Asfa-Wossen Asserate a d’emblée retracé l’évolution des valeurs en Europe pour montrer comment le mouvement antiautoritaire des années 60 marqué par "une critique qui s’est muée en diabolisation" et où "tout signe ostentatoire de respect a été mis au pilori" a pris une tournure inverse pour donner naissance à une société déboussolée et désorientée. Aujourd’hui, après trois décennies de libéralisation, la nécessité de former des esprits critiques qui soient capables de respecter autrui s’impose avec urgence car "seule une société qui acquiesce à ses valeurs peut avoir un futur".
Aujourd’hui, l'essor des médias électroniques et le développement des transports ont accéléré les flux des informations. Ce rétrécissement des limites planétaires a réduit le monde à un village global. Mais contrairement, à ce qu’on peut croire, l’essor de mondialisation n’est pas un "phénomène nouveau", selon le prince Asfa-Wossen Asserate. La transmission et l’échange entre différentes cultures et civilisations, qui constituent selon lui "le moteur de l’évolution humaine" remonte à la nuit des temps avec l’apparition de l’homo sapiens et les premières migrations. La différence avec aujourd’hui est tout simplement "qu’il y a eu une prise de conscience de ce phénomène, qui autrefois est passé inaperçu".
Quelle est la caractéristique fondamentale du 21e siècle ? Selon Asfa-Wossen Asserate, c’est avant tout "la faculté qu’ont les sociétés d’assimiler de nouvelles valeurs ». Dans sa vision du monde, les civilisations "s’enchevêtrent et s’enrichissent mutuellement". L’apparition de la fourchette, une invention de l'Empire byzantin, qui fut d’abord rejetée en Europe et qui s’est néanmoins imposée « comme acquis culturel important de la civilisation européenne », a permis au Prince de montrer comment la méfiance des Européens vis-à-vis de tout nouvel objet a tellement diminué au fil de l’histoire de sorte que "l’origine étrangère de certains objets est aujourd’hui complètement tombée dans l’oubli".
Asfa-Wossen Asserate a rejeté résolument la thèse développée par Samuel Huntington dans son livre "Le choc des civilisations" où il décrit que le XXIe siècle, essentiellement religieux, se caractérisera par un affrontement des grandes civilisations. Cette version apocalyptique de l’humanité, qui a été érigée en slogan, fait selon Asfa-Wossen Asserate "abstraction des racines qui sont communes à toutes les cultures, en occultant notre histoire entière qui fut pourtant marquée par des échanges entre les cultures".
Asfa-Wossen Asserate a cependant dénoncé l’égocentrisme des Européens qui "fait que tout ce qui est européen apparaît comme universel tandis que le reste est dégradé comme étant d’origine régionale". Il a rappelé dans ce contexte les valeurs essentielles qui sont à la base de la civilisation européenne, comme l’humanisme, les Lumières, la Renaissance, le Modernisme, les droits de l’homme. Même si ces courants sont au cœur de la conception européenne de la civilisation, il ne faut pas oublier selon Asfa-Wossen Asserate, que des philosophes musulmans comme Abu'l-Walid Muhammad ibn Rushd de Cordoue- appelé communément Averroès par les Européens- ont préparé ces mouvements.
Ces évolutions vont conduire à l’avènement d’une société multiculturelle et non pas "à une méga-société dotée d’un gouvernement universel". En témoigne selon lui, la résurgence et la réaffirmation de la dimension locale. Dans l’analyse d’Asfa-Wossen Asserate, la notion de "globalisation" rime avec "fragmentation". La globalisation est marquée par l’émergence d’acteurs transnationaux d’un côté. De grandes ONG se sont crées et de l’autre côté l’essor des compagnies multinationales renforce les inégalités sociales en délocalisant des entreprises, en rabaissant les niveaux des salaires et en démantelant la protection des travailleurs. Au niveau international, la forme particulière d’hégémonie que constitue la culture américaine, relayée par les moyens modernes de diffusion, est présentée comme un modèle universel. "Ce modèle est pourtant inaccessible pour les pays du sud qui sont marginalisés et aliénés », constate-t-il. S’ajoute que notre « modèle de consommation basé sur le profit" s’est transformé en un scénario de choc. Les inégalités entre le nord et le sud, qui poussent chaque jour des milliers d’Africains à émigrer en Europe nous oblige, selon le Prince Asfa-Wossen Asserate, "à définir un nouveau concept de voisinage".
Le défi à venir pour l’Europe, sera donc de concilier les exigences du libéralisme avec les valeurs de l’humanité. Dans un monde où tous les êtres sont en interdépendance constante, "la diversité culturelle est une nécessité. Celui qui accepte cette évidence, se rend compte que l’autre n’est pas son ennemi mais un miroir des ses multiples facettes", a conclu avec conviction d’Asfa-Wossen Asserate.