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Culture - Politique régionale
Le 5e Forum européen de la culture et de la société: Coopération et mobilité culturelle en Europe
01-07-2008


Jo Kox, Bernard Baumgarten, Frédéric SimonLes 26 et 27 juin 2008, l’Institut Pierre Werner a organisé en partenariat avec la Maison des Sciences de l’Homme de Lorraine, l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Paris 8 et European Institute for Comparative Cultural Research (ERICarts) un forum sur la mobilité culturelle en Europe.

Ce forum s’inscrivait, selon les organisateurs "dans la réflexion que l’Institut culturel européen Pierre Werner a engagée en collaboration avec des institutions de recherche sur la problématique de la coopération artistique et de la diversité culturelle dans l’Europe élargie."

Au cours de deux journées de tables rondes et d’ateliers, les enjeux de la mobilité culturelle pour la création artistique et la coopération culturelle ont été  analysés par des chercheurs, des experts nationaux et des institutions européennes et des acteurs culturels allemands, belges, britanniques, finlandais, français, luxembourgeois, roumains, …

Dans le cadre d’une de ses missions (servir d’interface entre acteurs sociaux et décideurs politiques) et des travaux qu’il mène (une enquête sur la mobilité et la coopération culturelle dans la Grande Région), l’IPW souhaitait, par ce forum, confronter les points de vue des artistes, des professionnels de la culture, sur les difficultés qu’ils rencontrent dans leurs expériences de mobilité, avec ceux des décideurs politiques. Il entendait aussi rendre compte des bonnes pratiques notamment en matière de coopération transfrontalière qui est l’un de ses champs d’observation.

Un axe fut tout particulièrement abordé : celui de la coopération transfrontalière, avec une attention particulière accordée à la Grande Région "avec l’objectif de savoir si la coopération peut avoir un effet structurant et déboucher sur une meilleure cohésion sociale des territoires".

Enfin, il s’agissait "d’identifier les possibilités d’intervention de l’Union européenne, tout particulièrement de la Commission européenne, dans ce dossier." Car, se sont demandés les organisateurs, "si d’une part les obstacles à la mobilité peuvent être supprimés, notamment par des mesures de politique sociale, on peut se demander si d’autre part l’Union européenne ne peut pas compléter les dispositifs nationaux d’aide à la mobilité des Etats-membres par d’autres mesures de soutien."

1ère journée: Bilans et perspectives de la coopération culturelle dans la Grande Région

Les coopérations culturelles dans la Grande Région

Dans le cadre de cette session, les intervenants ont essayé de cerner ce que l’année 2007 avait apporté aux expériences antérieures de coopérations culturelle dans la Grande Région et de quelle manière cet acquis nouveau pouvait être pérennisé.

Quels effets à long terme de la capitale européenne de la culture 2007 ?

Le président de séance, Didier Francfort, (Université de Nancy), mit en avant que l’attractivité d’une région dépendait de sa capacité de s’ouvrir. D’autre part il avança l’idée de responsabilité des acteurs culturels à faire de "l’Europe immédiate".

Sonja Kmec, assistante-chercheur à l’Université du Luxembourg  et coéditeur du livre "Lieux de mémoire au Luxembourg. Usages du passé et construction nationale" (2007, 2e éd. 2008) avec Michel Margue, Benoît Majerus et Pit Péporté, parla, en guise de mise en contexte, de la  représentation spatiale de l’identité et de la Grande Région comme d’un résultat d’une stratégie discursive.

Au centre de cette démarche, "l’invention du Luxembourg", de sa langue, de son histoire et de son espace et la conviction que les gens finissent à s’identifier avec la culture d’un territoire bien précis.

Kmec a identifié deux types de discours au sujet du Luxembourg. L’un, qu’elle qualifie de centripète, dit que le territoire de l’Etat-nation souverain est le résultat final d’un long processus de formation territoriale. L’autre discours, qu’elle qualifie de centrifuge, dit que le Luxembourg fait part d’un ensemble plus vaste, dont il forme le centre et dont il serait prédestiné à être le moteur. C’est de ce discours, qui passe par les canaux scientifiques, politiques et médiatiques qu’est issu le nouveau discours sur la Grande Région, un discours qui crée de l’identité en relation avec l’altérité des autres partenaires. Mais pourquoi ce discours ?

