Dans le contexte de la polémique autour du secret bancaire et des paradis fiscaux, Jacques Santer, ancien Premier ministre luxembourgeois et président de la Commission européenne, a exprimé dans une interview accordée au Télécran avant le Conseil européen des 19 et 20 mars 2009, son étonnement par rapport à l’absence de démarches entreprises par la Commission européenne. Face à la crise financière et économique, il pense que l’Europe doit parler d’une seule voix et qu’elle doit faire valoir ses atouts, comme le marché intérieur ou l’euro. Parallèlement, il a plaidé pour que l’Europe soit un des acteurs principaux au sein du G20, et que sa voix ait plus de poids dans un monde multipolaire. Quant au rôle du Luxembourg, Jacques Santer a rappelé que le Grand-Duché "s’est toujours politiquement émancipé au sein de grandes unions", et qu'il importe que le pays préserve son identité, même si le rôle de chaque pays va diminuer dans l’Union européenne si elle va encore s’élargir.
Jacques Santer a rappelé que l’Union européenne est une communauté de solidarité et de droit, même si certains semblent avoir oublié cela. Tout en saluant les initiatives de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui ont permis à "l’Europe de jouer un rôle plus important au plan international", il a souligné qu’"elle peut vraiment arriver à quelque chose si elle est unie et si elle parle politiquement d’une seule voix". Concernant la polémique autour du secret bancaire, l’ancien Premier ministre luxembourgeois et président de la Commission européenne pense que "les Luxembourgeois n’ont rien à se reprocher" parce qu’ils ont respecté toutes les règles.
Abordant le rôle de la Commission européenne, Jacques Santer s’est montré "un peu étonné" de la discrétion dont elle a fait preuve et du fait qu’elle n’a pas "fait usage de ses pouvoirs" pour faire des propositions et pour donner des impulsions. "On avait plutôt l’impression que la Commission était sous tutelle des Conseils des ministres", a-t-il expliqué en ajoutant qu’il n’apprécie guère l’actionnisme de ces derniers. Quant à la manière d’agir de la Commission européenne, Jacques Santer l’aurait souhaitée plus énergique. Selon l’ancien Premier ministre luxembourgeois, la Commission n’est pas "un haut secrétariat des Conseils", mais bien au contraire, elle doit être le moteur des développements et ne pas courir derrière.
Jacques Santer ne pense pas que l’institution "Europe" soit en crise, même si on se trouve dans une situation difficile. Selon lui, l’Europe doit maintenant faire valoir ses atouts, comme par exemple son marché intérieur qui compte 493 millions de citoyens et dont les potentialités sont loin d’être épuisées. Abordant le rôle de l’euro comme bouclier de protection contre des situations de crise, Jacques Santer s’est félicité du fait que sa Commission avait réussi en 1999 de lancer la monnaie unique, qui empêche aujourd’hui que nous nous retrouvions dans une position encore plus difficile. "Les grands pays, comme l’Allemagne et la France, devraient se le tenir pour dit", a-t-il souligné.
Concernant l’apparent déplacement de pouvoir en faveur du G20, Jacques Santer a déclaré que "le G20 n’est pas une institution" et qu’il ne peut pas prendre des décisions tout seul. Il pense que l’Europe doit être un des acteurs principaux au sein du G20, et que sa voix doit avoir plus de poids dans un monde multipolaire.
Abordant le rôle du Luxembourg, Jacques Santer a tenu à rappeler que le Grand-Duché "s’est toujours enrichi et politiquement émancipé au sein de grandes unions", que ce soit l’Union douanière allemande (Zollverein), le Benelux ou la Communauté économique européenne (CEE). Il pense que le rôle du Luxembourg est apprécié dans les nouveaux Etats membres de l’Union européenne et il s’est dit persuadé que "nous pouvons préserver notre identité à l’avenir", même s’il est d’avis que le rôle de chaque pays va diminuer dans l’Union européenne si elle va encore s’élargir.
En tant qu’Européen persuadé, Jacques Santer s’inquiète pour l’institution "Europe", que nous devons "au génie Jean Monnet", et il pense que la méthode de travail collégiale de la Commission n’est plus vraiment mise en évidence. Pour cette raison, il est favorable à un renforcement des institutions et il espère que le traité de Lisbonne soit ratifié aussi vite que possible pour que l’Union européenne élargie reste fonctionnelle. Même si l’ancien président de la Commission européenne sait bien que "les gens ne sont pas fascinés par les institutions", il pense que Jean Monnet avait raison lorsqu’il a dit que "rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions". Jacques Santer pense qu’il est important, surtout dans ces temps difficiles, que l’Europe parle d’une seule voix.
Précisant que les Luxembourgeois ont toujours agi dans un esprit européen, Jacques Santer a expliqué que c’est pour cette raison que les représentants luxembourgeois ont toujours été appréciés au plan international. Concernant la nouvelle génération de responsables politiques au pouvoir, il attend d’eux – qu’ils soient originaires de grands ou de petits pays – qu’ils retrouvent l’esprit européen qui constitue l’essence de l’Union européenne.