Le 29 octobre 2008, l’Institut Pierre Werner de Luxembourg la Chambre de Commerceet le Comité des Affaires étrangères du Conseil de la Fédération de Russie avaient organisé une conférence internationale sur le dialogue énergétique entre l’Union européenne et la Russie.
Le ministre délégué aux Affaires étrangères, Nicolas Schmit, a rappelé que la coopération entre l’UE et la Russie dans le domaine économique a une longue tradition. La création d’un Conseil de partenariat permanent des ministres de l'énergie de l’Union européenne et de la Russie qui prévoit des réunions à intervalles réguliers démontre, selon lui, "que le dialogue énergétique continue d'être un outil nécessaire et utile pour approfondir et stabiliser les relations énergétiques entre l'Union européenne et la Russie".
L’opinion publique a, selon le ministre délégué aux Affaires étrangères, retenu deux choses du conflit qui a opposé l’UE et la Russie en 2006 et 2007 sur la question énergétique autour du transit en Ukraine : la mise en évidence de la dépendance énergétique de l’Europe vis-à- vis des pays exportateurs de pétrole et l’image d’une Russie qui a été présentée comme un partenaire peu fiable. Mais selon Nicolas Schmit,cette représentation qui a été véhiculée dans les médias ne correspond pas à la réalité parce que " la Russie a tenu tous ses engagements contractuels".
Vu que la Russie est le premier fournisseur d’hydrocarbures de l’UE - 40 % du gaz naturel importé en Europe est en provenance de la Russie et 60 % du pétrole qui est exporté de la Russie est destiné à l’UE - Nicolas Schmit a estimé que l’UE et la Russie "ont tout intérêt à approfondir leurs relations".
Nicolas Schmit a estimé qu’il ne faut plus limiter les partenariats qui sont bénéfiques à l’Union européenne et à la Russie au gaz et au pétrole. Vu que la transition d’une économie basée sur les énergies fossiles à une économie après les énergies fossiles ne se fera pas du jour au lendemain, Nicolas Schmit a estimé qu’il faut aborder le problème énergétique sur le long terme. Dans ce contexte, Nicolas Schmit a prôné un partenariat dans le domaine des énergies renouvelables et de l’efficience énergétique, deux domaines dans lesquels les compétences de la Russie et de l’UE peuvent se révéler complémentaires. Il s’est également exprimé en faveur d’un renforcement du dialogue énergétique et d’un nouvel accord de partenariat et de coopération avec un chapitre consacré à l’énergie. Nicolas Schmit a finalement souligné l’importance de trouver un accord entre partenaires afin que la Russie puisse signer le traité sur la charte de l’énergie.
Pour Pierre Gramegna, le directeur de la Chambre de Commerce du Luxembourg, la Russie, premier fournisseur d’énergie, est également un partenaire économique de très grande importance pour le Luxembourg. Ses exportations en direction du Luxembourg ont été multipliées par sept. "A tel point que la Russie est aujourd’hui parmi les 10 premiers partenaires économiques du Luxembourg" a-t-il expliqué. Dans le contexte actuel, Pierre Gramegna était également d’avis que la Russie et l’Europe doivent discuter de la volatilité des cours du pétrole et du gaz.
Edouard Malayan, ambassadeur de la Fédération de Russie au Luxembourg, a insisté sur le caractère imprévisible de la crise qui secoue actuellement les marchés des économies mondiales. Dans un tel contexte, un renforcement du dialogue russo-européen, basé sur la confiance et la compréhension, s’avère, selon lui, indispensable.
La session introductive de la conférence était consacré aux évaluation et perspectives du dialogue énergétique UE-Russie.
Valentin Meshevich, qui est le président du comité russe pour les monopoles des ressources naturelles, a établi un véritable catalogue des positions et revendications russes quant au partenariat énergétique entre l’Union européenne et la Russie. Du côté européen, Meshevich a insisté sur la nécessité pour l’Union européenne de nouer des relations durables avec ses fournisseurs extérieurs, "ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui". L’Union européenne devrait également veiller de manière plus attentive à sa sécurité énergétique. "L’Europe doit diversifier ses sources énergétiques, car la Russie ne pourra pas sauver l’Union européenne de l’épuisement des sources », a souligné le député russe. Plus loin, il a exigé que l’Union européenne investisse davantage dans le développement du secteur énergétique en Russie. "Nous avons seulement des capitaux privés qui investissent chez nous. Aucune banque européenne n’a investi dans notre secteur énergétique", a critiqué Meshevich.
