Le 27 avril 2009, l’Institut d’Etudes Européennes et Internationales du Luxembourg (IEIS), en collaboration avec l’Ambassade de la Bulgarie, avait organisé une table ronde au sujet des relations entre la Bulgarie et l’Union européenne. A l’ordre du jour : les problèmes et les progrès liés à l’adhésion de la Bulgarie à l’UE, son "européanité" et son "soft power", ainsi que les défis que représentent la crise économique, la globalisation et la sécurité énergétique pour l’Europe, en général, et pour la Bulgarie, en particulier.
En guise d’introduction, le ministre bulgare des Affaires étrangères, Ivailo Kalfin, a qualifié l’adhésion de la Bulgarie à l’UE d’un des projets les plus réussis de l’Union européenne. Il a abordé l’enthousiasme de l’opinion publique bulgare face à cette adhésion en expliquant que "75 % de la population bulgare y étaient favorables" et que "leur confiance dans les institutions européennes est plus grande que dans les institutions nationales". Pendant le long processus d’adhésion, qui a duré plus de 17 ans, la Bulgarie a subi "une transformation dramatique et elle fait toujours des progrès énormes pour remplir les critères tels que l’inflation, la dette publique ou le déficit budgétaire".
Des progrès ont également été faits grâce au mécanisme de coopération et de vérification, spécialement mis en place lors de l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie pour les aider dans la lutte contre la criminalité organisée et la corruption. Les opinions des experts autour de la table ont divergé à ce sujet : pour les uns, ce mécanisme présente la Bulgarie sous un mauvais jour parce qu’il crée deux classes d’Etats membres, pour les autres, c’est un instrument efficace de lutte contre la corruption.
L’adhésion à l’Union européenne, qui a fait l’objet d’un consensus politique en Bulgarie, a été un stimulus important pour l’économie du pays tel que son excédent budgétaire lui a permis de réduire ses dettes de 32 % à 16 % du PIB. La Bulgarie est une économie très ouverte : 60 % de ses exportations vont à l’UE, elle connaît un important afflux d’investissements directs de l'étranger, et son taux de chômage était de 6,7 % en mars, ce qui est moins que la moyenne européenne. En guise de conclusion, Ivailo Kalfin a abordé les trois priorités de la Bulgarie dans l’Union européenne, à savoir les Balkans occidentaux, la Mer Noire et la sécurité énergétique, avant de souligner que "la Bulgarie est une plus-value dans la construction européenne".
Ben Fayot, président du groupe parlementaire socialiste et président de la Commission des Affaires étrangères et européennes à la Chambre des Députés, s’est joint à Ivailo Kalfin en soulignant que la Bulgarie était un Etat membre très actif de l’Union européenne. Cependant, il a abordé l’élargissement de l’Union européenne de façon moins optimiste en expliquant que "si l’UE a été renforcée au niveau économique, elle ne l’a certainement pas été au niveau politique". Pour arriver à un consensus politique et à un fonctionnement efficace, il pense que l’UE a besoin d’une constitution ou du Traité de Lisbonne.
Pour Michael Humphreys, ancien chef de la représentation de la Commission européenne à Sofia, l’élargissement de l’UE était "un grand succès" et la preuve de sa capacité de promouvoir sécurité, développement économique et prospérité à ses frontières.
Gergana Nucheva de l’Université de Maastricht, a partagé en partie le pessimisme de Ben Fayot. Pour elle, l’élargissement de l’Union européenne était un succès dans le sens où il a procuré stabilité et sécurité dans la région. Cependant, elle pense que ce n’était pas forcément le cas pour la démocratie. Si la Bulgarie applique bien tous les critères formels de démocratie, ce n’est pas le cas pour les standards de l’Etat de droit. "Il y a quelque chose de fondamentalement mauvais", a-t-elle déclaré, "c’est la portée de la corruption politique et l’inefficacité des autorités de gérer la criminalité organisée, la corruption et le manque de justice sociale". Selon elle, rien n’a vraiment changé après l’adhésion et le mécanisme de coopération et de vérification est inadéquat pour faire face à ces problèmes.
Selon Plamen Pantev, professeur à l’Université de Sofia, l’Union européenne était le bon choix pour le futur de la Bulgarie, d’autant plus qu’il n’y avait pas d’alternative.
Gerhard Ambrosi de l’Université de Trèves, a expliqué que les économies socialistes ruinées de l’Europe de l’Est avaient en effet peu de choix que rejoindre l’Union européenne. Cependant, leur adhésion devrait être considérée par les citoyens comme un partage de souveraineté plutôt qu’une perte de souveraineté. "L’Union européenne n’est pas l’Union soviétique", a-t-il enchaîné en ajoutant que chaque pays peut en faire partie ou la quitter à sa guise.
Selon Kyril Drezov de l’Université de Keele, le paradoxe de la Bulgarie est qu’elle est, d’un côté l’exemple type de l’"européaniseur", mais de l’autre côté, les gens connaissent peu – et généralement peu de bonnes choses - de ce pays. Il a expliqué qu’historiquement, la Bulgarie était comprise dans l’Europe de Charlemagne, même si elle était bien loin de son noyau. Ensuite, la Bulgarie s’était alliée au premier, deuxième et troisième Reich, puis à l’Union soviétique. A l’époque de la Glasnost et de la Perestroïka, elle a été influencée et inspirée par des modèles occidentaux.
