La Fondation Krieps et le LSAP avaient invité le 20 octobre 2008 au Théâtre national de Luxembourg (TNL) à une table ronde autour du sujet "Economie financière et démocratie sociale en Europe". L’invité était l’ancien Premier ministre danois Poul Nyrup Rasmussen, député européen et président du Parti des socialistes européens (PSE) entouré par Jean Asselborn, ministre des Affaires étrangères, et Alex Bodry, président du LSAP.
Lors d’une conférence de presse consacrée à la crise financière qui précéda la table-ronde, Rasmussen fut d’une grande franchise : "Nous savions, par des rapports de la BCE, de la Banque mondiale, qu’il y aurait une crise des crédits. La seule chose que nous ne savions pas, c’est quand et où elle allait arriver. Car il n’y a pas de surveillance financière au niveau européen. Si nous arrivons un jour à faire quelque chose à ce niveau au sein de l’Union européenne, on pourra changer le cours des choses. (..) Nous avons certes besoin des marchés, mais nous ne pouvons pas les laisser fonctionner tout seuls." Il a ensuite évoqué, le rapport contenant des recommandations à la Commission sur les fonds alternatifs et les fonds de capital-investissement qu’il a présenté le 11 septembre 2008 au Parlement européen, qui prône une meilleure réglementation de ces fonds et qui a été adopté avec une majorité telle que la Commission européenne sera obligée de faire des propositions législatives qui doivent couvrir tout l’éventail des activités financières, y compris les "hedge funds", dans lesquels l’on retrouve aussi l’argent des fonds de pension de tout un chacun. "Nous devons retourner à une situation où les marchés financiers qui servent l’économie réelle, et pas l’inverse", a déclaré Rasmussen, en rajoutant qu’il fallait "mettre fin au maniement irresponsable du capital-investissement par certains banquiers". Rasmussen a mis en garde contre des mécanismes de crédits faciles et à bas taux d’intérêts qui sont utiles à la croissance de l’économie réelle, mais dont l’abus par des produits dérivés conduit inévitablement à la création de bulles financières.
"Mais il y a encore beaucoup à faire pour que l’Union européenne prenne le leadership de la maîtrise de la crise financière", a déclaré Rasmussen, qui a fait l’éloge des outils proposés par le Premier ministre travailliste britannique Gordon Brown, car "les banques doivent fonctionner". C’est pourquoi les Etats entrent dans les banques pour y rester un peu et garantir le flux des liquidités et les dépôts des épargnants. Rasmussen s’est réjoui que l’Europe ait pris un autre chemin que les USA et évité de racheter les crédits, "car qui saurait faire la différence entre les bons et les mauvais crédits ?"
Lors de la table ronde qui s’est déroulée devant une soixantaine de personnes, Poul Nyrup Rasmussen a mis en évidence que la politique n’offre plus de réponse durable à la question que les simples gens se posent quant à leur position dans cette crise qui frappe l’économie européenne. Ici, la politique doit prendre de nouveaux chemins. D’où la nécessité de savoir d’abord pourquoi il y a eu une crise. Le diagnostic de Rasmussen : Les marchés nationaux se sont dérégularisés, une façon de libérer des capitaux, mais n’ont pas établi entre eux des règles transfrontalières. La bulle financière de l’Internet du début des années 2000 a pu être plus rapidement contenue dans la mesure où l’épargne européenne et asiatique était encore disponible et a coulé sur les marchés pendant 5 ans et demi, diluant la relation entre le risque et son prix, recréant une nouvelle bulle. Rasmussen a avancé un chiffre inquiétant : les encours que représentent les produits dérivés équivalent en 2007 huit à dix fois le produit intérieur de la planète. Sa conclusion: "Dans le futur, il faudra décider de ce qui est bon pour l’économie réelle et mauvais pour l’économie financière".
Pour Rasmussen, tout cela ne serait pas si grave, "si cette crise financière n’était que celle des riches". Mais comme elle a touché l’économie réelle, elle menace désormais tout le monde, induit la récession dans de nombreux pays, et peut même créer ici et là des crises alimentaires. C’est la fin du rêve néolibéral des marchés parfaits, des tentations et de l’action irresponsable, le grand final de l’approche néolibérale.
Rasmussen a également critiqué le fait qu’il n’y ait que trois agences de notation qui dominent le marché, (Fitch Ratings, Moody's et Standard & Poor's) , ce qui est une absence flagrante de concurrence et rend impossible le contrôle d’un marché financier en expansion où il n’est plus possible de distinguer entre les bons et les mauvais produits, notamment parmi les produits dérivés que de nombreuses banques n’ont pas laissé apparaître dans leurs bilans.
Rasmussen, qui a fait la remarque caustique qu’il "ne faut pas croire que les banques luxembourgeoises sont les plus parfaites du monde" acheva son propos sur quelques propositions : l’Union européenne doit prendre le leadership pour la maîtrise de la crise, comme l’a montré Gordon Brown dont les outils qui n’utilisent pas l’argent des contribuables pour racheter des mauvais produits pourraient être repris aux USA ; il faut plus de transparence, notamment dans les "hedge funds" et le capital-investissement ; il faudra accepter les plaintes pour la récupération de capitaux seulement en fonction du type de produits ; il faudra des règles pour le capital-investissement pour éviter que ne se répètent les cycles prêt-recapitalisation-liquidité-faillite.Concernant les fonds de pension, Rasmussen termina sur une note pessimiste, en rappelant que 40 % de ces fonds étaient placés dans des capitaux-investissement, de sorte que "nous verrons une baisse des garanties pour les pensions des simples citoyens".
Jean Asselborn et Alex Bodry ont relevé au cours de la discussion l’importance du secteur financier pour l’économie luxembourgeoise et le budget d’Etat : un quart du PIB, un septième de l’emploi, plus d’un tiers des rentrées de l’Etat, bref un secteur qui permet au Luxembourg de financer une politique sociale consistante. Or, la croissance prévue pour le Luxembourg est de 2,3 % pour 2008 et de seulement 1,8 % pour 2009, ce qui risque d’avoir des répercussions négatives sur l’emploi. Alex Bodry, qui s’est étonné de l’unanimité qui salue tout d’un coup l’intervention de l’Etat et qui a exprimé ses doutes sur la persistance de cette unanimité, a plaidé pour un Etat qui « ne soit pas un Etat pompier, mais un Etat efficace qui investit, régule et anticipe ». Le président du LSAP a également déclaré que pour lui, le projet de budget 2009, avec ses baisses d’impôt, son crédit d’impôt et d’autres mesures qui renforcent le pouvoir d’achat notamment des ménages les plus modestes, était de fait un programme national de conjoncture, même si "le président de l’Eurogroupe" en l’occurrence le Premier ministre Juncker, n’en voulait pas au niveau européen. Le prix de cette démarche sera cependant la multiplication par deux et en quelques semaines de la dette publique.