Meshevich a ensuite énuméré les revendications du côté russe. Tout d’abord, le pays souhaite que, dans le nouvel Accord de Partenariat et de Coopération, une partie soit consacrée à la production des énergies fossiles. Cette partie devrait également inclure les produits finis, et non seulement les matières premières, en l’occurrence le gaz. Ensuite, Meshevich a exigé que la Russie soit admise dans l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). "C’est inévitable", a-t-il insisté. Finalement, Meshevich a réitéré la position russe face au protocole de transit, qui fait partie de la Charte européenne de l’Energie. "Ce protocole est inacceptable, car il prend seulement en compte les intérêts européens", a-t-il critiqué. Pour lui, la version actuelle de ce protocole " mine les accords à long terme et interfère avec le système de transit russe".
Christian Cleutinx, qui est le coordinateur du dialogue énergétique entre l’Union européenne et la Russie à la Commission européenne, a qualifié les relations entre la Russie et l’UE des "plus compétitives". Selon lui, l’UE a été très active pour développer un marché intégré du gaz et de l’électricité en promouvant les infrastructures nécessaires à travers le "Transeuropen Energy Networks" (TEN-E) dont l’objectif est d’assurer l’approvisionnement des Etats en énergie. Sur le plan extérieur, le "dialogue énergétique" lors du Sommet de Paris du 30 octobre 2000 est considéré, par Christian Cleutinx, comme marquant "le décollage réel du partenariat russo-européen". L’approfondissement des relations entre l’UE et la Russie, qui est de loin le premier fournisseur de pétrole, de gaz et d’uranium de l’UE, s’inscrit donc selon Christian Cleutinx, dans une "certaine logique".
S’il est vrai que la Russie et l’Europe entretiennent des relations d’interdépendance, celles-ci ne sont pas exemptes de tensions. Le conflit caucasien, les soubresauts sur les marchés boursiers qui n’épargneront ni la Russie, ni l’UE, et la volatilité des prix du gaz et du pétrole posent, selon Christian Cleutinx, de "nouvelles questions et de nouveaux défis aux deux partenaires". A l’avenir, les deux ensembles géopolitiques seront confrontés à des répercussions au niveau de la demande en énergie et de la disponibilité en liquidités de la part des banques. Quelle solution apporter à ces problèmes ? Christian Cleutinx, est convaincu "que le secteur énergétique peut apporter une réponse centrale".
A qui peut-on imputer la responsabilité du conflit énergétique qui a opposé la Russie et l’UE en 2006/2007 ? "En Europe, il a ceux qui critiquent la Russie pour avoir entamé des relations bilatérales avec certains Etats membres individuellement, une façon pour empêcher l’Europe de parler d’une seule voix", a expliqué Christian Cleutinx, qui ne croit pourtant pas à cette interprétation des événements désignée de "stratégie de désagrégation". Il a estimé "que la Russie a plutôt exploité l’incapacité de l’UE de parler d’une seule voix".
Christian Cleutinx a cité le terme de "réciprocité" pour montrer que des problèmes d’interprétation existent sur le plan sémantique. Tandis que le terme fait, en Russie, référence "à une égalité qui doit être atteinte dans les résultats finaux », il est employé en Europe pour désigner « des principes communs sur lesquels on s’est mis d’accord pour accéder aux marchés".
Pour mener le dialogue avec la Russie, Christian Cleutinx a prôné le développement d’un marché intégré de l’énergie qui serait basé sur la solidarité entre les Etats membres. Il a estimé que les relations entre l’UE et la Russie doivent être basées sur la confiance, la transparence, la force et le développement de synergies. Il a prôné la mise en place d’un mécanisme d’alerte précoce sur la demande et l’offre de gaz et de pétrole. Ce système permettrait à l’UE et la Russie d’anticiper les problèmes lorsqu’ils surgissent et de minimiser les impacts sur le court, moyen et long terme.
