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Economie, finances et monnaie
Jacques Mistral a évoqué, à l’invitation de l’Institut Pierre Werner, la crise financière, le G 20 et la contribution de l’Union européenne
02-04-2009


Jacques MistralL’économiste français Jacques Mistral, directeur des études économiques à l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), et qui connaît bien les Etats-Unis pour avoir été conseiller financier à l’Ambassade de France à Washington et professeur à Harvard, a parlé le jour même de la tenue de la réunion du G20 à Londres, des origines de la crise financière. L’auteur de "La troisième révolution américaine" a essayé d’expliquer pourquoi la confiance tarde à se rétablir en dépit des mesures prises par les Etats et a analysé le rôle que peut jouer l’Union européenne dans un contexte économique mondialisé.

La politique monétaire de la FED est un facteur macro-économique essentiel de la crise

En ce qui concerne les causes macro-économiques de la crise, Jacques Mistral a pointé du doigt la politique monétaire de la Federal Reserve des Etats-Unis. Celle-ci a favorisé sur plus d’une décennie, à cause du bas niveau d’inflation dans un contexte de gains de productivité, une politique monétaire qui a fait franchir au système financier américain des paliers d’endettement de plus en plus élevés, et ce malgré l’éclatement de la bulle Internet à l’automne 2000, les attaques du 11 septembre 2001 et le scandale d’ENRON.

Selon l’économiste français, il est faux de dire que personne n’a vu venir la crise. A plusieurs reprises, la France et l’Allemagne notamment ont essayé de convoyer vers les responsables américains le message que leurs dirigeants étaient inquiets de l’augmentation continue du taux d’endettement. A cette première cause s’est ajoutée une cause "permissive", à savoir l’accroissement des déséquilibres globaux des balances de paiement, notamment entre les Etats-Unis et la Chine.

Les banques d’investissement montrées du doigt pour ce qui est des origines micro-économiques de la crise

Parmi les causes micro-économiques, l’élément principal est pour Jacques Mistral l’émergence de l’intermédiation des marchés et l’expansion d’innovations systémiques comme la titrisation des risques. Un nouveau type de banques d’investissement s’est développé qui ont utilisé les marchés financiers pour y trouver les ressources pour leurs investissements. Dans un second temps, elles ont transformé ces crédits en actifs titrisés qu’elles ont fait circuler sur les marchés financiers où ils ont été rachetés par les banques.

Les contrôles sur ces produits ont été de plus en plus allégés, notamment le ratio entre capital propre et crédits, afin que l’effet de levier pour drainer ces derniers soit augmenté. L’excès de confiance du côté des instances de supervision, mais aussi les normes comptables ont favorisé l’ampleur des mouvements financiers qui ont abouti à la crise des subprimes, à la faillite de Lehman Brothers et à la transmission de la crise des crédits à l’économie réelle.

La conjonction de trois cycles

Le déroulement de la crise a aussi déconcerté, selon Jacques Mistral. En 2008, l’on croyait que la contagion irait plus vite. Mais "le consommateur américain a fait preuve d’une grande résistance", tandis que l’économie réelle a résisté elle aussi de manière "artificielle", comme en Chine avec les Jeux Olympiques. Puis tout le monde a été surpris par la brutalité de la crise sur le plan conjoncturel.

Jacques Mistral explique la crise par la conjonction de plusieurs cycles : un cycle long de croissance, celui de l’après-guerre et du fordisme, qui s’essouffle depuis les premiers chocs pétroliers, un cycle moyen qui a pris son envol avec la nouvelle économie basée sur les nouvelles technologies qui ont induit une croissance spectaculaire à laquelle l’éclatement de la bulle Internet a mis fin, et un cycle court, celui du logement, intrinsèquement lié à la politique monétaire américaine, entre 2001 et 2007.

Les réponses des gouvernements à la crise des deux côtés de l’Atlantique

L’action des gouvernements pour contrer la crise, que l’économiste français qualifie de "bien adaptée",  est très différente. Aux Etats-Unis, le gouvernement mobilise des sommes faramineuses pour relancer la conjoncture. Le déficit budgétaire va passer de 700 milliards en 2008 à 2 500 milliards en 2009. Cela est nettement plus que dans l’Union européenne, où des pays comme l’Allemagne se sont montrés tout d’abord très réticents à l’égard des plans de relance conjoncturelle financés par l’endettement public pour ne s’engager qu’ensuite sur cette voie.

Mais pour quel type de croissance faut-il opter pour sortir de la crise ?  Pour Jacques Mistral, il s’agit de continuer le cycle moyen et de prendre des décisions qui tâchent de décrire le modèle d’après la crise, ce qui permettra de donner à la crise une réponse non seulement conjoncturelle, mais aussi structurelle.

A cet égard, Jacques Mistral estime que l’Europe a fait du point de vue budgétaire du bon travail, qu’elle a su se coordonner, prendre des choix dimensionnés et limiter les tensions entre les Etats membres. Et tout ceci en gardant un œil fixé sur une gestion plus saine de l’endettement à plus long terme.

Aux Etats-Unis, les choses se sont passées pour lui de manière plus chaotique, avec les ratés et les compromis au Congrès et les plans de relance. Le financement monétaire de la crise par le Trésor tel que les Etats-Unis le pratiquent "prépare de belles déconvenues". Reste le "facteur Obama" qui constitue un avantage, car ce président exprime les grands enjeux et cherche à convaincre les citoyens qu’il faut travailler ensemble à la naissance d’un "nouveau schéma de croissance".

Il n’en reste pas moins que la situation est, aux yeux de Jacques Mistral, plus grave aux Etats-Unis. La catastrophe financière touche directement 20 % de la population. Les problèmes sociaux sont plus urgents, puisque, contrairement à l’Europe, il n’y pas d’amortisseurs sociaux durables pour les chômeurs. Le besoin d’intervention de l’Etat est donc plus fort. Malheureusement, aucun investissement productif ne se profile et le financement monétaire par le Trésor va entraîner de grandes difficultés. Ici, l’Europe a une autre culture, alors que les Etats-Unis, convaincus qu’ils sont que l’économie libre est la seule voie vers la prospérité, sont profondément réticents à la régulation, crise ou pas crise.

Penser l’après G20

Cette différence culturelle a aussi caractérisé le G20, structure plus légitime et représentative de l’économie mondiale que le G7, mais qui, et sur cela, Jacques Mistral a insisté, n’a pas été préparée comme l’avait été, - deux ans durant ! - la conférence de Bretton Woods, à laquelle il a été souvent comparé ces dernières semaines.

Au-delà de l’inévitable théâtralité liée à ces réunions, avant lesquelles les divergences sont amplifiées pour pouvoir mieux s’attirer le mérite de les avoir aplanies, Jacques Mistral a souligné que l’un des aspects essentiels de la crise, le déséquilibre des balances de paiement, n’a pas été abordé pendant ce sommet. C’est, selon Jacques Mistral, à l’Union européenne qu’il incombera de développer une véritable "diplomatie financière" pour arriver à négocier de meilleures solutions.

Le G20 devrait se réunir de nouveau en décembre, ce qui est le début d’une certaine durabilité. Dans ce cas, il sera nécessaire d’aborder la question du commerce et des taux de change. Mais il sera surtout nécessaire d’aller vers une sorte de structure permanente globale dans le domaine économique, calquée sur celle du Conseil de sécurité des Nations Unies.