a conduit à une réforme du pacte de stabilité avec l’instauration d’un système d’alerte précoce. Pour Stark c’est la preuve "que les Etats membres ne voulaient pas se mettre d’accord sur des règles communes".
Pour Stark et Juncker, la force de l’euro s’est illustrée à plusieurs reprises. L’effondrement de "la new economy", les attentats terroristes du 11 septembre, ou la crise des subprimes aux Etats-Unis, sont autant d’exemples qui montrent que l’Eurogroupe et la Banque Centrale européenne ont montré leur capacité à gérer des crises à portée internationale. "En l’absence d’une politique monétaire commune, tous les Etats membres auraient pris des décisions différentes, ce qui aurait conduit à un chaos total", a résumé Stark. D’après Jürgen Stark, les sceptiques, qui prévoyaient une répercussion de la crise américaine sur le marché européen "ont eu tort". "Les réformes ont fait l’Union européenne plus forte contre les chocs externes. Elle ne choppe plus la grippe", a-t-il souligné. Malgré un dollar faible, l’Union européenne continue ses exportations vers ses nouveaux marchés.
Quels sont les grands défis auxquels doit faire face la zone euro dans les années à venir ? Quelles réformes doivent être engagées dans le contexte actuel marqué par la faiblesse du dollar par rapport à l’euro et la crise économique aux Etats-Unis ? Selon Jean-Claude Juncker et Jürgen Stark, des réformes structurelles s’imposent pour réajuster les divergences économiques qui subsistent entre les différents Etats membres. Jürgen Stark a cependant mis en garde de ne pas "surestimer ces divergences", qui sont à ses yeux dans une certaine mesure normale. Pour le président de l’Eurogroupe, il faudra à l’avenir mettre davantage l’accent sur des structures économiques fiables que sur "la force de l’euro qui a été engendrée par des mesures politiques". Dans ce contexte, il a expliqué que le pouvoir centralisé des Etats-Unis, dans des périodes de crise, peut mettre en œuvre des instruments pour contrecarrer les effets négatifs. "L’Eurogroupe n’est pas un gouvernement centralisé, et nous n’avons pas ce genre d’instruments à notre disposition", a indiqué Jean-Claude Juncker, tout en faisant un appel pour une plus grande coordination entre les politiques économiques européennes, et entre les responsables de l’Eurogroupe et de la BCE.