Jacques Deyirmendjian, directeur de Deynergies et ancien Président de Gaz de France, a dessiné un tableau des activités de la Commission européenne dans le domaine de l’énergie et dressé la liste des problèmes. Après la réorganisation du marché énergétique menée par la Commission européenne, les petits groupes de producteurs ont disparu et cédé la place à quelques grands producteurs. " Est-ce que cette réorganisation du marché est une garantie pour le consommateur de profiter de prix plus équitables ? Ce n’est pas sûr. Est-ce une garantie pour un approvisionnement sécurisé ? Ce n’est pas sûr non plus", a lancé Jacques Deyrimendjian.
Pour lui, la question de la sécurité d’approvisionnement en énergie n’a soulevé l’intérêt de la Commission européenne que depuis peu de temps. En 2004, la question a été abordée dans une directive spécifique, directive qui n’aurait pas amélioré significativement la situation d’après le directeur de Deynergies.
La Commission européenne a également soutenu le projet de l’oléoduc Nabucco qui devrait acheminer du gaz de la région Caspienne à la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et l’Autriche en passant par la Turquie."En principe, c’était une bonne idée, mais elle ne fonctionnera pas", a regretté Jacques Deyirmendjian. Parallèlement, la Commission a selon lui encourag un "surinvestissement infrastructurel", surtout la construction de nouveaux gazoducs."Actuellement la moitié de ces capacités n’est pas utilisée", a-t-il avancé. Selon Deyirmendjian, le but ultime de la Commission serait de faire des compagnies énergétiques soit des fournisseurs d'infrastructures placées sous le contrôle du régulateur, soit un producteur d'énergie. Le résultat en est à ses yeux un "marché à court terme, la volatilité de la livraison et des prix".
Finalement, Deyirmendjian a adressé une série de recommandations à la Commission européenne et à la Russie. "La Commission devra changer son approche. L’idée de la réciprocité par exemple est un concept intéressant, mais il est une coquille vide. Peu d’entreprises sont préparées à s’investir dans les réseaux de gaz russes, elles souffrent déjà des régulations dans leur pays", a expliqué Deyirmendjian. "Les développements dans nos économies ont dramatiquement changé les conditions du dialogue entre la Russie et l’Union européenne. Les deux partenaires devront revoir de manière positive leurs relations", a-t-il souligné.
Pour l’ancien directeur de Gaz de France, la Commission européenne devra avant tout revoir ses positions idéologiques, et devenir plus pragmatique, notamment en matière des contrats à long terme, les prix à courte terme, la récession, les partenaires, ainsi que les principes de réciprocité. Le commissaire européen responsable pour l’Energie devrait résolument combattre la spéculation et la volatilité des prix. "Les deux côtés ont un intérêt commun", a insisté Deyirmendjian.
Quel est l’état du dialogue UE-Russie ? Quentin Perret, commissaire du Ministère de l’environnement en France, a retracé les situations disparates qui existent entre les Etats membres de l’Union européenne, ce qui empêche l’UE de parler d’une seule voix dans les négociations avec la Russie. Quentin Perret a identifié trois groupes de pays qui sont animés par des intérêts différents lorsqu’il s’agit d’entamer des discussions avec la Russie. Parmi eux, il y a le groupe de la Finlande, de la Slovaquie, de la Bulgarie, de la République tchèque, de l’Autriche et de la Pologne. Ce groupe de pays se caractérise par une grande dépendance énergétique vis-à-vis des exportations de la Russie. La dépendance est beaucoup moins accentuée dans le deuxième groupe qui réunit l’Allemagne, l’Italie et la France et est quasiment inexistante dans le cas de la Grande-Bretagne, de l’Espagne et du Portugal.
Quentin Perret a estimé que les relations entre l’UE et la Russie manquent avant tout de scénarios communs et de prévisibilité en matière d’offre et de demande des ressources énergétiques. Selon lui, des améliorations s’imposent surtout au niveau de la sécurité énergétique, des stratégies et des scénarios.