Kmec n’a pas encore de réponse, mais selon elle, les politiques qui tournent autour de l’identité ne sont pas des politiques de surface, mais l’expression de rapports de force entre pouvoirs  qui "articulent des objets pour donner du sens au monde, à leurs auteurs et aux autres."

Charlotte Bohl, étudiante en Master d’Etudes Européennes, Université Paris 8, montra à  l’exemple du Festival Passages, qui accueille à Nancy des créateurs théâtraux de l’Europe de l’Est et d’ailleurs, que par la coopération entre ce festival et le Grand Théâtre de Luxembourg, l’on avait certes pu attirer plus de spectateurs à Luxembourg et que cette coopération avait été positive pour les artistes eux-mêmes, mais que l’événement n’avait été par personne mis en relation avec la Grande Région. La diversité culturelle avait été à la Une, mais personne n’a essayé de penser l’expérience à long terme. Peut-être parce que les deux partenaires étaient, de par leur structure, trop dissemblables. Le Festival Passages, logée au Théâtre de la Manufacture à Nancy, est un atelier de création doté de budgets plutôt modestes, le Grand Théâtre est, quant à lui, un théâtre de diffusion d’œuvres doté de gros budgets.

Dana Ciobanu, de la Meta Foundation, Bucarest, parla  de la mobilité de jeunes plasticiens roumains qui ont à faire face à de multiples obstacles bureaucratiques (peu d’argent pour cofinancer la mobilité dans les fonds publics auxquels ils peuvent faire recours, pas ou peu de fonds pour cofinancer la mobilité, de trop longs formulaires et de descriptifs pour les sommes dont il s’agit). Sa conclusion : la situation n’a pas changé pour les artistes roumains après l’adhésion de leur pays à l’Union européenne, et pour ceux qui ne sont pas de manière permanente à la recherche de fonds, "la mobilité reste un mythe".

La réception des projets transfrontaliers par les publics

Sandrine Devaux, Monika SonntagSandrine Devaux, la directrice adjointe de l’IPW, a présenté  les résultats d’une enquête de l’IPW menée autour de 3 axes : la mobilité culturelle, la perception de "Luxembourg et Grande Région, capitale européenne de la culture 2007" et la connaissance de la Grande Région en tant que notion de coopération, économique et projet politique.

A peine un cinquième des personnes interrogées par l’IPW avaient franchi la frontière pour assister à un événement culturel. 61 % pour du théâtre, 16 % pour de la danse, 16 %  pour une exposition et 7 % pour un concert. Presque 60 % avaient trouvé que l’année 2007 leur avait permis de mieux connaître les établissements culturels de la Grande Région, 39 % carrément une meilleure connaissance des autres pays. Mais la réponse est négative quand il s’agit de mieux connaître "ses voisins".

L’enquête a aussi montré que la connaissance de la Grande Région en tant que notion économique et projet de coopération politique n’est pas liée à "Luxembourg et Grande Région, capitale européenne de la culture 2007". En tant que phénomène transfrontalier, 2007 semble avoir plus contribué à la connaissance interculturelle qu’à une meilleure connaissance des voisins. Il ne semble pas non plus que la mobilité économique entraîne plus de mobilité culturelle, que ce soient deux phénomènes différents. La circulation culturelle n’engendre pas non plus nécessairement une meilleure connaissance de la Grande Région. Par contre, le niveau d’information sur la Grande Région semble être devenu plus pertinent.

Gaëlle Crenn, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l’Université de Nancy présenta ensuite des premiers résultats d’une recherche menée au sein de la Maison des Sciences de l’Homme Lorraine sur les capitales culturelles et le rayonnement transfrontalier.

Elle pointa d’abord les limites de la perception du label et de l'identification de la manifestation. Le constat : une absence d’identification de "Luxembourg et Grande Région, capitale européenne de la culture 2007"; un logo non identifié ; un processus de labellisation opaque. Tout cela est dû selon elle à un triple problème : l’idée même de capitale européenne de la culture ; le fait que la Grande Région n’existe pas comme référent dans l’esprit des gens ; le titre même de "Luxembourg et Grande Région, capitale européenne de la culture 2007", qui associe Luxembourg et la Grande Région.

En matière d’information et de communication, Crenn souligna la difficulté à identifier les manifestations de la programmation de 2007, l’extension du label ayant provoqué des effets de brouillage.

