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Conférence : la stratégie de Lisbonne et le benchmarking, un leurre démocratique ?
11-11-2008


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Un Contre-sommet organisé par ATTAC
Le 11 mars 2009, ATTAC organisera un premier "Contre-sommet à la stratégie de Lisbonne". Celui-ci se fera en réaction au Conseil européen de printemps qui s’occupe traditionnellement de la stratégie de Lisbonne et au cours duquel les avancées de la stratégie de Lisbonne ainsi que les objectifs et priorités nationaux sont discutés.

Dans le cadre de son cycle de conférences "Les chantiers de la civilisation" l’association ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions Financières pour l’Aide des citoyens), avait invité le 10 novembre à une conférence-débat sur la stratégie de Lisbonne. Au menu figurait une conférence d’Isabelle Brunot, maître de conférences à l’Université de Lille II qui a préparé sa thèse sur le sujet.*

Lors de la soirée qui eut lieu à l’Abbaye de Neumünster, la jeune chercheuse a proposé une vue d’ensemble sur de la genèse et les objectifs de la stratégie de Lisbonne, tout en critiquant plus précisément un de ses éléments, le benchmarking qu’elle a caractérisée comme étant un leurre démocratique.

La MOC et le benchmarking au cœur de la stratégie de Lisbonne

"A la première apparence, la stratégie de Lisbonne est un sujet très technique, mais en vérité c’est un sujet éminemment politique. La stratégie de Lisbonne est loin d’être un simple programme politique, c’est une vision très particulière de la société", a déclaré Isabelle BrunotIsabelle Brunot.

La stratégie de Lisbonne a vu le jour lors du premier Conseil européen de printemps des 23 et 24 avril 2002 à Lisbonne, sous Présidence portugaise. "Ce premier somment n’a pas fait les gros titres des journaux, mais il a marqué un véritable tournant dans la construction européenne", a expliqué Isabelle Brunot. En effet, la stratégie de Lisbonne est innovante. Elle délaisse la méthode communautaire traditionnelle, qui assure l’intégration européenne par des contraintes juridiques. Cette méthode ne semblait pas adaptée aux secteurs non-marchand (secteurs sociaux, services d’intérêt général). Une nouvelle méthode de coopération intergouvernementale non-contraignante fut crée : la fameuse "méthode ouverte de coordination" (MOC). Pour la chercheuse française, la MOC "est la force vive de la stratégie de Lisbonne".

Comment la MOC fonctionne-t-elle ? Comment motiver les gouvernements à vouloir faire des efforts s’il n’existe pas de contraintes ? "Par la valorisation et la quantification des performances nationales dans un domaine précis", a répondu Isabelle Brunot, en ajoutant : "A la différence de la méthode communautaire, la MOC est une intégration non plus par le droit, mais par le chiffre". La MOC a été inspirée par la gestion managériale de l’entreprise du secteur privé. "La méthode répond au principe selon lequel une entreprise est compétitive seulement lorsqu’elle est exposée à la concurrence", a critiqué Isabelle Brunot. Les performances nationales dans les secteurs marchands sont chiffrées, analysées et comparées au niveau européen. "C’est ce que l’on appelle communément le benchmarking" a-t-elle expliqué. On repère un étalon, un modèle, auquel sont comparés tous les autres.

Pour Isabelle Brunot, le plus grand problème avec le benchmarking, c’est que "les responsables politiques le prennent comme une pratique politiquement neutre", alors que ce n’est pas du tout le cas. Dans la comparaison des résultats, c’est la compétitivité économique qui compte. "Mais celle-ci est endogène au benchmarking, c’est-à-dire elle est produite par le benchmarking. Le benchmarking borne donc un champ de possibilité délimité par ce qui a déjà été fait. Le souhaitable se réduit au meilleur score jamais atteint", a expliqué la chercheuse. "En résumé, le recours au benchmarking n’est par neutre par rapport aux objectifs visés."

La recherche est considérée non plus comme une ressource de savoir collectif, mais comme producteur d’innovation

Pour la jeune chercheuse, l’ambition de l’Union européenne de créer un espace de la recherche européen illustre bien la pratique du benchmarking telle qu’elle s’inscrit dans la stratégie de Lisbonne. Le secteur de la recherche et de l’éducation supérieur n’échappe pas non plus à la logique concurrentielle et comparative. "L’on mesure les performance entre les universités et les pays. Mais l’enjeu n’est pas de réduire les inégalités, mais de mettre en concurrence les universités et centres de recherche publics", a critiqué Isabelle Brunot. Dans la mesure où la Commission européenne veut créer un espace de recherche commun, le territoire devient un avantage concurrentiel pour les universités. "Dans cette vision, la mobilité est érigée en vertu cardinale", a-t-elle souligné. "La recherche devient ainsi un véritable marché du travail. La recherche n’est plus considérée comme une source de puissance étatique ou de savoirs collectifs, mais comme producteur d’innovation et de propriétés intellectuelles au service du secteur privé", a-t-elle fustigé. Dans cette logique, la recherche de base risque ainsi de disparaître en Europe.

Conclusion : le benchmarking est un leurre démocratique

La leçon que tire Isabelle Brunot de l’analyse de la stratégie de Lisbonne et plus particulièrement du benchmarking est dérangeante à bien des égards : Pour elle, la stratégie de Lisbonne est un échec. En ce qui concerne les 3 % du PIB que chaque pays devrait investir dans la recherche publique, l’Union européenne est loin d’atteindre cet objectif. Ces dernières années, il y a même un retour vers la baisse. "Pourtant, l’on ne quitte pas l’affaire", a fustigé la chercheuse. Pourquoi ? "Pour une raison apparente : un manque de volonté politique à remettre en cause le dispositif de la stratégie de Lisbonne. On préfère affirmer la poursuivre en la rationnalisant de plus en plus». Aux yeux d’Isabelle Brunot, "l’objectif des 3 % est un puissant aiguillonnement pour inciter les gouvernements. C’est la carotte que l’on tend à l’âne sans jamais la lui donner." Conclusion donc : "La stratégie de Lisbonne est un leurre démocratique car elle fait l’unanimité sur une erreur".

D’après Isabelle Brunot les chercheurs et enseignants européens devront lutter ensemble contre cette manière très rationnelle de gérer les activités de recherche. "Nous devons résister à la servitude volontaire et libérer la recherche de cette servitude", a-t-elle lancé.  

*Une partie de la thèse d’Isabelle Brunot a été publiée aux Editions du Croquant, dans la collection "Savoir agir", sous le titre "A vos marques, prêts, cherchez ! La stratégie de Lisbonne, vers un marché de la recherche".