Le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration, Nicolas Schmit, a participé le 18 septembre 2008 à Mannheim à un symposium international organisé par le Goethe-Institut et consacré aux "modèles multiculturels et polyphoniques des cultures urbaines". Le sujet central de cette rencontre qui réunissait des acteurs politiques, économiques et culturels de plusieurs continents était d’évoquer les défis que les villes du 21e siècle doivent affronter dans des sociétés qui agissent dans un contexte de plus en plus globalisé qui les transforme en points nodaux d’un marché du travail transnational, de la mobilité et de l’immigration.
L’intervention de Nicolas Schmit eut lieu lors d’une table-ronde consacrée aux bonnes pratiques "dans la gestion de la diversité culturelle (..) dans des villes qui peuvent jeter un regard en arrière sur une longue tradition de la coexistence de nombreuses cultures et nationalités", des "villes cosmopolites" aussi situées "dans des pays d’immigration traditionnels". New York, San Diego, Sydney, Toronto et Luxembourg étaient dans le cas présents à l’affiche.
Nicolas Schmit présenta à son auditoire la situation particulière et unique en Europe d’un pays qui compte 43 % de non-nationaux parmi sa population et presque 70 % de non-nationaux, résidents et frontaliers, parmi sa population active.
"Mais peut-on parler d’immigrés dans le cas des citoyens de l’Union européenne ?" s’est-t-il demandé, "puisque ces personnes ne font rien d’autre que de bénéficier de leur droit à la libre circulation que leur confèrent les traités européens." Il n’en reste pas moins que cette situation suscite des défis pour la société d’accueil luxembourgeoise. "Des personnes qui jouissent d’emblée des mêmes droits économiques et sociaux que les Luxembourgeois, et en partie de droits politiques, pour ce qui est des élections communales et européennes, sont paradoxalement peu motivées pour apprendre notre langue, et leur identification avec le pays reste faible."
Cela pose problème pour le ministre délégué, "puisque nous faisons fonctionner notre Etat sur une base démocratique qui n’implique plus une part substantielle de notre population et notamment celle qui travaille et contribue à la richesse du pays." Lors des élections nationales, ce ne sont que les nationaux qui vont voter, mais d’un autre côté, sur le marché du travail, les non-nationaux représentent plus de deux tiers des actifs. La question de la coexistence entre Luxembourgeois et non-nationaux résidents, et entre résidents et frontaliers est donc posée sous l’angle de l’intégration.
"Le Luxembourg se situe à la frontière linguistique entre les langues romanes et germaniques", a expliqué le ministre à un public nombreux et venu de continents et d’horizons très divers. "Mais la situation d’un pays où le luxembourgeois était la langue parlée, l’allemand la langue d’alphabétisation et le français la langue administrative, a changé." Il a donné pour exemple le fait que dans le système de santé, la langue française est si présente que cela pose des problèmes à des patients qui ne manient pas bien cette langue.
D’où la question comment il faut réorganiser l’agencement de ce large éventail de langues, mais aussi comment l’on peut aborder la question de l’identité et de la diffusion de la langue luxembourgeoises alors que l’économie du pays se globalise et que sa société se diversifie de façon vertigineuse. "La langue luxembourgeoise a pris une place plus importante. Avec la nouvelle loi sur la double nationalité, il y aura d’un côté une ouverture, puisque celui qui veut devenir Luxembourgeois, n’aura plus besoin de renoncer à sa nationalité, mais de l’autre côté il devra connaître la langue du pays dont il veut prendre la nationalité."
Nicolas Schmit a ensuite évoqué la valorisation de l’école publique comme facteur d’intégration, un rôle qui a été négligé sur des décennies, "car on a joué sur le temps, et tout bâti sur l’espoir que l’intégration scolaire de la deuxième génération d’immigrés irait tout seul. Cette hypothèse s’est avérée fausse, et c’est afin de renforcer la cohésion sociale que l’on a introduit le système de l’éducation précoce qui permet aux enfants d’apprendre le luxembourgeois dès l’âge de trois ans, afin que tous les enfants du pays se retrouvent, quand ils entrent dans le primaire, sur un même niveau hypothétique quand commence l’alphabétisation par l’allemand."