Du point de vue public, "Luxembourg et Grande Région, capitale européenne de la culture 2007" a été de ce fait un échec relatif en Lorraine en termes de reconnaissance des manifestations. C’est un public aux habitudes déjà transfrontalières qui a été touché de manière privilégiée. Le territoire lorrain a été touché de manière inégale. L’événement a surtout profité de la fidélité des publics des différents établissements culturels.

Certaines manifestations ont été de grandes réussites esthétiques et ont contribué à la construction identitaire dans une région donnée qui a été par le biais de ces manifestations redécouverte, avec donc des "effets puissants d'appropriation territoriale locale", mais sûrement pas grands-régionaux.

Conclusions et perspectives sur les publics et les manifestations: Il y a eu peu de construction de publics transfrontaliers. Au Luxembourg, une stratégie de capitalisation de 2007 est en cours, tant sur les équipements que sur la façon d’organiser des événements culturels, ne serait-ce que par la consolidation des réseaux des différents intervenants.

Conclusions et perspectives sur l’identité et la communication de la Grande Région : L’identité de la Grande Région reste à construire. Les supports de communication dans la région n’y contribuent pas, ne serait-ce qu’à travers l’inégalité de traitement entre les différents partenaires. Un autre obstacle est la stratégie de métropole régionale qui met les principales villes en situation de concurrence. Pour Crenn, la pérennisation de l’expérience culturelle passe par l’adaptation des formes artistiques aux échelles territoriales, mais aussi par de nouvelles formes de contact entre acteurs culturels, par exemple par des réseaux, des résidences et des itinérances.

La mobilité des artistes dans la Grande Région

Comment la mobilité culturelle fonctionne-t-elle dans la Grande Région ? Quels efforts ont déjà été faits jusqu’aujourd’hui ? Quel doit être le rôle des administrations publiques dans le soutien de la mobilité culturelle ? Telles furent les questions auxquelles s’intéressa la troisième partie du colloque.

Etat des lieux de la mobilité des artistes et professionnels de la culture

Jean BalladurA l’exemple de la "Mousson d’été", Jean Balladur, l’administrateur de la Compagnie "Boomerang", a montré que la mobilité des artistes existe d’ores et déjà dans la Grande Région. La Mousson d’été est un atelier de théâtre contemporain qui célébrera sa 13e édition en 2008. "Dans notre région, il n’existait pas encore de lieu de création où les auteurs de théâtre contemporain pouvaient expérimenter sans la contrainte de la production", a expliqué Jean Balladur. Le projet permet ainsi aux auteurs de présenter leurs textes au public et aux professionnels de la branche. Parallèlement aux présentations, une université d’été se déroule à la Mousson. 70 stagiaires, venant des horizons les plus divers, suivent des ateliers animés par les auteurs.

La Mousson d’été fut donc une initiative locale française d’abord. "Mais l’idée d’y ajouter une dimension européenne nous est venue très vite", a témoigné l’administrateur de Boomerang. Ensemble avec des partenaires italiens, allemands et autrichiens, la Mousson d’été a donné naissance à un réseau européen de l’écriture contemporaine, "Intertexte".

La Mousson d’été participe encore à un autre projet à vocation européenne, lancée à l’occasion de la Présidence française de l’Union européenne.  L’agence "Cultures France", qui a pour mission de promouvoir la culture française à l’étranger, a lancé l’initiative "trait d’Union", qui propose une sélection de 27 textes, un de chaque Etat membre de l’UE. Avec deux autres structures culturelles, le Festival d’Avignon et l’Odéon, la Mousson d’été a choisi les textes.

"Au Luxembourg, nous avons le luxe d’avoir de grandes infrastructures culturelles. Mais il existe un grand manque de lieux de création". Voilà, en quelques mots, l’état des lieux que Bernard Baumgarten, le directeur du Centre de création chorégraphie du Luxembourg (Trois C-L) dresse de la culture au Luxembourg. Afin de promouvoir l’investissement dans les artistes eux-mêmes, Trois C-L avait initié, au cours de l’année culturelle 2007, un projet plutôt inhabituel pour le Grand-Duché : le Dance Palace

L’idée du projet Dance Palace, qui réunissait cinq partenaires transfrontaliers, était de proposer aux jeunes chorégraphes de la Grande Région un lieu de création, sous la devise de "Work in progress". Les ateliers étaient ouverts au grand public, "mais l’important, c’était de ne pas mettre les artistes sous la pression de la production. Les artistes avaient droit à l’échec", a précisé Bernard Baumgarten.

