Le 12 novembre 2008, des représentants de l’ASTI (Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés), et de l'ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), ont publié une lettre ouverte adressée au ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration, ainsi qu’au président de la Commission aux Affaires étrangères et européennes de la Chambre des députés luxembourgeoise, Ben Fayot. Dans cette lettre ouverte, les auteurs critiquent vivement le nouveau Pacte européen pour l’Immigration, qui transforme selon eux l’Europe en une "forteresse". Ils de la lettre exigent également que l’adoption d’un tel pacte se fasse désormais "dans la transparence et en concertation avec les parlementaires du Grand-Duché". La lettre a été rédigée dans le contexte du Sommet citoyen sur les migrations auquel avait participé une délégation de l’ACAT et de l’ASTI. Europaforum.lu publie la lettre ouverte dans son intégralité.
"Le Pacte européen pour l’asile et l’immigration a été adopté lors du récent sommet des chefs d'État et de gouvernement à Bruxelles. Quelques jours après, plus de mille personnes se sont réunies à Paris pour un sommet citoyen sur les migrations. La délégation du Luxembourg, composée de membres de l’ACAT et de l’ASTI a eu l'occasion de s'impliquer dans les débats avec des membres des sociétés civiles du Nord et du Sud et de participer activement à la rédaction de la Déclaration de Montreuil, adoptée à l’issue des travaux de cette rencontre. Il convient de situer ce sommet citoyen dans la perspective de la conférence euro-africaine qui se tiendra le 25 novembre à Paris. Nous avons l'impression que le Pacte européen, adopté sans concertation avec les pays du Sud, tout en tenant à l’écart les sociétés civiles du Sud comme du Nord, va leur être imposé. Les soussignés estiment que pareilles démarches (Pacte et conférence euro-africaine) doivent se faire non seulement dans la transparence, mais aussi en concertation avec les parlementaires du Grand-Duché. A terme, les décisions politiques ainsi prises auront pour conséquence toute une série d'initiatives législatives, des directives européennes vont concrétiser les objectifs définis et vont atterrir sur la table de la Chambre des députés. Un certain nombre d'associations luxembourgeoises s'étaient autosaisies du projet de Pacte, avaient émis un avis sur le texte en préparation, et avaient eu un échange de vues avec Monsieur le Ministre Nicolas Schmit à ce sujet. Elles n’ont pas encore eu l’occasion d’en discuter avec des parlementaires.
Nous, acteurs des sociétés civiles du Sud et du Nord, refusons la division de l’humanité entre ceux qui peuvent circuler librement sur la planète et ceux à qui cela est interdit. Les migrations sont depuis toujours un phénomène humain et constituent un apport social, culturel et économique inestimable. Cet apport, pourtant historiquement reconnu, est occulté au profit d’impératifs sécuritaires et économiques qui traduisent une défiance et une suspicion généralisées vis à vis de "l’étranger", comme en témoigne l’adoption récente de la directive retour par le Parlement européen.
Les périodes historiques de libre circulation des personnes, en Europe par exemple, ont montré que celle-ci ne limite ni la souveraineté ni la sécurité des Etats. Au contraire, il est facile de comprendre que la liberté d’aller et de venir entre son pays d’origine et un pays d’accueil réduit le risque de voir des migrants en situation de grande précarité refuser un retour par peur de ne plus jamais pouvoir revenir. Les politiques hautement sécuritaires et restrictives actuelles nous mènent donc à une impasse.
Nous voulons une autre Europe que celle qui se transforme en forteresse et tente d’imposer sa politique migratoire aux pays du Sud, en particulier à l’Afrique. De part et d’autre, nous avons besoin de ponts, pas de murs.
Il est grand temps que la question des migrations et du développement soit réellement pensée sous l’angle des intérêts mutuels : ceux des migrants en premier lieu, ceux des pays d’origine, des pays de transit et des pays d’accueil ensuite, dans le respect des droits fondamentaux portés par les conventions internationales, notamment les Pactes internationaux de 1966 sur les droits civils et politiques d’une part, et sur les droits économiques, sociaux et culturels d’autre part.
Le développement représente bien plus que la simple croissance économique. Il est crucial d’y inclure des facteurs non économiques tels que le respect des droits humains, le bien-être, la cohésion sociale et la lutte contre les discriminations, la stabilité et la paix, ainsi que la démocratie et le respect de l’environnement. Les Etats, dont une des missions essentielles doit être de garantir un accès aux services de base pour tous, doivent promouvoir une conception du développement centrée sur les personnes. Les migrants ne doivent pas être instrumentalisés dans le cadre de la mondialisation du marché du travail.
