Le 16 juin 2009, la Banque centrale du Luxembourg (BCL) a présenté son rapport annuel à l’Abbaye de Neumünster.
Le président de cette institution financière, Yves Mersch, a dressé un tableau sombre de la situation économique actuelle et future du Luxembourg. Il a également défini les défis que le pays, touché depuis 2008 par la crise financière et économique mondiale, mais également pris dans une crise structurelle spécifique, devra affronter.
Le premier constat d’Yves Mersch est dur : "Les projections macroéconomiques de la BCL et d’autres institutions nationales et supranationales (FMI, Commission européenne) pour le Luxembourg ont été plusieurs fois revues à la baisse." Et de souligner : "Il s’agit d’un recul historique qui figure de surcroît parmi les plus marqués au sein de l’Union européenne."
Au cours de la matinée, il avait présenté les mêmes chiffres aux négociateurs de la nouvelle coalition gouvernementale qui l’avaient écouté "avec une attention très tendue", selon ses propres mots.
La crise a frappé le Luxembourg après une décennie de croissance économique et de l’emploi soutenue et ininterrompue qui coïncide avec l’introduction de l’euro. Celui-ci a facilité selon la BCL l’intégration à l’échelle européenne de la petite économie ouverte qu’est le Luxembourg. Ensuite, lorsque la crise a éclaté, il a atténué l’impact de la crise. Il n’y a pas eu de mouvements désordonnés des cours de change intra-européens et des taux d’intérêt. La banque centrale luxembourgeoise dont le Luxembourg dispose depuis 10 ans a pu jouer son rôle dans la politique monétaire et celle-ci a pu mettre à profit "sa grande proximité" avec "divers acteurs nationaux et européens de premier plan".
Pour Yves Mersch, la nouvelle politique monétaire dispose de règles claires, propices à un petit Etat ayant besoin de l’Etat de droit qui le protège. Elle permet, grâce à l’euro, de "mieux ancrer les anticipations inflationnistes", ce qui a permis "de stabiliser et de contenir l’inflation au sein de la zone euro". Dans ce contexte, le Luxembourg a malgré tout "affiché une inflation tendanciellement plus élevée que dans le reste de la zone euro", de sorte que selon Yves Mersch, "sa compétitivité coûts-salaires a notamment évolué de façon insoutenable dans une union monétaire".
En un an, le Conseil des gouverneurs, le principal organe de décision de la BCE, dont Yves Mersch fait partie en tant que gouverneur de la banque centrale luxembourgeoise, a dû intervenir plusieurs fois sur le taux directeur. En juillet 2008, il a été augmenté de 25 points de base à cause de la poussée inflationniste. En octobre 2008, ce même taux directeur a de nouveau été abaissé "dans un contexte d’accroissement des incertitudes et de réduction des tensions inflationnistes". Jusqu’en mai 2009, "les taux directeurs de l’Eurosystème ont été abaissés de 325 points de base au total, représentant la variation la plus forte enregistrée depuis la création de l’Eurosystème."
Face aux dangers d’assèchement du marché interbancaire, de nouvelles mesures de gestion de la liquidité ont également été adoptées fin 2008, dont "une procédure d’appel d’offres à taux fixe servant la totalité des soumissions, et un assouplissement des règles applicables à l’éligibilité des garanties apportées par les contreparties, associé à un renforcement des mesures de contrôle des risques."
Plusieurs mesures non conventionnelles de politique monétaire ont été temporairement mises en œuvre en mai 2009 : "l’octroi à la Banque européenne d’investissement d’un accès aux opérations de politique monétaire à l’intervention de la BCL, la conduite d’opérations de refinancement à plus long terme avec une maturité d’un an, ainsi qu’un programme d’achat d’obligations sécurisées".