Pour mettre en place une meilleure sécurité énergétique, il a prôné une meilleure coordination entre les Etats membres, une plus grande transparence entre les Etats membres de l’UE lorsqu’ils négocient seul avec la Russie et la mise en place d’un mécanisme d’alerte précoce. Des efforts supplémentaires doivent également être consentis pour promouvoir un marché intégré de l’énergie en Europe et pour améliorer le stockage des ressources énergétiques.
le député luxembourgeois Charles Goerens a introduit la deuxième session sur les "perspectives d’um partenariat stratégique UE-Russie dans le domaine de l’énergie". Pour Goerens, un partenariat stratégique en énergie doit être basé sur une "confiance mutuelle durable" et sur une "sécurité absolue qui ne peut être mis en danger par des courants idéologiques ou des divergences politiques". Le député libéral a ensuite mentionné une série de conflits qui risquent selon lui de diriger les relations euro-russes « dans la mauvaise direction". Parmi ces derniers, il a cité la relation problématique avec l’Ukraine, "qui crée une atmosphère de méfiance", le projet de l’oléoduc Nabucco, qui amènera le pétrole d’Asie vers l’Europe en excluant la Russie, la crise géorgienne ou encore le système antimissile installé en Pologne. Pour Goerens, ce dernier conflit fut une "chance ratée pour l’UE de montrer ses similitudes avec la Russie". A ses yeux, l’UE et la Russie peuvent surmonter ces problèmes.
Andrey A. Konplyanik, consultant de Gazprom, s’est attaché à la question comment le partenariat énergétique entre l’Union européenne et la Russie pourrait être créé de la meilleure manière. Il a analysé trois possibilités différentes : l’exportation de l’acquis communautaire européen, la création d’un nouveau traité bilatéral, basé sur les principes de la Charte européenne de l’Energie, ou encore la création d’une nouvelle Charte de l’Energie.
L’application de l’acquis communautaire en Russie, c’est-à-dire l’application du système législatif européen en Russie serait une première option. Selon Konoplyanik, l’Union européenne préférerait cette première option. Pourtant, cette idée a été refusée en Russie. Qui plus est, l’acquis ne peut pas couvrir tous les segments de la chaîne de l’énergie en direction de l’UE.
La deuxième option pourrait consister dans un nouveau traité bilatéral entre l’Union européenne et la Russie, basée sur les principes de la Charte européenne de l’Energie, qui fut signée en 1998. D’après Konoplyanik, cette deuxième possibilité était le compromis avancé par la Russie, mais n’a trouvé que peu d’adhérents en Europe. Ce traité bilatéral ne couvrirait pourtant pas les Etats de transit entre l’UE et la Russie, par lesquels passent les ressources énergétiques sur leur chemin vers l’Europe. Pour Konoplyanik, un autre problème s’ajoute : "les négociations pour une telle charte juridiquement contraignante, devraient se faire de manière multilatérale, entre la Russie et tous les Etats membres de l’UE. Aujourd’hui, de telles négociations sont beaucoup plus difficiles que pendant les années 90", a-t-il mis en garde.
La troisième option pour Konoplyanik serait d’établir une nouvelle Charte de l’Energie (ECT) qui pourrait servir comme base pour la création d’un espace énergétique russo-européen. "Cette nouvelle charte couvrirait toutes les chaînes énergétiques vers l’UE, et assurerait ainsi la mise en place de standards minimaux pour un espace plus grand", a-t-il expliqué. Pour Konoplyanik, cette dernière option est certainement la meilleure. Surtout que la Charte constitue déjà une base légale et pour 51 Etats. La Russie en fait partie, mais actuellement, elle l’a seulement signée sur une base provisoire, et ne l’a pas encore ratifiée. "Cette signature est cruciale si l’ECT doit devenir le fonds commun de l’espace énergétique", a souligné Konoplyanik. Une des préoccupations principales de la Russie concerne le Protocole de transit (TP), qui accompagne la Charte.
Pour Konoplyanik, la seule solution pour avancer serait de revoir le Protocole de transit et de prendre en compte les préoccupations de la Russie, de le signer ensuite, puis de ratifier simultanément le Protocole et la Charte de l’Energie en Russie.
Dieter Helm, professeur à l’Université d’Oxford et membre consultatif de la Commission sur la sécurité énergétique et le climat, a livré ses réflexions sur le partenariat UE-Russie. Il a analysé les intérêts et les stratégies divergents de la Russie et l’UE. Tandis que la Russie veut avant tout maximiser les retours sur investissement, l’objectif de l’UE est de minimiser les retours en investissements, mais aussi de renforcer la sécurité de l’approvisionnement énergétique et de lutter contre les effets du changement climatique. La stratégie de la Russie consiste, par contre, à nationaliser les ressources énergétiques, à monopoliser les gazoducs, à signer des contrats bilatéraux et à long terme, et de transporter l’offre de la Mer caspienne par le Nord.