Il devient également urgent de tirer les enseignements des limites du système néo-libéral de mondialisation qui se caractérise par :
Autant de facteurs de déstabilisation et d’insécurité qui engendrent des déplacements de populations internes et internationaux dans des conditions parfois dramatiques et favorisent l’exploitation des migrants en situation de vulnérabilité.
La flambée des prix du pétrole et des denrées alimentaires et la crise financière risquent de retarder encore la poursuite des Objectifs du millénaire pour le développement et d’augmenter la pression migratoire alors qu’au même moment les frontières se ferment hermétiquement.
Cependant, on ne peut réduire la relation entre développement et migrations à un lien de cause à effet, selon lequel plus de développement conduirait à moins de migrations. Cette relation est beaucoup plus complexe. Et de nombreuses études ont même démontré que le développement produisait en définitive l’effet inverse. Les migrants sont des acteurs de la transformation sociale et faciliter la migration favorise de fait le développement des pays du Sud comme du Nord, par les échanges de savoirs, d’idées et de richesses que la migration génère.
Les politiques migratoires et de développement doivent se renforcer mutuellement et non pas s’opposer ou être subordonnées l’une à l’autre, afin de permettre aux migrants et aux pays d’origine, de transit et de destination, de bénéficier pleinement des migrations internationales. L’aide au développement ne doit pas servir d’instrument de marchandage visant à restreindre la liberté de circulation des populations du Sud. Au contraire, il faut prendre pleinement en compte le rôle bénéfique des migrations dans le développement et la réduction des inégalités et de la pauvreté aussi bien au Sud qu’au Nord.
Une approche réellement globale des migrations et du développement doit être multilatérale et centrée sur la dignité humaine, la sécurité des personnes et l’universalité des droits. Elle doit être respectueuse de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dont nous célébrons cette année le soixantième anniversaire.
Comme l’a réaffirmé la déclaration finale de la conférence parlementaire africaine sur "L’Afrique et les migrations : défis, problèmes et solutions", les États devraient être tenus de "garantir à toute personne se trouvant sur leur territoire, sans distinction d’aucune sorte, les droits énoncés dans les instruments internationaux, notamment la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles et la Convention de Genève relative au statut des réfugiés". Nous sommes d’avis que les politiques qui se mettent en place actuellement au niveau de l’Union européenne, centrées en premier lieu sur le contrôle et la répression, mettent en danger le respect des droits fondamentaux des migrants et limitent dangereusement l’accès au droit d’asile.
Des propositions concrètes ont été avancées au cours des discussions du sommet de Montreuil. Celles et ceux qui y ont pris part seraient tout disposé(e)s à échanger à ce sujet avec nos représentants luxembourgeois à la prochaine conférence euro-africaine.
Nous voici à l'aube de la conférence euro-africaine du 25 novembre à Paris. Le gouvernement luxembourgeois a-t-il élaboré une position sur ces questions migratoires en concertation avec ses parlementaires ?
Des accords bilatéraux de réadmission avec certains pays d'Afrique en échange d'une aide au développement sont-ils à l’ordre du jour ? Sous quelle forme le Grand-Duché prévoit-il de contribuer au système Frontex en Afrique, outre la mise à la disposition de la Mauritanie d’un hélicoptère pour la surveillance côtière ? Comment se pratique le règlement Dublin II au Luxembourg ? Quelle est la conception luxembourgeoise de l'immigration choisie ? Comment le Luxembourg compte-t-il s’assurer de la sécurité et du respect des droits des personnes qui ont été éloignées de force de son territoire vers un pays africain ? Un suivi est-il prévu à l’arrivée dans le pays d’origine ?
Beaucoup de questions liées à l’immigration africaine concernent directement le Luxembourg et méritent certainement d’être évoquées dans un débat avec les citoyens et les parlementaires soucieux du respect des libertés individuelles et des droits fondamentaux de chaque personne.
Luxembourg, le 11 novembre 2008
Norbert Ehlinger, Serge Kollwelter, Jean Lichtfous, Björn Lorenzen, Armelle Ono, Antoinette Reis, Marie Anne Robberecht, participants au sommet citoyen "Des ponts, pas des murs".