Principaux portails publics  |     | 

Développement et aide humanitaire
Pour Haytham Safar, l’Europe ne peut pas se passer d’une coopération sincère et renforcée avec les pays de la Méditerranée
13-10-2008


Haytham SafarLes relations entre l’Union européenne et les pays de la Méditerranée fut le sujet d’une conférence donnée par Haytham Safar au Centre culturel le 11 septembre 2008. Ce professeur à l’Université de Mons, fondateur de la section d’Etudes euro-méditerranéennes de l’Université de Mons et auteur de plusieurs ouvrages, a passé en revue les principales tentatives de coopération et de dialogue entre l’Europe et la Méditerranée. Le tableau qu’a brossé le spécialiste, qui se considère lui-même comme un "trait d’union entre le Nord et le Sud", s’annonce très mitigé. Il n’a pas toujours donné une bonne note aux efforts de l’Union européenne, et il n’a surtout pas ménagé ses critiques à l’égard du processus de Barcelone, dont il pense qu’il a été un grand échec.

Le dialogue euro-méditerranéen passé en revue

"Les relations n’ont jamais été aussi vitales pour la stabilité des deux régions de la Méditerranée", a estimé Safar, avant de brosser le tableau très vaste des relations entre les rives nord et sud de la Méditerranée, relations qui furent " tantôt amoureuses, tantôt tumultueuses", selon le professeur. Celles-ci ont traversé des phases de coopération et de stérilité.

Selon Haytham Safar, la première fois que les deux rives de la Méditerranée ont pris conscience de leur interdépendance fut lors du blocage pétrolier qui a suivi la guerre du Kippour en 1973. C’est à cette époque qu’était né le premier projet de coopération, le "Processus de dialogue euro-méditerranéen". L’objectif de ce projet, dont étaient responsables la Commission européenne et la Ligue des Etats arabes, était constitué de quatre points : faire de la Méditerranée une mer de la paix, tendre vers une complémentarité économique entre les deux rives, réaliser la solidarité politique entre les deux communautés, encourager le transfert et la maîtrise des technologies en Méditerranée.

Mais l’initiative échoua. Pour Haytham Safar, cet échec était principalement dû au fait qu’il "ne s’agissait plus d’un dialogue à deux, mais d’un secours pour assurer les besoins de la CECA en énergie". Selon le spécialiste," l’évolution des facteurs démo-économiques" a contribué de creuser davantage le fossé entre le nord et le sud, plutôt que de le réduire. "Une fécondité quatre fois supérieure au Sud, un pouvoir d’achat sept fois plus élevé au Nord, qui lui fait face à une crise démographique. La Méditerranée est aujourd’hui une zone de fracture", a fustigé le professeur.

En 1988, l’Association parlementaire pour la coopération euro-arabe est créée. D’après Safar, la création de cette nouvelle association "contribue à tourner définitivement la page du dialogue". Après une proposition du ministre des Affaires étrangères italien, Gianni De Michaelis d’étendre l’esprit d’Helsinki aux pays méditerranéens, naît en 1989 la Conférence sur la sécurité et la coopération (CSCM) en Méditerranée. Selon le professeur Safar, les réticences des USA par rapport à ce processus ont constitué le principal obstacle "de ce projet mort-né". Cette nouvelle déception pousse les partenaires à faire des projets partiels, mais c’est encore voué à l’échec. En 1991, la politique méditerranéenne promulguée par le Parlement européen essaie de redonner du souffle à la CSCM, mais sans y parvenir.

Le processus de Barcelone : un échec sur (presque) toute la ligne

Après l’échec de ces premières tentatives, il y eut peu d’évolutions entre 1991 et 1995. Vint alors la déclaration de Barcelone, qui fut signé en novembre 1995. Le processus de Barcelone repose essentiellement sur la coopération dans les domaines de la sécurité, de l’immigration et de l’économie. Son principal objectif est de créer jusqu’en 2010 la plus grande zone d’échange euro-méditerranéen. Safar, qui était présent à Barcelone lors de la signature, s’est rappelé : "A l’époque, on pouvait sentir l’enthousiasme et l’espoir de tous les participants". Mais cet enthousiasme n’allait pas perdurer longtemps.