Dieter Helm était d’avis que la stratégie européenne qui consiste avant tout à développer des ressources d’énergies renouvelables, et à signer des contrats bilatéraux, a "abouti à un échec". Pour remédier à cette situation, Dieter Helm a proposé de limiter la ruée vers le gaz, de concentrer les efforts sur le développement d’énergies alternatives, de développer une politique active en faveur des pays de l’Afrique du Nord et de repenser la position de l’Iran. Au niveau européen, il prône le développement du "Hampton Court agenda", de stocker des ressources énergétiques, de mettre en place une protection mutuelle et de développer des licences communes en matière nucléaire.
Vu que la Russie et l’UE sont interdépendantes - la Russie a besoin d’un marché stable et prévisible et l’Europe a besoin d’un fournisseur fiable qui livre des ressources énergétiques à des prix raisonnables - Dieter Helm a estimé que "la situation actuelle est intenable pour les deux partenaires". Il constate que les événements dans le Caucase n’ont pas contribué à améliorer les relations avec la Russie. Il a mis en garde contre un échec des négociations sur l’Accord de partenariat et de coopération (APC) qui "engendrera une ruée sur l’acier, le nucléaire et mettra l’intégration économique en péril".
Laure Delcour, la directrice de l’Institut des Relations internationales et stratégies (IRIS) a analysé les problèmes du dialogue énergétique entre l’Union européenne et la Russie dans un contexte plus large.
D’après la chercheuse, l’Union européenne et la Russie ne sont pas capables de saisir tout le potentiel de leur dialogue. Pour Laure Delcour, la Russie est le partenaire le plus complexe de l’Union européenne. Elle confronte l’UE à trois défis essentiels. Le premier défi est la nécessité pour l’Union européenne de définir une politique étrangère commune, ainsi qu’une politique énergétique commune. La diversité des approches des Etats membres rend les relations avec la Russie d’autant plus difficiles. Ensuite, le deuxième problème réside dans le fait que les relations avec la Russie font appel à deux registres de la politique étrangère européenne. La Russie est en effet à la fois voisin de l’Union européenne et un de ses partenaires stratégiques principaux. Pour Laure Delcour, le principal défi pour l’UE sera de "trouver une balance entre ces deux registres". Finalement, la Russie confronte également l’Europe avec les limites de son propre processus d’intégration. Les domaines qui constituent le cœur du partenariat avec la Russie sont également les moins développés dans le processus d’intégration européenne. Dans le domaine de l’énergie par exemple, le Conseil de l’Union a des compétences très limitées. D’où la nécessité pour les Etats membres de définir une politique énergétique commune, avant d’en élaborer une avec la Russie.
Elena Telegina, la directrice de l’Institut des problèmes économiques et géopolitique et de la sécurité énergétique en Russie, s’est focalisée sur les relations d’interdépendance qui existent entre la Russie et l’UE. Même si les piliers de l’économie européenne sont très diversifiés, Elena Telegina a remarqué que " la dépendance énergétique de l’UE vis-à-vis de la Russie est en augmentation constante". Les projections statistiques, devraient selon Elena Telegina "préoccuper l’Europe d’un point de vue politique et économique". Surtout parce qu’il s’agit "d’un enjeu qui aura des répercussions importantes sur la qualité de vie des Européens".
Autre constat dressé par Elena Telegina : les préoccupations de la Russie et de l’UE divergent fortement. En Europe, la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et la situation monopolistique de Gazprom sont ressenties comme des menaces. Les Européens y décèlent également un moyen de manipulation politique qui pourrait être utilisé par la Russie et craignent que les installations russes, faute d’investissements, ne soient capables de satisfaire les besoins en énergie de l’Europe.
La Russie, quant à elle, craint que les politiques européennes mettent en péril la demande en ressources énergétiques. Elle voit d’un mauvais œil certains règlements européens qui prévoient une séparation entre les fournisseurs d’énergie et les réseaux et craignent d’être victimes de discriminations sur les marchés européens.