Vladimir Shopov de l’Institut d’Etudes régionales et internationales de Sofia, a expliqué dans ce contexte que la Bulgarie des années 1990 a vécu des standards démocratiques différents : nouvelle constitution, multipartisme, élections et changement pacifique de gouvernement. Elle n’est pas devenue un pays nationaliste postcommuniste, mais elle n’a pas non plus développé les éléments essentiels d’une démocratie libérale, d’où ses difficultés d’adaptation aux standards européens.
Abordant le terme d’"européanité" en tant que tel, les experts étaient unanimes : les citoyens de l’UE ne se connaissent pas assez, et Bruxelles est trop loin pour eux. Pour Alexandros Koutsoukis de l’Institut d’Etudes Européennes et Internationales du Luxembourg, une des raisons en est que "l’Union européenne se concentre plus sur la surveillance que sur la coopération". Il pense que "les gens doivent être davantage impliqués parce qu’ils ne vont pas voter s’il n’y a pas de rêve européen". Et Armand Clesse, animateur de la table ronde, de conclure : "Il nous faut plus d’euro-enthousiasme !"
Dans le contexte du "soft power" de la Bulgarie, Alfred Steinherr, ancien économiste en chef de la Banque européenne d'investissement, a expliqué qu’il s’agit ici de réaliser son potentiel sans faire constamment face à des menaces militaires. C’est surtout aux petits pays que ce rôle revient. Ils sont également souvent les pays les plus riches du monde, comme par exemple le Luxembourg, le Danemark ou la Norvège. "La petite taille peut donc être un avantage pour un pays", a-t-il ajouté, "parce qu’il y a moins d’hétérogénéité". La Bulgarie peut ainsi jouer un rôle très constructif - contrairement à la Russie par exemple – comme le Luxembourg l’a fait dans la construction européenne. Et d’ajouter : "Small is beautiful".
Selon Kyril Drezov, la Serbie est un facteur important du développement économique et de l’influence politique de la Bulgarie. Toutefois, Sofia a suivi le chemin "pro-européen" en reconnaissant l’indépendance du Kosovo. En citant le cas de la Moldavie, Kyril Drezov a expliqué que la Bulgarie a joué un rôle de médiateur dans les années 1990, et qu’elle peut faire de même en profitant de ses relations avec la Grèce, la Turquie ou d’autres pays qui ont des problèmes territoriaux ou ethniques.
"La crise économique a frappé la Bulgarie très rapidement et surtout sur son marché des investissements", a expliqué le banquier Cormac Murphy. A la fin des années 1990, la Bulgarie avait déjà connu une crise financière, suite à laquelle a été introduite une caisse d’émission monétaire et l’afflux d’investissements directs à l'étranger a été réduit dans le secteur bancaire. Grâce à ces mesures, la Bulgarie n’a pas encore dû avoir recours à des aides du Fonds monétaire international, son inflation est relativement basse et son secteur bancaire est assez stable. "La Bulgarie ne va donc pas faire faillite (…) parce que sa situation fiscale est saine, tout comme son secteur bancaire, dominé par des banques italiennes, hongroises, autrichiennes et grecques, qui ont l’avantage comparatif du bas niveau des coûts et du haut niveau éducatif, notamment en mathématiques", a-t-il précisé.
Alfred Steinherr lui a rétorqué que "les banquiers, tout comme les hommes politiques, ont tendance à voir la vie en rose". Pour lui, les nouveaux Etats membres avaient trop d’espoir dans l’adhésion à l’UE. Les perspectives pour la Bulgarie ne sont, selon lui, pas du tout positives, notamment en termes de déficit de la balance courante (qui est de 24 %, ce qui est le taux le plus élevé en Europe). Il pense que surtout l’afflux de fonds européens et la fin du boom immobilier ont contribué aux problèmes économiques de la Bulgarie.
En guise de conclusion, les experts on essayé de dresser le bilan, tout en donnant quelques conseils pour améliorer la situation en Bulgarie. Selon Alfred Steinherr, des progrès doivent être faits dans l’éducation. Pour Plamen Pantev, le bas niveau des salaires est le vrai handicap de la Bulgarie, parce qu’il cause la fuite des cerveaux. Selon Michael Humphreys, la fuite des cerveaux "accompagne inévitablement l’élargissement". Il pense que la crise actuelle va parer à cette situation, parce qu’"on est mieux dans son pays d’origine si on n’a pas d’emploi". Et l’ambassadeur de la Bulgarie, Hristo Georgiev, de conclure : "En général, les perspectives pour la région sont bonnes. La Grèce et la Turquie ont soutenu l’adhésion de la Bulgarie à l’OTAN. Le pays a d’excellentes relations avec la Roumanie et connaît une bonne coopération avec les pays des Balkans occidentaux et de l’Europe du Sud-est."