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Traités et Affaires institutionnelles
50e anniversaire du Parlement européen : Simone Veil, Astrid Lulling, Julian Priestley et Charles Barthel ont mesuré ''tout le chemin parcouru d’une institution atypique''
25-09-2008


Charles BarthelLe Bureau d’information du Parlement européen à Luxembourg avait convié le 25 septembre 2008 au Conservatoire de la Ville de Luxembourg à une cérémonie à l’occasion du 50e anniversaire du Parlement européen.

En présence du Grand-Duc, Astrid Lulling, la doyenne des députés européens luxembourgeois, a salué les orateurs de la soirée, et en premier lieu Simone Veil, la première présidente du Parlement européen élu au suffrage universel entre 1979 et 1982, une femme qui par son histoire "symbolise l’histoire de notre continent", l’ancien secrétaire du PE, Sir Julian Priestley, et Charles Barthel, le directeur du Centre d’études et de Recherches Robert Schuman à Luxembourg.

"Mesurer tout le chemin parcouru d’une institution atypique", retracer l’évolution "d’un club de gentlemen respectueux vers une assemblée parlementaire qui a donné des coudes jusqu’à devenir co-législateur de l’Union européenne", faire un travail de mémoire sur une assemblée "qui a des rapports compliqués avec sa propre mémoire", notamment quand il y a des mises en question du siège de Strasbourg, lieu symbolique de la réconciliation franco-allemande sur laquelle l’Union européenne a été fondée, voilà les jalons qu’Astrid Lulling, avec sa malice habituelle, a posés pour cette soirée.

Charles Barthel : le Parlement européen est "jeune, insubordonné et artificio-superstructurel"

Comment esquisser le sens d’une institution comme le Parlement européen ? L’historien Charles Barthel a retenu trois qualificatifs : "jeune, insubordonné et ‘artificio-superstructurel’".

Dans la perspective temporelle de l’histoire, le Parlement européen apparaît tout compte fait comme une institution jeune. Car malgré ses 50 ans, "il ne fait pas le poids du point de vue âge en comparaison avec le parlement français ou bien anglais, dont la création remonte jusqu’au Moyen-âge".

Le Parlement européen est selon Charles Barthel une institution "insubordonnée". Pourquoi ? Parce que le cheminement du Parlement européen - qui est passé de simple "assemblée commune" de la CECA, à "assemblée parlementaire" de la CEE avec le traité de Rome de 1958, puis promu "Parlement européen" - est marqué par une lutte du "parlement qui va s’arroger progressivement le droit que les gouvernements n’ont pas voulu lui accorder". La méthode qui a été empruntée par le Parlement européen est celle de tous les Parlements de ce monde : la désobéissance. Aujourd’hui, force est pourtant de constater, selon l’historien, que cette "assemblée originairement conçue comme un alibi", a acquis "un semblant de légitimité populaire".

La troisième caractéristique retenue par Charles Barthel : artificio-superstructurel. Pourquoi ? Parce que le Parlement européen est une création d’en haut, qui dispose de "peu d’assise populaire" et ne peut pas se référer à "une souveraineté populaire européenne" qui n’existe pas. Cette particularité fait "du Parlement européen une construction unique mais aussi en même temps la source d’un désenchantement croissant des Européens face à une Europe au sein de laquelle ils ne voient pas à qui s’adresser". Le phénomène trouve selon l’historien sa meilleure illustration dans la baisse constante du taux de participation des citoyens aux élections européennes où l’enjeu est souvent plus national qu’européen faute d’espace politique européen spécifique.. Pour sortir de ce processus négatif, Barthel propose un changement de mentalité à la fois des citoyens et des élus. Des derniers surtout, il attend "qu’ils proposent une vision européenne, un rêve qui vaut la peine d’être rêvé", car "leParlement a tout son avenir devant lui".

Julian Priestley : Comment le parlement européen est devenu un vrai parlement

Julian PriestleySelon Sir Julian Priestley, l’élection de Simone Veil comme Présidente du Parlement européen a marqué un tournant dans l’histoire du Parlement européen, car elle l’a  transformé en "un véritable Parlement de pouvoir".

Pour l’ancien secrétaire général du Parlement, le régime parlementaire est avant tout "une contribution européenne à la gouvernance".. Invention grecque, continué par le Sénat romain, avec un premier parlement en Europe en Islande en 930, puis au 13e siècle en Angleterre, où il "trouva sa plus belle expression au 18e et 19e siècle", la longue tradition du parlementarisme conduit selon Priestley à "le considérer comme une nécessité absolue".

Même si les systèmes parlementaires des 27 Etats membres diffèrent, ils sont basés sur un socle commun : ils légifèrent, votent le budget, contrôlent l’exécutif et écoutent de manière organisée les préoccupations des citoyens. Comme le Parlement européen, qui est de ce fait un vrai parlement. 

L’ancien secrétaire général du Parlement, est convaincu "que toutes les batailles qui ont été menées au sein du Parlement ont contribué à le faire avancer". Parmi les six batailles du Parlement européen décrites dans son livre, il a évoqué la première qui avait lieu en 1979. C’était une "bataille classique" pour un parlement : celle pour le budget. Pour Priestley « elle était essentielle car elle a permis au Parlement de se doter des ressources nécessaires pour faire des politiques".

Puis, il a évoqué celle qui a porté en juillet 2000 sur la directive sur les OPA (offres publiques d’achat). Le rejet de la directive par les députés européens à une seule voix de majorité a, selon Priestley, mené le Parlement à "s’impliquer davantage dans le processus d’élaboration législatif".