Moins 4,5 % de croissance au quatrième trimestre 2008, un acquis de contraction de moins 3,5 % pour 2009, moins 7,4 % de production industrielle pendant les trois premiers mois de 2009, un recul moins prononcé dans le secteur financier, malgré une diminution de plus de 24 % des actifs nets des OPC en 2008, une tendance qui continue au premier trimestre 2009, voilà le côté négatif des choses.
La BCL identifie cependant des "premiers signes d’une stabilisation économique" à un niveau assez bas au cours du deuxième trimestre de 2009 : rebond des marchés boursiers et consolidation, voire légère hausse de divers indicateurs issus d’enquêtes de conjoncture.
La croissance sera pourtant en berne pendant encore un an ou deux. "Pour l’année 2009 dans son ensemble, la BCL escompte un taux de croissance situé entre -5,0 % et -4,4 %, qui reflète notamment l’important acquis de contraction. Le PIB en volume devrait stagner en 2010 et enregistrer une progression comprise entre 1,4 % et 3 % en 2011, ce qui paraît faible à l’aune des taux de croissance observés au Luxembourg au cours des deux dernières décennies." Un scénario qui cependant du mal à intégrer les plans de relance dont les effets sont difficiles à prédire, qui ne peut pas tenir compte des risques encore imprévisibles propres à la crise des marchés financiers et qui n’a pas voulu tenir compte d’éventuelles bouffées protectionnistes que la crise pourrait déclencher.
Partant du fait que la crise aura coûté au Luxembourg en 2011 autour de 20 % de son PIB en termes de croissance potentielle interrompue, et rappelant la croissance rampante dans laquelle le Japon est entré depuis plus d’une décennie après une longue période de croissance ininterrompue, Yves Mersch s’est demandé si le Luxembourg pourra renouer avec ses succès antérieurs sous le coup d’un certain nombre de facteurs qui pourraient affecter la croissance potentielle du secteur financier, qui est le pilier central de l’économie luxembourgeoise.
Dans sa présentation, il a nommé les restructurations bancaires, les nouvelles mesures de régulation des marchés financiers, chères en termes de chiffres d’affaires, l’éventuel départ de l’immigration qualifiée, l’effet d’entraînement sur le marché du travail frontalier et sur la R&D privée de ressources humaines, autant de risques catalysés par la crise qui pourraient toucher durablement la productivité dans le secteur bancaire.
Si la croissance potentielle baissait, le financement "de prestations sociales élevées" se compliquerait et "obligerait le Luxembourg à accorder encore plus d’attention au maintien de sa compétitivité". Parmi les pistes esquissées par Yves Mersch pour parer au déclin, il faut citer la stimulation de la productivité et de l’emploi - Mersch a longuement insisté dans ce contexte sur le faible taux de participation de 33 % au marché du travail des personnes âgées entre 50 et 64 ans - , la maîtrise de l’évolution des salaires et une réforme "déjà urgente avant la crise" de la sécurité sociale.
En 2008, l’emploi a connu une hausse de près de 5 %. Le taux de chômage est de 4,4 %. Si le chômage n’a pas plus augmenté, c‘est que le Luxembourg dispose "d’un puissant amortisseur, à savoir le chômage partiel" qui touche 11 000 personnes en juin 2009. Mais Yves Mersch est sceptique. "Cet amortisseur ne permettra cependant pas d’abriter en permanence le marché du travail des aléas de la conjoncture."
Le marché de l’emploi, qui a connu une forte croissance sur les derniers 24 ans, se contractera donc selon les projections de la BCL : "L’emploi salarié va diminuer de 0,2 % en 2009 et de quelque 1,7 % en 2010, avant de se stabiliser en 2011. Par voie de conséquence, le taux de chômage va passer de 4,4 % en 2008 à 5,6 % en 2009, 6,7 % en 2010 et 7 % en 2011. (…) La dégradation du marché du travail va peser sur l’évolution du coût salarial moyen. Exprimé en termes nominaux, ce dernier ne progresserait en effet que de 0,6 % et 0,4 % en 2009 et 2010. Par contre, l’augmentation atteindrait 2,5 % en 2011, sous l’effet de l’application d’une tranche indiciaire au début de l’année."