Pour lui, la dimension transfrontalière a joué un rôle important dans la mise sur pied du Dance Palace. "Pour la première fois, nous sommes allés regarder de l’autre côté des frontières luxembourgeoises", a raconté Baumgarten. "Nous avons découvert un monde complètement nouveau." Le projet a eu un tel succès que ses initiateurs ont décidé de pérenniser la coopération. "Au début, nous avions planché sur 1000 visiteurs pour l’ensemble des trois mois. Mais finalement, nous avons eu 2500 visiteurs", a-t-il témoigné. Aux yeux de Baumgarten, Dance Palace a abouti à "des créations incroyables".

Le Festival transfrontalier de danse contemporaine, un festival tournant, est un des projets nés dans le cadre du Dance Palace. Pour Baumgarten, 2007 "fut une grande opportunité pour la danse contemporaine". Son rêve ? Créer un jour une véritable plate-forme transrégionale de la danse contemporaine.

Le directeur du Carreau, Scène Nationale de Forbach et de l'Est Mosellan, Frédéric Simon, proposa ensuite un exemple comment la culture peut être génératrice de développement économique dans une région transfrontalière. Selon Simon, la région autour de Forbach, une ancienne région minière, présente un potentiel résidentiel d’une ville de la taille de Metz, mais les habitants n’ont pas un comportement urbain. "Le terreau n’est pas propice au travail artistique : manque de volonté, de moyens, de matériel", a-t-il déploré. 

Afin d’améliorer l’attractivité culturelle du bassin de Forbach et pour pallier des besoins de formation, le Carreau s’est engagé dans la création d’un outil de gestion de la main d’œuvre du bassin transfrontalier de la Métropole Sarrebruck-Moselle Est. Cet outil de gestion, le "Groupement d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualification" (GEIQ) sera lancé début 2009. Selon Simon, le projet a pour objectif de mutualiser les travailleurs du secteur culturel.

Quel rôle pour les politiques et les administrations ?

Guy DockendorfComment était-on arrivé à la décision de faire de l’année culturelle 2007 un événement qui inclut la Grande Région ? Guy Dockendorf, le directeur des Affaires culturelles du Ministère de la Culture, de l’Enseignement et de la Recherche, a rappelé que c’était en 2000, lors du Sommet de la Grande Région, que les responsables politiques décidèrent d’étendre l’année culturelle 2007 à l’ensemble de la Grande Région. "On s’était demandé comment on pourrait réapprendre aux 11 millions d’habitants de la Grande Région à se connaître", a relaté Guy Dockendorf.

Le directeur des Affaires culturelles a ensuite présenté deux initiatives qui tenteront de pérenniser les acquis de l’année culturelle pour la Grande Région après la fin de 2007.

Le "Carré Rotonde" d’abord. Cette nouvelle association prendra le relais de l’a.s.b.l. qui a organisé l’année culturelle en 2007. Selon Dockendorf, le Carré Rotonde se focalisera essentiellement sur l’organisation d’activités pour jeunes (à l’exemple du projet "Traffo").

L’association "Espace culturel Grande Région" constitue la deuxième initiative en vue de pérenniser les acquis de l’année culturelle au sein de la Grande Région. D’après Guy Dockendorf, cette nouvelle a.s.b.l. reprendra les activités de l’a.s.b.l. transfrontalière et aura pour mission de poursuivre la coopération transfrontalière. Selon lui, quelques changements auront toutefois lieu dans l’organisation de l’association. Le Luxembourg ne sera plus à la tête de l’association, mais les cinq régions partenaires seront impliquées à titre égalitaire. Une présidence tournante désignera un nouveau président tous les 18 mois. Le budget comportera 1,5 millions d’euros sur une période de trois ans, dont 50 % seront financés par les régions, et 50 % par le programme européen Interreg.

