Avec un taux de population étrangère qui atteint les 43 %, le Luxembourg est un pays d’exception au sein de l’Union européenne. Or, est-ce que le Luxembourg, en raison de ses traits multiculturels, peut être préconisé comme modèle pour l’Europe ? C’est la question à laquelle s’est attaché une conférence-débat organisée par le Bureau du Parlement européen au Luxembourg au Kinosch de la Kulturfabrik à Esch-sur-Alzette, le 20 novembre 2008. Le débat s’est inscrit dans le cadre de l’Année européenne du dialogue interculturel.
Le débat, qui fut animé par le journaliste luxembourgeois Gaston Carré, a réuni le ministre délégué aux Affaires européennes et à l’Immigration, Nicolas Schmit, le député européen Claude Turmes (Verts), la député-maire d’Esch-sur-Alzette, Lydia Mutsch (LSAP) et la Commissaire du Gouvernement aux étrangers, Christiane Martin. La discussion a gravité autour de quatre sujets essentiels : la nécessité d’assurer la cohésion sociale au Luxembourg, le système éducatif luxembourgeois comme un des maux qui entrave l’intégration, le droit du sol versus le droit du sang, ainsi que la question de la langue luxembourgeoise. La discussion entre intervenants et public fut très animée, et surtout les élèves présents n’hésitèrent pas à exprimer leurs points de vue.
Le débat fut précédé par la projection de trois courts métrages réalisés par des élèves du Lycée classique de Diekirch et par le Lycée classique Robert Schuman dans le cadre d’un concours. Les films illustrent, d’une manière ou d’une autre, les différentes facettes de l’intégration et du dialogue interculturel.
Comment le multiculturalisme luxembourgeois, et le multiculturalisme de manière plus générale, peut-il être défini ? Pour Nicolas Schmit, "il existe différentes lectures du multiculturalisme". Il peut d’abord désigner une société dans laquelle vivent des communautés différentes, mais de manière juxtaposée. "La société serait ainsi un amalgame de toutes ces cultures", a expliqué le ministre. Mais le multiculturalisme peut également désigner un modèle de société qui respecte les origines culturelles de chacun, tout en s’appuyant sur les ressemblances et les valeurs communes pour assurer la cohésion sociale. Pour Nicolas Schmit, c’est cette approche du multiculturalisme qui est la bonne. A la question si le modèle luxembourgeois est synonyme d’assimilation, il a répondu de manière ferme : "Non, car assimilation signifie abandonner ses origines et sa culture. L’on préfère aujourd’hui de parler d’intégration".
Pour Claude Turmes, "avec l’accélération de notre rythme de vie, la peur devant l’inconnu se focalise souvent sur l’Autre". Il a estimé qu’il faut faire des efforts considérables pour assurer la cohésion sociale. Aux yeux de Christiane Martin, la politique luxembourgeoise n’a pas fait "jusqu’à récemment de très grands efforts pour renforcer la cohésion sociale". Ce qui a facilité pour elle la cohabitation des différentes communautés étrangères au Luxembourg, c’est le fait que la grande partie des résidents étrangers sont d’origine européenne. "Les cultures européennes ont quand même un mode de vie assez semblable", a-t-elle avancé. Dans son analyse, l’arrivée d’un plus grand nombre de ressortissants de pays tiers posera encore un défi au Luxembourg. Elle a estimé que la notion de "dialogue interculturel" désignait bien ces défis à relever.
D’après Lydia Mutsch, député-maire d’Esch-sur-Alzette, deuxième ville du Luxembourg où plus de la moitié des habitants n’ont pas la carte d’identité luxembourgeoise, "le vrai ennemi du multiculturalisme est l’indifférence". "A Esch, nous avons plus de 100 nationalités différentes. Les gens vivent côte à côte. Mais les communautés ne se mélangent pas, chacun reste pour soi", a-t-elle regretté.