L’inflation restera limitée en 2009, et ce n’est qu’en 2010 qu’un renchérissement des prix de l’énergie la fera remonter. En 2011, l’inflation des services serait stimulée si la tranche indiciaire venait à échéance. Pour la BCL, "il importe de prévenir toute remontée durable de l’inflation", voire d’arriver à la maîtriser durablement, car "la compétitivité du Luxembourg est toujours en péril".
Pour la BCL et son président, "la crise aura (...) un impact significatif sur les recettes fiscales de l’Etat luxembourgeois". Le plan de relance a augmenté les dépenses. Le coût budgétaire du chômage partiel est fort (0,3 % du PIB), comme celle du montant des indemnités de chômage. Le déficit tournera autour de 4 % en 2009, dépassant ainsi - "la première fois" - le seuil de 3 % fixé par les critères de Maastricht inscrits dans les traités européens, et continuera en 2010 et 2011. Et puis ces mots durs de Mersch : "Cette pernicieuse évolution n’est pas uniquement imputable à la crise économique et financière. Ainsi, le solde des administrations publiques apuré des cycles économiques serait lui aussi résolument négatif, à raison de 5 % du PIB en 2011 à politique inchangée."
Yves Mersch met en garde contre une "puissante dynamique d’endettement", qui risque d’atteindre 30 % à la fin de la nouvelle législature en 2014 et pourrait dépasser les 60 %, limite fixée par les critères de Maastricht. Les déficits structurels et l’augmentation tendancielle des dépenses de sécurité sociale et de pensions, dont les surplus se réduisent rapidement, doivent être l’objet d’inévitables réformes structurelles.
Mersch prône en conséquence, dès la fin de la crise, une double approche : la consolidation budgétaire à travers un excédent structurel d’au moins 1,5 % du PIB, chiffre qui tient compte en terme budgétaires du vieillissement de la population, des coûts qu’elle entraîne et des réserves qu’il faut constituer, tout cela en accordant une attention accrue aux déficits des communes, et une réforme "sans tarder" de la sécurité sociale, "en particulier dans le domaine des pensions". Sinon, la durabilité des finances publiques du Luxembourg est selon Mersch "pour l’instant bien compromise".
Le rapport souligne également que la crise financière "a fortement augmenté le degré d’intermédiation de la BCL vis-à-vis de ses contreparties luxembourgeoises, dans le but d’assurer un soutien accru au secteur financier et par ce biais, à l’économie dans son ensemble. (..) La somme de bilan de la BCL a ainsi augmenté de 71 %, passant de 59 milliards d’euros en 2007 à 100,6 milliards d’euros en 2008. La BCL reste la troisième banque centrale nationale en ordre d’importance en ce qui concerne l’attribution de liquidités dans l’Eurosystème. Néanmoins, la capitalisation de la BCL reste faible au vu de son rôle stabilisateur dans la crise actuelle."
La BCL est devenue, depuis octobre 2008, "une autorité de surveillance à part entière" et entend développer ses compétences élargies en pleine coopération avec le gouvernement et les autres autorités, nationales et internationales. En avril 2009, elle a émis un règlement relatif à la surveillance de la liquidité. Elle est engagée dans les discussions dans les groupes internationaux ou régionaux, comme le G20, le Forum de Stabilité Financière (FSF) devenu le Financial Stability Board (FSB), le Groupe de Larosière, le Committee of European Banking Supervisors (CEBS), le Banking Supervision Committee (BSC), ou le Economic and Financial Committee (EFC), qui ont abordé les problématiques des déficiences en matière de régulation, de l’insuffisante surveillance macro-prudentielle, et de la nécessaire réforme de l’architecture de la supervision.