Quelles seront les missions de cette nouvelle association ? Selon Dockendorf, les futures missions de l’ "Espace culturel Grande Région" seront :

  • Mener une réflexion sur la stratégie culturelle au sein de la Grande Région
  • Accompagner les projets transfrontaliers Professionnaliser les expertises dans le domaine de la culture
  • Encourager la mobilité des artistes et du public, tout en tirant profit des expériences de 2007
  • Développer une stratégie de communication et d’information commune à l’ensemble des cinq régions
  • Trouver une passerelle entre la culture et d’autres dimensions, comme l’éducation et la jeunesse

"Qu’attendons-nous de la nouvelle a.s.b.l.?" a demandé Guy Dockendorf. Améliorer la collaboration entre décideurs politiques et administrations locales, en créant des liens directs entre les entités territoriales, les administrations des villes et les ministères. "Nous avons appris une chose pendant les travaux de 2007. Il n’y a pas seulement les langues qui nous séparent, mais nous avons également des systèmes administratifs complètements différents", a confié Dockendorf, qui a également espéré que la nouvelle association réussira à élaborer un guide pratique de la coopération transfrontalière, une sorte de "vadémécum" à l’attention des artistes et créateurs.

Dans le cadre d’un doctorat traitant de la politique culturelle transfrontalière en Europe, à l’exemple de la région autour de Luxembourg et de Lille, Monika Sonntag, a analysé quelles conséquences la mobilité peut avoir sur l’espace culturel de la Grande Région, et sur la fonction des administrations publiques.

Aux yeux de la jeune doctorante de l'Université de Brème, différents éléments doivent être pris en compte lorsque l’on analyse la politique culturelle d’une ou de plusieurs régions. Selon Sonntag, la mobilité est un des principes fondamentaux de la politique culturelle en Europe. Elle a résulté dans des relations étroites entre les différentes régions européennes. Pour elle, une politique culturelle inclut toujours des éléments de politique identitaire et territoriale. Autre élément que l’on doit prendre en compte : la politique culturelle européenne est étroitement liée aux politiques économiques (le marché unique) et aux politiques de l’enseignement, qui soutiennent également la mobilité.

En soulevant plus de questions qu’elle ne donnait de réponses, la jeune doctorante de l’Université de Brèmes a demandé : "Qu’est-ce qu’un espace culturel européen ? Comment la diversité culturelle peut être pensée territorialement ?" Elle a opposé deux visions de la Grande Région, qui peut être interprétée soit comme un territoire transfrontalier hybride dans lequel les frontières administratives et territoriales se dissolvent, soit comme un espace culturel mosaïque. 

Pour Monika Sonntag, la mobilité culturelle a des conséquences sur le fonctionnement des administrations. Les frontières administratives continuent certes à jouer un rôle très important dans une Grande Région, car elles divisent l’espace social dans des espaces de responsabilité politique. Mais la mobilité remet en question les rôles et les responsabilités des administrations. Les frontières entre le "nous" et le "vous" deviennent plus floues.

Laurent ProbstQuel intérêt les entreprises ont-elles à s’investir dans des projets culturels ? Laurent Probst, un associé de PriceWaterhouseCoopers Luxembourg, s’est penché sur cette question. Pour lui, "la culture n’est pas seulement un facteur de cohésion sociale et d’intégration, mais elle est aussi génératrice de développement économique". "Si le Luxembourg n’avait pas toutes ses infrastructures culturelles, il serait très difficile d’attirer les grands groupes", a estimé Laurent Probst. L’associé a par ailleurs regretté que trop souvent, les entreprises ne soient consultées qu’à la fin d’un projet, lorsqu’il s’agit de trouver les moyens financiers. "Si les entreprises étaient impliquées plus tôt dans le développement d’un concept, il y aurait un plus grand retour", a-t-il souligné.

Laurent Probst présenta ensuite ce qui devrait être à ses yeux le rôle des administrations publiques dans le soutien du secteur culturel. A ses yeux, ces dernières devraient tout d’abord assurer le lien entre les différentes administrations, les artistes et les entreprises. "Nous avons besoins d’un forum, pour nous échanger, et pour pouvoir comprendre le fonctionnement du monde artistique. Entre artistes et entreprises, on se connaît encore moins qu’entre artistes et administrations", dit-il. Les administrations publiques devraient ensuite s’attacher à valoriser davantage l’image de la culture, qui bien souvent "est vue comme une charge, alors qu’elle est un élément nécessaire à la cohésion sociale". Troisièmement, les administrations devraient fournir un cadre législatif approprié pour les artistes et les entreprises. "Les artistes doivent pouvoir bénéficier d’un statut viable, afin de pouvoir travailler sans contraintes", a préconisé Laurent Probst, alors que les entreprises doivent pouvoir déduire leurs investissements culturels des impôts.