En conclusion Elena Telegina a estimé que l’UE et la Russie nécessitent une approche commune en ce qui concerne à la fois les marchés internes et externes. Pour ce faire, des investissements doivent être consentis et un dialogue doit être établi à tous les niveaux. Dans cette perspective, le partenariat énergétique devrait, selon elle, apporter un apport proactif au dialogue UE-Russie.
Le second panel, dédié aux infrastructures, aux marchés stratégiques des matières premières et à la diversification des sources d’énergie en Russie débuta par l’intervention d’un ancien ministre de l’industrie minière de l’Union soviétique, Mikhail Shchadov. L’intervenant mit en avant l’importance du charbon pour la production d’électricité en Russie et dans les pays voisins comme le Kazakhstan, où le charbon contribue à 70 % de la production d’électricité. Le plus grand défi pour l’industrie du charbon russe est que la Russie ne produit plus de machines pour l’extraction et le traitement du charbon. Les achats de machines se faisaient d’abords en Allemagne, puis au Royaume Uni. Mais entretemps, les prix sont devenus si élevés que les compagnies minières russes hésitent à investir. D’autre part, des problèmes sont apparus avec la fourniture de pièces de rechange de la part des producteurs de machines allemands qui se sont retirés du marché. Les achats sont maintenant opérés en Chine, mais le matériel est de moindre qualité. Shchadov, qui a également abordé les problèmes de sécurité dans les mines, de transport, de voies de communication, d’infrastructures et de restructuration de l’industrie minière – qui reste selon lui en-deçà de son potentiel - a lancé un appel à ce que dans l’Union européenne, l’industrie se remette à produire des machines pour l’industrie minière.
Jean Lucius, un des cadres dirigeants de la société luxembourgeoise active dans le secteur de l’énergie, la SOTEG, a souligné que la libéralisation du marché de l’énergie a offert à son entreprise de nombreuses possibilités d’expansion et qu’elle aura des répercussions positives sur les relations énergétiques entre l’Union européenne et la Russie. Ainsi, SOTEG, qui est passée de la commercialisation à la production d’énergies et qui est un des partenaires de la NewCo qui sortira de la fusion entre la Cegedel, SOTEG et Saar-Ferngas, a construit en 2007 avec le géant russe Gazprom une centrale électrique en Allemagne. Il a d’autre part insisté sur l’énorme potentiel que la Russie représente avec ses grands espaces pour le secteur des énergies renouvelables. Mais l’énergie étant un secteur qui requiert de très gros volumes en investissement, Lucius a dû pointer vers la volatilité des prix du pétrole, qui passent des hausses vertigineuses aux chutes libres, et qui, du fait qu’ils hypothèquent les prévisions budgétaires des entreprises, deviennent de vrais obstacles à l’investissement.
Après une présentation des atouts du Tatarstan en matière des ressources énergétiques par l’ancien Premier ministre de cette république russe, Muchammat Sabirov, ce fut au tour d’Andrea Reiss, expert auprès de l’ÖMV, http://fr.wikipedia.org/wiki/OMV la grande firme autrichienne leader du marché de l’énergie en Europe centrale, de parler de l’Autriche comme pays de transit et client des combustibles en provenance de la Russie. La Russie est pour l’ÖMV depuis 40 ans un partenaire fiable, et cette coopération vient d’être prolongée en 2006 jusqu’en 2027. L’Autriche achète 51 % de ses besoins énergétiques à la Russie. Elle est un pays de transit des hydrocarbures russes vers l’Allemagne, la Hongrie, la Croatie, la Slovénie et l’Italie. Un tiers de toutes les exportations russes en matière d’énergie transitent par l’Autriche, notamment par le terminal gazier de Baumgarten, dont l'ÖMV a cédé à Gazprom 50 % des actions. Pour Reiss, un marché sain des hydrocarbures, et notamment du gaz en Union européenne ne peut être garanti que par des contrats à long terme qui donnent à l’Union européenne une sécurité de l’approvisionnement et à la Russie une stabilité de la demande.
Youri Lavrov, le chef de la représentation de Lukoil en Belgique a présenté sa firme qui est devenue en l’espace de 15 ans la seconde entreprise pétrolière et gazière du monde. Il a admis que les investissements dans le secteur étaient très affectés par la crise financière et il s’en est violemment pris aux produits financiers dérivés, aux "paperasses" requises et aux frais qui sont générés par la registration des produits chimiques dans le cadre de REACH et aux problèmes technologiques que la Russie rencontrait. Comme les autres orateurs, il a signalé que la stabilité de la demande énergétique de l’Union européenne à l’égard de la Russie était la question-clé.