Ici encore, le bilan est pour Safar assez désastreux : le processus de Barcelone est complètement essoufflé et ne pourra probablement pas atteindre ses promesses. Il a besoin d’une réforme urgente. "Dix après le lancement du processus de Barcelone, les pays méditerranéens sont passés d’un optimisme quasi béat à une franche morosité voir déception", a-t-il entériné. La liste des déceptions du côté des pays méditerranéens est longue : Taux de croissance décevant, industrie confinée au stade de première transformation, persistance des inégalités dans les secteurs protégés comme l’agriculture, pour n’en citer que quelques-unes de ces déceptions.

La conclusion du professeur Safar : la mise à niveau des pays du Sud a échoué. "L’Europe peine à devenir une véritable locomotive pour les pays méditerranéens", a-t-il constaté, même s’il faut admettre que ce n’est pas l’UE toute seule qui est responsable de cet échec. Dans les pays tiers méditerranéens, une part importante de l’échec est souvent liée au système lui-même des pas du Sud qui favorise "un mode de production sous-développementaliste".

Mais, même si le bilan que Safar a dressé s’annonce sombre, il a tout de même relativisé quelque peu son pessimisme et relevé des éléments positifs, telle que l’ouverture des plus grandes économies, la mise à niveau des législations ou encore le rapprochement des civilisations.

L’Europe n’a pas d’autre choix que de poursuivre le dialogue

"Alors, une question se pose : ne faudrait-il pas arrêter la coopération et le processus de Barcelone ? ", s’est demandé Haytham Safar. "Non", a-t-il enchaîné, "l’Europe n’a pas le choix. Sa seule alternative, c’est de poursuivre de manière sincère le dialogue". Si l’Europe ne relèvera pas ce défi, ainsi a raisonné le professeur, elle devra faire face à de nombreuses conséquences, qui pourront avoir des effets néfastes, telle l’immigration clandestine.

Dans ces conditions, la proposition du président français Nicolas Sarkozy de créer une Union euro-méditerranéenne semble venir à point. "Mais, quelle que soit l’ambition de ce projet, la volonté politique pour atteindre l’objectif est une condition indispensable de la réussite", a mis en garde le spécialiste. Il a cependant commenté favorablement le projet du Président français Nicolas Sarkozy d’Union pour la Méditerranée (UPM), qui apporte selon lui "un souffle nouveau. (..) Nicolas Sarkozy est un homme pragmatique, qui comprend qu’il faut faire quelque chose de nouveau", a-t-il jugé.

Mario Hirsch : l’initiative de Nicolas Sarkozy est une manière élégante pour "mettre au frigo la question turque "

Mario HirschLors de la table ronde, Mario Hirsch, le directeur de l’Institut Pierre Werner, qui s’est qualifié lui-même d’un "enfant du processus de Barcelone", puisqu’il a pu participer à de nombreuses activités liées à ce processus, a parlé sur un ton plus conciliateur. "S’il est vrai que le processus de Barcelone n’a pas rempli toutes les promesses", a-t-il expliqué, " l’on a quand-même fait des progrès. Il faut être conscient qu’un objectif aussi ambitieux risque d’être la victime d’autres événements, comme le conflit israélo-palestinien".

Mario Hirsch est pourtant conscient que l’Europe doit affronter de nombreux défis dans sa coopération avec ses voisins du Sud. Le chômage au Sud constitue par exemple un problème qui inquiète le directeur de l’IPW. "Est-ce que cette fois-ci, l’Union européenne sera à la hauteur des nouveaux défis ?", a interrogé Mario Hirsch, en émettant toutefois un doute. Aussi fut-il plus critique envers le projet pour une Union pour la Méditerranée de Nicolas Sarkozy que Haytham Safar. Mario Hirsch a considéré que le projet pour l’Union pour la Méditerranée constituait surtout une "façon élégante de Nicolas Sarkozy pour mettre au frigo le problème turc".