"Il n’en reste pas moins", a conclu le ministre délégué, "qu’aucun système ne peut continuer à fonctionner si une minorité décide pour une majorité, et d’ici quelques années, entre 2015 et 2020, si l’évolution actuelle continue, les Luxembourgeois seront minoritaires dans leur pays. Le modèle koweitien n’est pas une solution. Il faut se rapprocher entre résidents du pays et organiser le vivre ensemble y compris sur le plan des droits politiques. L’ouverture de la nationalité doit à cet égard devenir un succès en vue de l’intégration mais aussi afin de maintenir une dynamique sociale dans le pays."
Le débat donna au ministre Schmit l’opportunité d’approfondir sa pensée à ce sujet. "Une personne possède plusieurs identités. C’est pour respecter cela que nous introduirons d’ici peu la double nationalité au Luxembourg qui permettra à ceux qui veulent devenir Luxembourgeois de jouir de tous leurs droits citoyens tout en préservant leur différence, leur diversité. Pour être intégré en tant que non-national dans le système politique d’un pays, le dernier pas est celui d’en acquérir la citoyenneté. Mais intégrer les personnes venues d’ailleurs dans un système politique est un processus très compliqué. Il faut déjà développer un grand travail d’explication pour que les non-nationaux participent aux élections communales, alors qu’ils en ont le droit."
D’un point de vue européen, Nicolas Schmit a insisté sur l’importance que l’Europe aborde ensemble la question de l’immigration, mais pas seulement entre Européens, mais aussi avec les pays concernés. Une telle coopération est notamment nécessaire avec les pays qui risquent d’être affectés par la "fuite des cerveaux", ces personnes hautement qualifiées dont l’Europe a besoin mais qui manquent ensuite cruellement dans leurs pays d’origine.
D’autre part, la diversification culturelle induit pour Nicolas Schmit dans les sociétés européennes le sentiment d’un changement profond de l’atmosphère culturelle, qui se traduit par l’idée de chocs et clivages culturels qui suscitent des angoisses. "Ces angoisses se dirigent souvent contre l’islam qui est perçu comme l’ennemi. Il faut se garder cependant de laisser croître parmi nous l’image, toujours dangereuse, de l’ennemi. Il ne faut pas accepter que le monde soit divisé entre par exemple le monde islamique et le monde occidental. Le monde est un dans sa diversité. La façon dont nous parlons des conflits dans le monde, par exemple la façon dont nous parlons de l’Irak, de l’Iran, de l’Afghanistan, a une incidence directe sur la façon dont nous coexistons avec ceux qui sont venus d’ailleurs. Il faut éviter les divisions dans nos sociétés. L’Europe doit remplir chez soi et à l’extérieur son rôle de faiseur de paix."
A un journaliste, le ministre a expliqué que la diversité n’est pas en soi un problème, surtout quand elle peut être vécue dans une société qui est prospère et où prévaut le plein emploi. La pauvreté, le chômage et l’exclusion sociale sont des facteurs d’antagonismes. Mais si les différences sociales s’accentuent, la diversité peut devenir un vecteur de division dans nos sociétés."Il faut donner du travail aux gens, leur donner la possibilité de pousser leur formation, leur ouvrir les portes de l’ascension sociale. (..) Il faut être à la fois pragmatique et développer, pays par pays, des modèles d’intégration adaptés, car l’intégration n’est pas un état qui se décrète, mais un processus compliqué. La diversité est une richesse, mais l’intégration va dans deux directions. Celui qui veut s’intégrer doit aussi assumer les valeurs de base de la société ouverte dans laquelle il vit, c’est absolument indispensable."