Le 14 novembre 2008, le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration, Nicolas Schmit, a pris la parole dans le cadre d’un débat consacré par la consortium "Intégration Régionale et Cohésion Sociale" (RISC) au leadership européen dans la politique d’immigration.
Nicolas Schmit constata que "ce thème complexe occupe une place de plus en plus importante dans les relations internationales". Il évoqua le lien étroit entre l’histoire de l’humanité et l’histoire des migrations qui faisaient de notre monde une "planète migrante". Actuellement, 200 millions de personnes, soit 3 % de la population mondiale, sont des migrants. Dans l’Union européenne, le nombre de migrants s’élève à 37 millions de personnes, soit 8 % de sa population. Les vingt dernières années, la migration a presque doublé et elle a eu d’énormes effets sur beaucoup de pays. Or, les plus grands flux migratoires ne se font pas, comme cela est généralement admis, des pays du Sud vers les pays du Nord, mais bien entre les pays du Sud, notamment pour des raisons politiques ou économiques. Schmit a plaidé pour que l’on tienne compte des nombreux facteurs qui décident quelqu’un à devenir un migrant, à quitter son pays pour aller trouver sa chance ailleurs.
En Union européenne, le phénomène complexe de l’immigration est traité de façon différente dans chaque pays, a constaté Schmit. L’Espagne fut toujours par exemple un pays d’émigration, et ses citoyens ont souvent quitté le pays pour gagner l’Amérique du Sud ou d’autres pays européens. Cependant, l’Espagne est devenue, depuis une quinzaine d’années, un pays d’immigration. Son taux de natalité faible l’a poussée à pratiquer une politique de grande ouverture et de larges régularisations pour pouvoir profiter de l’apport des migrants. Maintenant, le pays fait face à une crise économique et commence à durcir sa politique d’immigration.
Le ministre Schmit aborda alors une question délicate : comment peut-on limiter à une certaine mesure les flux migratoires quoique la migration soit une nécessité pour l’Europe ? L’apport des migrants est notamment indispensable pour maintenir la population et " pour faire fonctionner nos systèmes de pension et d’assistance sociale ainsi que notre marché du travail". Outre la question de la maîtrise des flux migratoires se pose le problème de l’intégration. Les migrants ont souvent un bagage culturel différent de celui de la société d’accueil. Comment peuvent-ils donc trouver leur place dans cette société? Nicolas Schmit estima qu’il y avait des moyens d’éviter les conflits en trouvant l’équilibre entre les exigences des sociétés européennes et les besoins des immigrants.
La question de l’immigration dans l’Union européenne doit être gérée pour Schmit de façon collective, mais cela pose problème avec 27 pays qui ont des approches et des expériences différentes. Comment peut-on alors maîtriser les flux migratoires ? Il y a d’abord un grand besoin de soutien de la part des sociétés des Etats membres, sinon les conflits vont s’amplifier et favoriser la montée de l’extrême-droite et des partis populistes. Ensuite, il faut que la politique maîtrise les flux migratoires pour empêcher que l’immigration soit perçue comme un envahissement.
L’Union européenne aborde aussi la question de l’immigration du point de vue du marché du travail. Dans ce cadre, elle a rédigé un pacte sur l’immigration et l’asile. Pour Nicolas Schmit, ce document, dont la première version contenait des accents avant tout défensifs à l’égard de l’immigration, constitue maintenant une sorte d’équilibre entre la défense contre l’immigration illégale, d’un côté, et la coopération avec les pays d’origine, de l’autre côté. Ce que l’on veut à tout prix éviter, c’est la répression pure et simple qui signifierait de fermer les frontières et de renvoyer chaque immigré. La directive "retour" essaie parallèlement d’harmoniser les modalités de renvoi des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans l'Union européenne. Certains pays ont des périodes de rétention d’une durée illimitée, mais cette directive limite la rétention à un maximum de 18 mois, ce qui est au-dessus des normes en vigueur au Luxembourg et dans d’autres pays, mais bien inférieur aux normes en vigueur dans la plupart des 27 Etats membres. La directive a donc pour Schmit introduit des garanties et des droits dont bénéficient les sans-papiers. La répression est dans une certaine mesure contrebalancée par la garantie des droits de l’homme.