2e journée: L’enjeu de  la mobilité culturelle pour la création artistique en Europe

Les incitations à la mobilité culturelle : perspectives européennes

Lors de cette session, les enjeux de la mobilité culturelle furent présentés. Ce furent d’abord deux fonctionnaires européens qui exposèrent la politique de l’Union européenne en la matière. Puis ce fut au tour des universitaires et des praticiens à exposer leur point de vue. Dans ce cadre, le cas de la Grande Région fut examiné par des exemples de coopérations transfrontalières.

Dispositifs européens et nationaux pour renforcer la mobilité dans le domaine de la culture

Anna Athanasopoulou, de la DG Education et Culture de la Commission européenne évoqua l’importance qui était accordée par la Commission à la mobilité dans le secteur culturel. Dans le cadre de ses priorités dans le domaine de la culture pour les années 2008-2010, la Commission veut privilégier la mobilité des artistes et des professionnels de la culture.

Vu les compétences communautaires limitées dans le domaine de la culture, il a été opté pour la méthode ouverte de coopération (MOC) entre les Etats membres d’un côté, et la Commission de l’autre. Cette méthode consiste à ce que les partenaires coopèrent et se fixent ensemble des objectifs communs, qu’ils échangent entre eux de bonnes pratiques et qu’ils communiquent entre eux en tant que pairs, notamment quand il s’agit d’évaluer la manière dont chacun travaille pour atteindre les objectifs fixés en commun.

Dans le cadre de la MOC, un groupe de travail a été créé qui traite spécifiquement de la mobilité culturelle. Ce groupe de travail recense les pratiques en matière de mobilité dans les Etats membres, recueille des informations sur les conditions de la mobilité (sécurité sociale, rémunération, fiscalité, conditions d’entrée, de résidence et de sortie du territoire) et étudie des mesures pour renforcer le soutien local et régional à la mobilité. 23 Etats membres y sont représentés, dont le Luxembourg, pour identifier les bonnes et les meilleurs pratiques.

Parallèlement, la Commission a engagé un dialogue structuré avec la société civile dans le cadre de son Agenda européen pour la culture. Cependant, aucune plateforme ne s’occupe ici spécifiquement de la mobilité. La mobilité fait ici partie d’une plateforme qui s’occupe du dialogue interculturel qui présuppose aussi une mobilité transfrontalière des artistes et professionnels de la culture comme une circulation des œuvres d’art au-delà des frontières.    

Jean-Philippe Gammel, administrateur à la Commission européenne, parla notamment d’un projet pilote sur la mobilité des artistes que le Parlement européen a spécialement doté d’un budget de 1,5 millions d’euros. Son but : tester des idées nouvelles. Le projet revêt trois volets. Le premier concerne les obstacles juridiques et administratifs qui entravent la mobilité entre Etats membres et avec des Etats tiers. Le deuxième volet concerne la mise en réseau de structures existantes qui soutiennent la mobilité dans divers secteurs culturels. Le troisième, qui s’occupera de la contribution aux coûts opérationnels des fonds et des programmes de mobilité sur base d’un cofinancement, n’a pas encore mis en œuvre.   

Danielle Cliche, de l’ERICarts-Institut  a fait état d’une étude sur les incitations à la mobilité des professionnels de la culture dans l’Union européenne de son institut qui a porté sur 48 pays européens. Parmi les tendances que cette étude a révélées, il faut mentionner que ceux qui bougent le plus sont les professionnels de la danse, que la meilleure façon d’attirer des artistes est d’offrir des résidences d’artistes, que les Etats utilisent la mobilité pour promouvoir leur pays, que de nombreux nouveaux créateurs se regroupent en ONG et que généralement, les instituts culturels misent beaucoup sur le dialogue interculturel et encouragent et favorisent de ce fait la mobilité.