Une autre bataille fut celle de la participation du Parlement européen à la désignation du Président de la Commission européenne et des membres de la Commission. Ce droit, a par exemple entrainé la démission collective de la Commission Santer et contraint en 2004 la Commission Barroso à changer deux commissaires désignés, l’Italien Rocco Buttiglione et la Lettonne Ingrida Udre.

Priestley a également évoqué le débat animé qui a opposé en 1995 le Président français Jacques Chirac et les députes européens après l’annonce du gouvernement français de reprendre les essais nucléaires. Selon Priestley, c’était à ce moment que le Parlement européen "est devenu un forum de tous les citoyens".

La bataille à venir pour Priestley c’est celle pour l’opinion publique. Il regrette que "beaucoup de citoyens considèrent le Parlement comme une des grandes institutions de l’UE", mais  "n’ont toujours pas compris que le Parlement européen est leur Parlement". D’où la nécessité absolue de "transformer les élections européennes en de vrais élections » et de « communiquer notre conviction et notre enthousiasme".

Les grands moments de la présidence de Simone Veil

Simone VeilDans son allocution, Simone Veil, retraça mit en exergue le rôle croissant du Parlement européen dans la construction de l’Europe et raconta comment, en 1979, elle devint la première présidente d’un Parlement européen pour la première fois élu au suffrage universel. Ce fut le Président Valéry Giscard d’Estaing, qui avait déjà été l’instigateur du recours au suffrage universel pour élire les députés européens, et dont elle avait été la ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, qui lui demanda de conduire une liste et de briguer, élue, le perchoir de l’assemblée européenne. Dans un contexte de réconciliation franco-allemande, Giscard d’Estaing, "qui aimait les symboles", comme le remarqua Simone Veil, était d’avis qu’une ancienne déportée présidente de la première assemblée européenne élue ferait du sens pour l’Europe et soutiendrait l’idée de ce nouveau vivre-ensemble. Les chances d’être élue au poste de Présidente étaient pourtant minces. La chose put néanmoins se faire.

A l’époque, le Parlement européen ne disposait pas de son propre hémicycle. Il siégeait dans les locaux du Conseil de l’Europe à Strasbourg. Les déplacements entre Luxembourg, Bruxelles et Strasbourg provoquèrent le mécontentement du personnel et des grèves. Certains partis, dont le parti gaulliste RPR, pratiquaient le "système du tourniquet", c’est-à-dire les députés restaient un moment au PE pour le quitter en suite, laisse la place à d’autres sur la liste et reprendre un mandat dans leur pays, ce qui déstabilisait l’assemblée. Mais à terme, le système échoua.

Simone Veil relata quelques grands moments de sa présidence, comme la visite, en février 1981, du président égyptien Anouar el-Sadate au Parlement européen à Luxembourg, et qui évoqua ses idées d’une paix au proche Orient, peu de temps avant son assassinat. Ou bien le rejet du budget européen fin 1979, un processus qui opposa aussi la France et la Communauté européenne de l’époque, de sorte qu’elle commença à agir comme présidente du Parlement européen et plus comme ancienne ministre française.

Le Parlement européen ne disposait à l’époque de la présidence de Simone Veil que de peu de pouvoirs, "mais il n’était pas dépourvu d’influence". Il commença à débattre de la politique extérieure de l’Europe. Ses débats et le fait qu’il était une institution transnationale directement élue avaient un certain retentissement à l’extérieur et suscitaient la curiosité au Canada, en Amérique latine. Des parlementaires européens étendaient leurs contacts vers les pays de l’Est, visitèrent la République démocratique allemande, purent faire le constat de son délabrement et sentir les premiers indicateurs d’une réunification allemande à laquelle pratiquement personne ne croyait. Les droits de la femme étaient promus, une commission de travail parlementaire créée à cet effet. Des voyages aux USA conduisirent à des clashes avec des Etats-uniens qui poussaient vers un rapprochement avec la Turquie, alors dirigée par un régime militaire. Cet épisode amena Simone Veil à la remarque que des alliés il faudrait exiger « qu’ils nous sollicitent plutôt que de nous imposer leurs vues".

Un épisode a beaucoup marqué Simone Veil. En novembre 1989, elle se trouvait à Barcelone à une réunion avec des représentants de pays africains dans le cadre de l’ACP, lorsque tomba la nouvelle de la chute du Mur de Berlin. Tandis que les Européens exultaient et que leur joie était infinie, les Africains comprirent que désormais "l’Europe serai plus concentrée sur elle-même".

Les qualités de l’Europe selon Simone Veil

De cette Europe, qui a été créée pour la liberté, la prospérité et la paix de ses citoyens, Simone Veil déclina les spécificités : rester des êtres humains, rester attachés aux principes, se battre pour les autres, faire des sacrifices pour les autres, mener des débats, qui, s’ils sont difficiles, permettent l’apprentissage du vivre-ensemble, affirmer sa présence dans le monde, mais sans vanité ni esprit de supériorité, ne pas se laisser commander, être nous-mêmes. "Que serions-nous face à la Chine, aux USA et à la Russie sans l’Europe?", a-t-elle demandé.

Pour Simone Veil, "le refus de l’Europe est oublié", mais il y a encore beaucoup à faire. En premier lieu, le traité de Lisbonne doit être rapidement adopté. "Les Irlandais devraient comprendre qu’ils ont beaucoup bénéficié de l’Europe et laisser de côté leur mauvaise humeur." Relatant des moments difficiles dans les relations entre l’Irlande et le Royaume Uni, elle ajouta : "La souffrance des Irlandais appartient au passé, grâce à l’Europe."