C’est ainsi que le débat déboucha sur la question de l’école au Luxembourg. Les écoles peuvent en effet être une entrave à l’intégration, ou bien lui donner un coup de pouce. L’ensemble des intervenants étaient d’accord : le Luxembourg devra encore faire beaucoup d’efforts pour réformer son système scolaire. Pour Lydia Mutsch, l’école est même le facteur clé de l’intégration. "Si nous ne réussirons pas à réformer l’école, la diversité culturelle se perdra", a-t-elle mise en garde. Pour Nicolas Schmit, il s’agit d’assurer "l’égalité des chances" pour tous les élèves du Luxembourg. Il faudra surtout remédier à la ségrégation qu’opère la séparation des élèves dans les lycées techniques et classiques. "Le Luxembourg a un des systèmes les plus discriminatoires en Europe", a fustigé Claude Turmes, pour qui cette école n’est pas du tout préparée à accueillir ces enfants d’origine étrangère.
Une étudiante présente dans la salle a toutefois défié les propos des politiques, selon lesquels les lycées classiques seraient fermés aux étrangers, en expliquant que dans sa classe au Lycée classique de Diekirch "tous, sauf trois, ont des nationalités différentes".
Autre perversion qui accompagne d’après Claude Turmes et Lydia Mutsch la ségrégation à l’école, c’est la ségrégation sur le marché de l’emploi. Le député européen a déploré que les Luxembourgeois se réfugiaient tous dans le secteur public, alors que les étrangers n’avaient pas le droit d’y accéder. Pour la députée-maire d’Esch, c’est cependant "un luxe que les Luxembourgeois se permettent", car ainsi, les Luxembourgeois "n’ont plus du tout accès aux postes de responsabilité économique dans leur propre pays".
Qui dit multiculturalisme au Luxembourg, dit également multilinguisme. La question de la langue luxembourgeoise a largement dominé le débat. Le député vert Claude Turmes a considéré que "les politiques de gauche (les Verts inclus) auraient ignoré l’importance du luxembourgeois". "Le contact entre autochtones et étrangers se fait tellement mieux s’il se fait en luxembourgeois", a-t-il affirmé. En même temps, il s’est étonné et même émerveillé de voir surgir parmi les jeunes du Luxembourg "une sorte de créole luxembourgeois", car ces jeunes mélangent français, luxembourgeois, portugais… Nicolas Schmit a par contre insisté sur le fait que "le multilinguisme fait également partie de notre identité. Faire de la langue luxembourgeoise La question de l’identité est un danger", a-t-il souligné. Lydia Mutsch a reconnu que "ce problème existe depuis longtemps dans l’école du Brill à Esch". "Mais plus il y a des étrangers, plus l’on entend parler le luxembourgeois", a-t-elle raconté. La langue luxembourgeoise semble donc toujours fonctionner comme langue d’intégration à l’école. Une approche confirmée par une étudiante d’origine albanaise, pour qui "les jeunes parlent le luxembourgeois entre eux".
Finalement, le droit du sol versus le droit du sang en matière de nationalisation fut également un des sujets qui a préoccupé les participants. Une jeune fille d’origine portugaise a déploré le fait que le Luxembourg ne dispose pas du droit du sol. En France par exemple, toute personne née sur le territoire français obtient automatiquement la nationalité de l’Hexagone. Tous les invités de la table-ronde ont donné raison à la jeune fille. Aux yeux de Claude Turmes, le Luxembourg a fait une erreur "monumentale" en renonçant à introduire le droit du sol dès les années 1970. La faute en revient selon lui au "parti conservateur CSV", qui s’opposerait toujours fermement au droit du sol. Nicolas Schmit a estimé que "la nouvelle loi sur la nationalité pourrait être une avancée, une timide entrée dans le droit du sol". Il a espéré que "le prochain gouvernement aura le courage d’introduire le droit du sol », tout en soulignant que "le droit du sol ne pourra pas régler tous les problèmes".
A la fin du débat, la réponse à la question si le multiculturalisme au Luxembourg était un modèle pour l’Europe, fut plutôt hésitante, et même contestataire. "Nous n’avons pas mené une vraie politique d’immigration. Nous avons fait des erreurs collossales. Je ne suis pas sûr si le Luxembourg peut vraiment être vendu comme un modèle à l’Europe", a mis en avant Claude Turmes. Même son de cloche de la part de Lydia Mutsch. "En théorie, oui, le Luxembourg est un modèle de société multiculturelle. Mais regardé de plus près, ce n’est plus vraiment le cas", a-t-elle conclu.