Rod Fisher, de l’International Intelligence on Culture de Londres, a parlé de la relation entre la politique étrangère et les programmes de mobilité. La culture fait partie selon Fisher de la "diplomatie publique", qui consiste à nouer ou maintenir des relations par exemple avec des partenaires commerciaux, des ONG ou avec des diasporas. Dans ce contexte, les gouvernements des Etats centraux ne sont plus les seuls acteurs de la diplomatie publique. Ce peuvent être aussi des villes, des régions, des fondations, ce qui rend leur parfois difficile la tâche de maintenir une image cohérente de leur propre pays. Dans de tels contextes, mais cela n’est pas nouveau, les arts et les artistes sont des instruments de la politique étrangère. De ce fait, ils contribuent à l’économie. Cela fonctionne d’autant mieux, qu’au départ, il existe soit un réseau bien structuré entre les instituts culturels nationaux ou bien entre les ministères des Affaires étrangères et de la Culture. Une politique culturelle de ce genre n’est pas nécessairement respectueuse des intérêts des artistes et elle sera toujours subordonnée aux intérêts culturels et politiques stricto sensu. Il n’en reste pas moins que ne pas favoriser la mobilité, c’est priver les instituts culturels et les publics de nouvelles expériences.

Au niveau européen, Rod Fisher voit le vote négatif des Irlandais contre le traité de Lisbonne comme une protestation contre le déficit démocratique en Union européenne. Et là où il y a du déficit démocratique, il y a aussi du déficit culturel. Combler ce déficit doit passer par le partage de valeurs communes qui, à l’instar de l’Union européenne, devraient constituer une valeur ajoutée dans la vie concrète des citoyens d’une Union européenne, qui n’est ni un Etat national ni un super-Etat. "Sans culture, il n’y a pas non plus de démocratie dans le projet européen", a constaté Fisher.

Dans la mesure où la culture est un domaine sensible et que l’Union européenne n’a que des compétences limitées dans ce domaine, il est important de connaître les attentes et e déterminer, sur base des réalités, ce qui relève des Etats membres et ce qui relève de l’Union. Une étude menée en 2006 sur six pays, la France, le Royaume uni et le Portugal, des pays qui disposent chacun à sa manière d’un "Commonwealth", ou d’une grande diaspora, ainsi que la Pologne, le plus grand parmi les nouveaux Etats membres, la Lettonie et le Danemark (juste au moment de l’affaire des caricatures de Mohammed) a mis en évidence un espace pour l’action culturelle de l’Union européenne dans le monde. Complémentaire, mais pas commune aux Etats membres, constituant une valeur ajoutée en illustrant unité et diversité, menée par des agents européens bien formés (ce qu’ils ne sont pas), une stratégie culturelle internationale de l’Union européenne faciliterait plus qu’elle n’organiserait, et veillerait à ce que les processus régulièrement évalués qu’elle encouragerait incluent tous les acteurs significatifs du champ d’action déterminé.

Exemples de coopérations culturelles transfrontalières et transnationales en Europe

Berit Vogel, Master trinational de coopération et de communication transfrontalière s’est interrogée sur les effets structurants de "Luxembourg et Grande Région, capitale européenne de la culture 2007 ?"

Elle a identifié les faiblesses et les obstacles qui freinaient le projet de l’année 2007. L’identité grand-régionale n’existe pas, la communication était difficile entre les partenaires, peu d’acteurs se connaissaient entre eux. Pourtant, l’objectif, c’était d’entamer le projet sous l’égide du développement durable, tant en ce qui concerne les échanges et en ce qui concerne la mobilité culturelles transfrontalières, d’aborder une coopération culturelle à long terme qui dépasserait les relations bilatérales et de faire de la Grande Région une référence positive. Une gageure pour 5 régions, 4 pays et 3 langues, des structures différentes et des espaces hétérogènes d’arriver donc à une "apparition commune".

Le financement passa par des engagements très différents, des budgets non pas partagés, mais territorialisés. La tentative de créer un fonds culturel commun échoua, ce qui eut dans un premier temps un effet négatif sur la durabilité. Les événements se concentrèrent surtout sur les espaces frontaliers, un fait sur lequel plusieurs intervenants ont insisté au cours des deux jours du colloque.

Parmi les obstacles socioculturels, Berit Vogel a identifié les "barrières mentales" - peu de mobilité de la population, pas d’atmosphère que la région prenait un nouveau départ, pas d’enjeu Grande Région qui pouvait atteindre le public – et les "barrières linguistiques".

Autres éléments qui ont caractérisé 2007 : l’inflation de l’offre, la dominance du Luxembourg tant du point de vue financier que du point de vue engagement et événements.

