Nicolas Schmit, ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration, était le 5 juin 2008 l’invité du colloque international organisé par l’Université de Luxembourg au château de Senningen sur la gouvernance européenne avec entre autres le soutien du Ministère des Affaires étrangères et d'Europaforum.lu..
Dans son intervention, Nicolas Schmit a livré ses réflexions sur l’impact du traité de Lisbonne sur la gouvernance européenne. Il a d’abord identifié quatre facteurs qui ont changé de fond en comble la gouvernance européenne depuis 1985 :
Dans ce contexte, le traité de Lisbonne apporte des changements.
"Les changements institutionnels seront substantiels", a déclaré Schmit, "plus importants qu’avec les traités de Maastricht et de Nice." L’équilibre entre institutions sera-t-il sensiblement modifié ?
Premier changement : le Parlement européen sera un colégislateur puissant, ce qui réduira le déficit démocratique dont l’Union européenne souffre toujours.
Deuxième changement : Le Conseil européen, assemblée où les chefs d’Etat et de gouvernement prennent de facto les grandes décisions, devient, d’une réunion qui figurait dans les traités, une institution inscrite dans le traité. "Faudra-t-il alors craindre une dérive intergouvernementale qui sera accentuée par la création d’un poste de président permanent du Conseil européen."
Au début, les pays du Benelux, plutôt des partisans de la méthode communautaire n’étaient pas très chauds pour transformer le Conseil européen, organe intergouvernemental par excellence, en institution politique, mas pas législative. Mais comme le périmètre décisionnel a été bien défini, certaines zones grises disparaîtront. Le président du Conseil européen devra agir en "honest broker" dans l’intérêt général de l’Union et en coopération avec le président de la Commission européenne. Il aura plus de temps pour consulter les Etats membres pour les conseils européens qu’il prépare et qu’il animera, plus de temps qu’actuellement un Premier ministre en fonction qui préside pendant 6 mois, ce qui rétablira une certaine égalité entre les Etats. Le nouveau président devra faire un rapport au Parlement européen après chaque Conseil européen, ce qui constituera une nouvelle forme de contrôle démocratique.
Une probable source de problèmes : le président du Conseil européen représentera l’Union européenne pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, et cette fonction ira essentiellement aux dépens de chefs d’Etat et de gouvernement de la présidence tournante du Conseil qui n’ont plus, dans ce cadre, de véritable fonction. Ceci dit, le nouveau président du Conseil européen n’aura pas le droit d’initiative et ne gérera pas la politique étrangère de l’Union : Cette gestion reviendra au Haut représentant de l’Union pour la politique étrangère qui pourra disposer des moyens financiers de la Commission et d’un service pour l’action extérieure. Beaucoup dépendra selon Schmit "de la chimie entre le président du Conseil européen, le président de la Commission et le Haut représentant pour la politique étrangère."
Troisième grand changement, mais aussi une grande inconnue : le Conseil "Affaires générales" (CAG), avec le Conseil "Relations extérieures" le seul Conseil mentionné explicitement dans le traité de Lisbonne. Lors de la dernière décennie, ce Conseil CAG était devenu une sorte d’appendice du Conseil « Relations extérieures » auquel il était lié, et il avait perdu son rôle de garant de la cohérence des travaux du Conseil. Cette perte de cohérence était renforcée par le fait que le président de la Commission n’a plus été l’arbitre qu’il a été dans un collège dont la politique est actuellement dominée par des directions générales de la Commission très puissantes qui ont souvent des agendas propres.
Avec le traité de Lisbonne, le CAG sera présidé par la présidence tournante et il est censé « assurer la cohérence des travaux des différentes formations du Conseil ».En même temps, il prépare et assure le suivi du Conseil européen. A ce CAG, il faut, selon Nicolas Schmit, "donner du contenu", car il est "un élément indispensable dans un nouvel équilibre institutionnel". Les "Affaires générales" ne pourront donc pas être traitées "à la va-vite" par les ministres des Affaires étrangères. Dans ce cas, "c’est perdu d’avance". Peu importe quel type de ministres iront au CAG, ceux qui iront au CAG devront avoir du poids dans leurs gouvernements. Le président du CAG, issu de la présidence tournante, sera le premier interlocuteur du président du Conseil européen. S’il est faible, cela donnera trop de pouvoirs au président du Conseil européen. "Si l’on arrive à faire décoller le CAG comme il est prévu dans le traité de Lisbonne, ce seront de nouveaux équilibres et plus de cohérence."
La Commission pourra maintenir sa position dans ces nouvelles constellations. Déjà, du fait que le président de la Commission "est pratiquement élu par un Parlement européen qui en a pris le contrôle", la Commission, qui garde le monopole du droit d’initiative, a plus de légitimité démocratique, et par le fait qu’elle doit négocier de manière permanente avec le Parlement européen, elle possède plus d’atouts pour rester le "pôle de l’intérêt général de l’Union".
Nicolas Schmit a regretté dans ce contexte de réduction du déficit démocratique si souvent reproché à l’Union européenne que le pouvoir du Parlement européen est largement ignoré par l’opinion publique et que le nombre des électeurs aux élections européennes à tendance à diminuer alors que les compétences du Parlement européen sont devenues à chaque révision de traité plus importantes.
Le traité de Lisbonne contient pour Schmit de nombreuses avancées "pour renforcer le caractère démocratique de la gouvernance européenne". Il a cité le renforcement du rôle des parlements nationaux en amont dans le processus décisionnel européen, le dialogue avec la société civile, et aussi, élément moins discuté, l’initiative citoyenne.
L’initiative citoyenne permet à un million au moins de ressortissants – sur les 500 millions que compte l’Union – d'un nombre significatif d'États membres, d'inviter par voie de pétition la Commission à soumettre au Parlement européen et au Conseil une proposition législative qu’ils estiment nécessaire pour la mise en œuvre des objectifs des traités. "Où va-t-elle nous mener ?", a demandé Schmit. "Elle permet à des citoyens de pousser au-devant de la scène un grand sujet. Elle rend possible une autre manière de débattre de l’Europe. Une nouvelle dynamique est possible."
Europaforum.lu publiera mardi 10 juin 2008 le compte-rendu du colloque de l'Universié de Luxembourg.