Pour ce qui est de la régularisation des immigrants, Nicolas Schmit expliqua que celle-ci est différente d’un pays à l’autre et que certains pays procèdent à des régularisations de masse. L’Union européenne veut procéder plus prudemment et elle envisage d’introduire un code de conduite pour empêcher ces régularisations de masse. Elle veut procéder au cas par cas puisque la politique d’immigration d’un pays membre peut avoir des répercussions sur l’ensemble de l’Union européenne.
En conclusion, le ministre estima que la crise financière actuelle, qui a plongé l’Europe dans la récession, aura également d’importantes répercussions sur les pays les plus pauvres. L’Union européenne sera par conséquent confrontée à une immigration encore plus importante. Il faudra donc qu’elle trouve un moyen de gérer ce problème en commun et en toute solidarité.
Des pays comme Malte, qui est une petite île, ou la Grèce, qui n’a pas d’infrastructures d’accueil, ne peuvent pas être abandonnés avec ce problème. L’immigration doit donc pour Schmit devenir un sujet de coopération et elle nécessite un nouveau type de gouvernance. La bonne voie serait de construire un partenariat entre les pays du Nord et du Sud. Il faudrait des principes généraux à l’échelle internationale en collaboration avec l’ONU et les ONG actives sur le terrain, tout en garantissant le respect des droits des migrants. Pour Schmit, il ne faudrait surtout pas oublier que l’immigration est un phénomène qui a toujours fait évoluer nos sociétés.
Johan Ketelers, le secrétaire général de la International Catholic Migration Commission (ICMC), a répondu à quelques éléments de l’intervention de Nicolas Schmit. Il estima que la représentation de l’histoire de l’humanité comme l’histoire des migrations était tout à fait juste. Mais comme au Moyen Age, quand il y avait un conflit, et qu’il y avait ceux qui avaient le droit d’être dans la ville et d’être protégés, et les autres qui devaient rester hors des murs et étaient plus exposés aux effets du conflit, de nos jours, nous restons aussi pour Ketelers sur une certaine défensive, puisque nous cherchons la sécurité et nous essayons d’éloigner les intrus. Pourtant, pense Ketelers, "nous devons nous garder de construire une Europe forteresse". Une des priorités politiques devrait être de comprendre les besoins des migrants et de trouver des moyens d’y répondre.
Ketelers analysa ensuite la question de la gestion des flux migratoires. Un des problèmes majeurs est la situation des personnes non régularisées. Le nombre enregistré ne correspond pas à la réalité parce que des milliers de personnes clandestines ne seront jamais pris en compte dans les statistiques. Pour l’expert, nous sommes donc à court de moyens pour gérer les flux migratoires, que nous voulons d’un côté empêcher, et le l’autre côté attirer parce que nous en avons besoin.
Ketelers estima que l’idée d’une bonne maîtrise des flux migratoires est une façon pour le monde politique de montrer aux citoyens qu’il est capable de faire quelque chose. Il pensa en outre que leurs peurs les empêcheraient de faire d’avantage dans ce domaine. Pourtant, comme l’Europe est une terre d’asile, elle a la responsabilité de la lecture correcte des causes de l’immigration et la chance de l’interpréter comme un potentiel. Dans ce sens, elle doit créer des réglementations, des droits et des obligations. Elle doit avoir la vision d’une société capable de préserver l’identité et la diversité des personnes qui la composent.
Pour conclure, Ketelers revendiqua la protection immédiate de toute personne et une gouvernance globale non autoritaire du problème de l’immigration. Pour ce faire, il faudrait établir et reconnaître les droits des personnes au niveau mondial et créer un système transparent qui permettrait de sécuriser ces droits. Ce serait une opportunité à ne pas manquer pour créer une nouvelle logique globale plus humaine.