Néanmoins, la coopération administrative a été renforcée, de nouvelles possibilités pour les acteurs culturels se sont offertes. Un tiers des projets ont été des projets transfrontaliers. Des réseaux se sont formés, qui ont eu une reconnaissance "politique". 79 % des projets innovaient.

Des efforts pour assurer la durabilité ont été entrepris, comme l’a.s.b.l. Espace culturel Grande Région présentée la veille par Guy Dockendorf.    

La mobilité des artistes et des professionnels de la culture en débat: quels obstacles et quelles avancées possibles?

Etat des lieux des propositions faites aux niveaux national et européen

Stéphane Fievet, comédien et metteur en scène, ancien président du SYNDEAC, a été l’auteur en 2008 d'un rapport pour la Présidence française de l'Union européenne ("Développer le spectacle vivant en Europe, de l'intention à la réalité").

Pour avancer en Europe sur la question de la mobilité culturelle, il convient selon lui de prendre en compte trois vecteurs d'analyse : la mobilité des personnes, la mobilité des œuvres, la mobilité des spectacles, sachant que l'on distingue ici l'œuvre en soi (musicale, dramatique…) de sa représentation.

Selon Fievet, il y a peu d’obstacles pour la mobilité culturelle entre Etats membres, mais ils sont nombreux entre l’Union européenne et des pays tiers. "Pourtant, le contact avec l’altérité est nécessaire", a-t-il souligné.

S’il est d’avis qu’un renforcement des statuts des acteurs culturels ne signifie pas forcément plus de mobilité culturelle, il plaide néanmoins au niveau de l’Union européenne pour "un socle commun des droits sociaux des artistes".

Qui est mobile d’ailleurs ? Ce sont surtout les tenants d’arts nouveaux : la danse contemporaine, la musique amplifiée et les artistes de la rue. Il ne faut pas selon Fievet hésiter à revenir au bilatéral s’il faut favoriser la mobilité, et sur le point multilatéral européen, il a salué le recours à la MOC, une approche plus réaliste et un retour aux vraies échelles.

Il n’en reste pas moins que la mobilité devient de plus en plus chère et qu’il est donc indiqué de créer un Fonds européen pour la mobilité et des structures paritaires d’accompagnement. Loin de défendre une conception angélique de la culture, Stéphane Fievet a indiqué que pour lui, la culture ne représentait pas la paix et le rassemblement, mais un espace culturel partagé.     

Conclusions et perspectives de travail

Des participants du colloque "Mobilité culturelle"Sandrine Devaux, la cheville ouvrière d’un colloque qu’elle qualifia de "pari fou", puisqu’il avait fallu réunir une cinquantaine d’experts de toute l’Europe, fit ensuite le point sur la mobilité culturelle et la coopération artistique qui sont une nécessité, qui attisent et assouvissent la curiosité, qui sont aussi le résultat d’opportunités. La mobilité transfrontalière du public de la Grande Région n’est pas seulement une possibilité, pour Devaux, elle est tout bonnement le futur. Encore ne faut-il pas oublier la dimension économique et l’imbrication des territoires lorsque l’on monte de projets.

La question est maintenant de savoir comment les politiques vont utiliser au niveau national et au niveau européen l’expertise qui existe sur la mobilité, ses obstacles et ses avantages, d’autant plus que "de nouveaux concepts fixent l’imaginaire administratif", selon une formule d’Anne-Marie Autissier, de l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Paris 8.

Andreas Wiesand, le directeur exécutif du European Institute for Comparative Cultural Research (ERICarts), eut le mot de la fin.

Deux jours de colloque n’ont pas permis de dégager de scénarii pour une intervention de l’Union européenne sur la question de la mobilité culturelle. Mais ils ont rendu possible la confrontation de nombreuses expériences en la matière, de faire la part de l’immobilité, de l’hyper-mobilité et de la vraie mobilité, qui est aussi celle qui laisse les autres entrer. Les deux journées ont également mis en avant l’ambiguïté qui existe entre la culture et l’histoire de la culture, que parler de valeurs communes et de mener un dialogue culturel n’est pas un long fleuve tranquille. L’expérience de la Grande Région a également révélé que le multi-lingualisme peut être une utopie. Finalement, la mobilité est, comme l’a montré à un autre niveau une étude sur la mobilité des étudiants, une question de survie plus que de carrière.