Le développement des infrastructures en Russie, un problème qui n’est pas seulement un problème budgétaire
Le troisième panel a abordé la question du développement des infrastructures en Russie, un problème qui n’est pas seulement considéré par les experts comme un problème budgétaire.
Kirsten Westphal, de la Stiftung Wissenschaft und Politik, mit en exergue les problèmes qui sont liés au fait que la plupart de l’énergie produite en Russie l’est à l’Est du pays. Les problèmes de transport et le coût de l’extraction par des installations qui ont un besoin urgent d’être revues et renouvelées auront pour conséquence que les temps de l’énergie à bon marché sont bel et bien finis. Elle a avancé le chiffre d’un besoin en investissements entre 500 et 650 milliards d’euros jusqu’en 2030. La crise financière, la décision de Gazprom de se diversifier, y compris sur les marchés européens et de moins investir dans l’extraction va accélérer la survenue du "gas gap". En renonçant à investir massivement dans l’extraction à partir de nouvelles ressources et en devenant de plus en plus une société qui commercialise les hydrocarbures, Gazprom va retenir ses propres réserves et stabiliser les prix pour les hydrocarbures à un niveau très élevé.
Vladimir Feigin, de la Fondation "Energie et Finances" de Moscou, a estimé que les volumes d’investissements requis étaient bien plus élevés que tous les chiffres avancés au cours de la conférence, mais que les besoins européens et russes pourraient, dans le cadre de relations plus stables et meilleures, offrir de nombreuses opportunités dans les domaines de la technologie, de la fourniture d’énergie et des financements de projets. Les obstacles à ces meilleures relations étaient pour lui entre autres la crise de transit de l’énergie avec l’Ukraine, la politisation excessive de ces questions, la surestimation de la question énergétique, la pression européenne excessive pour que la Douma ratifie la Charte sur l’énergie, (ECT) le fait que l’Union européenne et la Russie se trouvent dans une phase de transition quant à la structuration de leur marché de l’énergie et les règlements concernant leurs industries, tout cela rendant un accord général difficile. L’expert russe a critiqué le paquet climat/énergie, qui par sa volonté de réduire les émissions de CO2 et en voulant donner la plus grande autonomie à l’Union européenne par rapport à la Russie, tend à diminuer le marché de l’énergie sur les prochains 30 ans, ce qui décourage les Russes à investir pour des perspectives qui sont en fait du court terme. Bref, pour Feigin, l’Union européenne se crée elle-même ses problèmes énergétiques. Néanmoins, l’on pourrait avancer sur la voie de la ratification de l’ECT si le Protocole sur le transit (TP) était également applicable sur le territoire de l’Union et si l’ECT était assortie d’une clause de renouvellement qui permettait de miser sur le long terme et de réduire les risques mutuels.
Josef Auer, analyste à la Deutsche Bank, défendit son hypothèse que le marché de la seconde génération des énergies renouvelables, un marché de 3 billions d’euros, serait l’axe majeur de la coopération entre l’Union européenne et la Russie. Néanmoins, investir en Russie, et notamment dans les infrastructures, est devenu plus difficile avec la crise financière et la volatilité des prix du pétrole, alors que 200 milliards de dollars sont selon lui nécessaires à court terme. La sécurité de l’investissement n’est pas encore assez garantie, les engagements souvent pas respectés, la réciprocité par l’échange de valeurs qu’exigent les Russes ne correspondant pas avec l’idée de symétrie qu’ont les Européens de leurs rapports économiques avec la Russie. D’où la proposition d’Auer que Russes de la Gazprom et firmes européennes coopèrent pour aller par exemple ensemble en Algérie ou au Nigéria.
