Le samedi 5 juillet 2008, plusieurs centaines d’affiliés à des syndicats luxembourgeois (OGB-L, LCGB, FNCTTFEL), allemands (DGB), belges (CSC, FGTB), français (CFDT, CGT, FO, CFTC) et, une fois n’est pas de coutume, suisses (UNIA) ont manifesté à la place Clairefontaine à Luxembourg contre l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) du 19 juin 2008 contre la manière dont le Luxembourg a transposé la directive sur le détachement des travailleurs et contre l’évolution pour eux négative de l’Europe sociale. Les syndicats tchèques avaient envoyé un message de solidarité et la Confédération européenne des syndicats (CES) avait délégué son secrétaire-général adjoint, Reiner Hoffmann, pour intervenir devant les manifestants.
Le ministre du Travail et de l’Emploi, François Biltgen, qui avait reçu les représentants de syndicats nationaux, interrégionaux et européens au ministère d’État "pour leur assurer son soutien" et qui leur avait indiqué "qu’il partageait largement les vues des syndicats sur la problématique du détachement des travailleurs dans le contexte de la libre prestation de services et que le gouvernement luxembourgeois appuierait toute tentative visant à renforcer le droit social dans le marché intérieur", se trouvait parmi la foule, côtoyé par les députés socialistes John Castegnaro, Ben Fayot, Vera Spautz et Roland Schreiner.
Jean-Claude Reding, président de l’OGBL, expliqua aux manifestants que les syndicats s’étaient déjà habitués à ce que l’OCDE ou la BCE attaque le modèle social luxembourgeois "comme une hérésie", mais qu’il avait été surpris que "ces attaques trouvent maintenant le soutien de la CJCE." Pour Reding, un arrêt qui n’accepte que l’indexation de la tranche du salaire du travailleur détaché qui correspond au salaire minimum du pays où il est détaché "crée des clivages entre les gens". Selon lui, le gouvernement doit se défendre contre une telle évolution et faire passer une loi qui établit l’indexation des salaires comme un "élément indispensable au modèle social et à l’ordre public". Une telle loi devrait passer le plus vite possible et le versement des tranches indiciaires sans retard devrait être rétabli dès janvier 2009.
Le président de l’OGB-L eut des mots très durs pour une CJCE "qui transforme les minima sociaux en maxima" et qui "prononce des jugements contre les gens", et une Commission, - à l’origine de la procédure contre le Luxembourg - qui "mène une politique sociale désastreuse" et qui "n’est pas à même de lutter contre le chômage."
Reiner Hoffmann, le secrétaire-général adjoint de la CES, exposa comment les syndicats avaient toujours soutenu le processus d’intégration européenne, y compris la mise en place du marché intérieur et de l’introduction de l’euro : "Mais ce soutien n’est pas inconditionnel. L’Union européenne doit garder une dimension sociale. Les salariés doivent être convaincus par les objectifs de cette Union européenne. Or, aujourd’hui, la perte de confiance en l’Union européenne est manifeste du côté des travailleurs. Elle s’est manifestée par l’issue du référendum en Irlande, comme elle s’est manifestée par l’issue des référendums en France et aux Pays-Bas." Pourtant, le traité de Lisbonne est pour la CSE et Reiner Hoffmann "meilleur que sa réputation".
Comme Reding, il a chargé la Commission, accusant le président Barroso "de pratiquer l’abstinence sociale" et de ne "penser qu’à la compétitivité, à la libéralisation et à la dérégulation", et la CJCE "qui a pris un tournant" et qui "a affaibli les droits des travailleurs." Pour Hoffmann, son arrêt "est un détournement de la directive ‘détachement’". Félicitant le ministre Biltgen pour les déclarations que ce dernier avait faites lors de l’entrevue avec les syndicats, il mit en garde les institutions européennes contre leurs velléités à instaurer un ordre social où les droits de l’économie priment sur ceux des salariés.
Les interventions des syndicalistes allemands, belges, français et suisses allèrent dans le même sens, mettant en avant que la Grande Région comptait parmi les régions où il y avait le plus grand flux de travailleurs frontaliers, dont les droits ne devaient pas être déconstruits, ou prônant l’idée d’un protocole social additionnel aux traités européens.
Robert Weber, le président du LCGB, prononça le discours de clôture, parlant des "temps sombres que l’Union européenne vit actuellement", avec une directive "temps de travail" qui risque d’étaler le temps de travail jusqu’à 65 heures, avec une BCE qui relève les taux d’intérêt et contribue selon lui ainsi au renchérissement de la vie. "Les peuples sentent confusément qu’ils sont en train d’être trompés", a lancé le syndicaliste chrétien, qui a rappelé que les peuples avaient adhéré à un projet pour une Europe unie qui mettait fin aux inimitiés de la deuxième guerre mondiale, mais qui devait aussi amener la prospérité. "Or, que voyons-nous ? Les inégalités augmentent. La précarité se répand. Le chauffage, la nourriture, l’élémentaire équipement ménager deviennent tout d’un coup un casse-tête pour un nombre croissant de ménages pour qui le moindre accroc peut se transformer en catastrophe." Et de rajouter : "Si les peuples se fâchent, personne ne peut les arrêter. Il y a des seuils de tolérance à ne pas franchir. Je n’exclus pas dance ce cas, et j’ose lancer ces mots, des rébellions, des guerres sociales, des révolutions." D’où la nécessité de considérer la manifestation de samedi comme « le début d’une longue campagne pour une autre Europe."