Pour Nadia Campaner, chercheuse au Centre de Géopolitique de l’Énergie et des Matières Premières (CGEMP ) de l’Université Paris Dauphine, si l’Europe veut savoir ce qui se passe sur le marché de l’énergie en Russie, elle doit savoir que tout dépend des infrastructures de transport et de la part croissante que la Russie consomme de sa propre énergie. Plutôt que d’accorder un rôle exagérément important aux problèmes politiques, les Européens devraient porter leur regard sur ce qui se passe sur le marché en Russie. La Russie consomme deux tiers de son énergie, ce qui constitue une augmentation en peu de temps de 50 %. Les monopoles ont été libéralisés, repris et privatisés. Le pays nécessite la construction de deux centrales nucléaires par an jusqu’en 2020, ce qui augmentera la part du nucléaire de 16 % à 24 %. Une grande opportunité pour l’industrie nucléaire européenne d’entrer dans des programmes conjoints, car il y a un grand manque de main d’œuvre et d’expertise qualifiée dans le secteur nucléaire russe, qui est passé de 200 000 à 45 000 salariés, souvent ayant dépassé l’âge de la retraite. En général se pose la question de qui va faire le travail en Russie, que ce soit dans les secteurs nucléaire, de la construction, de la production de turbines, etc.. La stagnation démographique, la mauvaise santé des travailleurs, la corruption sont d’autres facteurs dont il faut tenir compte, et qui sont tout sauf de nature budgétaire.
Le quatrième panel a abordé les questions liées à l’environnement et au développement durable. Les interventions étaient monopolisées par les lobbyistes de l’industrie nucléaire.
Mickail Lysenko, de Rosatom, l’agence fédérale de l’énergie atomique russe, a défendu la thèse que lorsque le recours aux énergies fossiles de plus en plus rares sera de plus en plus cher, les énergies renouvelables ne pourront pas compenser le déficit énergétique. La Rosatom a été chargée de répondre à la demande d’énergie nucléaire qui augmentera immanquablement. Pour lui, Union européenne et Russie pourront coopérer sur la sécurité nucléaire, sur les nouveaux types de centrales nucléaires, sur la fourniture de combustibles et le traitement des déchets sur la base des règles de transparence et d’accès aux marchés de l’OMC. Lysenko prévoit l’émergence d’une "économie favorable à l’énergie nucléaire" et "une renaissance du nucléaire" qui pourvoira à la sécurité énergétique.
Après la présentation par Alexandre Nikitine, vice-président de l’Académie russe des sciences naturelles, d’un concept de centrale thermique fonctionnant avec de l’énergie renouvelable, Rolf Linkohr, ancien député européen, actif dans la consultance sur l’énergie nucléaire et qui avait dû démissionner début 2008 de ses fonctions de conseiller du commissaire européen Piebalgs, s’adressa aux Russes dans la salle pour souligner que l’objectif de réduction des émissions de CO2 était déjà une loi dans quelques pays de l’Union européenne et que s’il y avait un consensus en Union européenne, c’était celui de la lutte contre les effets des émissions de gaz de serre. Le paquet climat/énergie ne manquera pas selon lui d’introduire des distorsions de concurrence dans certains secteurs industriels, notamment celui du charbon. Le système d’échange de quotas et la clause de flexibilité de 3 % permettra cependant d’engager des coopérations avec des pays où l’émission de CO2 est moins chère et d’y monter des projets. Pour Linkohr, la Russie, qui a ratifié le protocole de Kyoto, est un élément essentiel sur l’échiquier de la négociation des accords de l’après-Kyoto. Si jamais la Russie ne devait pas accepter ces accords qui devraient être conclus en 2009, ces accords n’auront pas d’effet. Mais il faut tenir compte que sur la question des émissions de CO2, l’opinion publique européenne, presqu’unanime comme l’a été le Parlement européen, ne permettra pas aux politiques de l’Union européenne de fléchir.
Vassili Likchachov, le vice-président du Comité des Affaires étrangères du Conseil de la Fédération de Russie, conclut la conférence en la qualifiant de "nouvelle phase de la coopération entre la Russie et l’Union européenne » et en saluant « le niveau politique élevé" des débats. Il a été juste, malgré le conflit en Géorgie et le gel des négociations sur l’Accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et las Russie d’organiser la conférence à, Luxembourg et dans la logique de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne. "Le dialogue sur l’énergie est important, surtout en temps de crise", a conclu Likchachov, qui s’est déclaré convaincu que l’on pourra un jour arriver à une "coopération intégrative" entre la Russie et l’Union européenne, à condition de mettre en avant les aspects positifs du dialogue en cours.