Après avoir réussi que les chefs d’Etat et de gouvernement tiennent compte de leurs problèmes dans les conclusions du Conseil européen des 18 et 19 juin 2009, des producteurs de lait venant d’Allemagne, de Belgique, d’Espagne, de France, de la Grèce, d’Italie, de la Lituanie, du Luxembourg, des Pays-Bas, de Pologne, de la République tchèque et de la Slovaquie, sont venus le lundi 22 juin 2009 manifester "leur mécontentement et leur colère grandissante" à Luxembourg, où siégeait le Conseil Agriculture.
Ils étaient plusieurs milliers à se rassembler autour des Foires internationales, où se tiennent les Conseils des ministres européens à Luxembourg, répondant entre autres à l’appel du puissant Comité des organisations professionnelles agricoles (COPA-COGECA) et du European Milk Board (EMB). Confluant avec plusieurs centaines de tracteurs et un grand nombre de bus vers la capitale, le trafic de celle-ci s’est effondré, bien que de nombreux salariés aient fait le pont à la veille de la fête nationale. Des discours, inaudibles, quelques sifflets, quelques salves de canon à air, quelques arrosages de la foule avec du lait, quelques coudées échangées avec des forces de l’ordre qui ont gardé le calme et veillé à ce que les tracteurs convergent en bon ordre et trouvent où se garer... Aucun incident, mais le vrai fait à signaler est que nombreux étaient ceux qui, dans cette foule bon enfant, voient leur existence menacée, ce qui les a poussés à faire le voyage de Luxembourg, parfois à plus de 2000 kilomètres de leur exploitation.
L’EMB, dont le Luxembourg Dairy Board (LDB) est membre, a donné, avant le début de la manifestation, une conférence de presse au cours de laquelle Fredy de Martines du LDB, qui a donné un visage à la lutte des producteurs de lait au Luxembourg, a dressé un tableau de la situation à la fois nationale et européenne. Au Luxembourg, a-t-il expliqué, trois laiteries collectent le lait en payant entre 20,5 et 24 cents le litre, ce qui est mieux que dans d’autres Etats membres de l’UE, mais ne suffit plus pour couvrir les frais courants, d’autant plus que les prix ont tendance à baisser encore. Pour que le travail des producteurs soit profitable, le litre de lait devrait être payé autour de 40 cents, partout en Europe, ce qui est loin d’être le cas.
Pour de Martines, cette situation était prévisible depuis un an. Or, "la politique a pris très peu d’initiatives", déplore-t-il, "et la situation est devenue dramatique pour les exploitations qui risquent d’avoir dans très peu de temps des problèmes de liquidités et vont devoir mettre la clé sous la porte." Fredy de Martines s’est félicité de l’engagement du Premier ministre Jean-Claude Juncker et du ministre délégué aux Affaires étrangères Nicolas Schmit qui se sont engagés à Bruxelles pour que la crise du lait soit mise à l’ordre du jour du Conseil européen. Mais le résultat de cette discussion – une étude que la Commission est censée faire endéans deux mois sur le marché du lait et le circuit des liquidités et des subventions - n’est pas suffisant. "Il faut des décisions tout de suite, car les exploitants risquent d’être à bout dans deux mois", a conclu de Martines.
Le LDB et l’EMB sont conscients du fait qu’il y a trop de lait sur le marché et que l’on consomme moins de lait. Ce qui leur importe est qu’un prix qui couvre les frais de productions soit payé. Les deux organisations s’opposent aux subventions à l’exportation, car elles sont trop chères, ne rapportent rien aux exploitants, mais uniquement aux gros exportateurs, et nuisent fortement aux exploitations dans les Etats tiers, notamment dans les pays en voie de développement. Par contre, pense de Martines, il faut imaginer de nouveaux produits dans lesquels le lait entre, pour relancer la demande, et surtout intervenir sur les marchés en gelant 5 % des quotas. Une exploitation qui ferme, pense de Martines, ne rouvrira plus, et la disparition de nombre d’exploitations risque à terme de compromettre le ravitaillement et la sécurité alimentaire des populations.
La vice-présidente du EMB, Sieta van Keimpema, a abondé dans le même sens et demandé à l’UE de "quitter le chemin de la suppression des quotas laitiers prévue en 2015" et de "passer à une manière flexible de la régulation des marchés laitiers."
L’EMB dit représenter, selon les déclarations de sa vice-présidente, 100 000 producteurs de lait regroupés en 19 organisations venant de 14 pays. L’EMB se concentre sur les problèmes de la production du lait et se différencie selon les déclarations de ses dirigeants des autres grands syndicats d’agriculteurs par le fait qu’il n’est pas généraliste et ne compte pas de représentants dans les conseils d’administration des laiteries et de l’industrie alimentaire et qu’il n’est pas non plus lié à la politique. La stratégie qu’il poursuit a pour but que tous les tenants de la chaîne laitière – producteurs, laiteries, industrie alimentaire et grande distribution - prennent leurs responsabilités, et l’organisation, qui constate que les exploitants agricoles n’ont aucune influence sur les marchés, réfléchit à la manière de changer cela.
L’EMB et le LDB sont loin de faire l’unanimité. Josiane Willems, directrice de la Centre paysanne luxembourgeoise (CPL), affiliée au COPA, et qui s’est aussi exprimée au nom de la Bauerenallianz et du Fräie Lëtzeburger Baureverband, trouve que la baisse des quotas ne sert à rien. La surproduction est telle que selon Willems, le marché est saturé alors même que les quantités délivrées sont en moyenne européenne 4 % en dessous des quotas permises. S’il fallait intervenir, il faudrait les baisser de 10 à 15 %, ce qui conduirait à un démantèlement des exploitations laitières. Josiane Willems pense que les mécanismes de flexibilité prônés par le LDB et l’EMB conduiraient à des quotas encore plus stricts et ne laisseraient aucune marge aux producteurs de lait.
La directrice de la CPL est d’avis qu’il faut trouver de nouveau moyens pour vendre le lait, qui est de plus en plus concurrencé par des produits laitiers à l’origine, comme le fromage et la glace, mais qui ne sont plus que laitiers en apparence. Ainsi, 100 000 tonnes de fromage synthétique ou analogue ont circulé l’an dernier sur le marché allemand, l’équivalent de 1,2 millions de tonnes de lait, et des quantités infinies de glaces, fabriquées à base d’huiles végétales et d’arômes synthétiques, dont l’emballage est conçu de manière à ce que le consommateur reconnaisse difficilement qu’il s’agit de fromages et de glace qui ne sont pas des produits laitiers. Il s’agit là de quantités énormes, si l’on considère que la Commission européenne, qui est intervenue en 2009 sur le marché laitier, a par exemple retiré depuis le 1er avril 2009 à des fins de régulation, 69 629 tonnes de beurre de beurre et 138 445 tonnes de lait écrémé en poudre.
Aucune décision opérationnelle n’a cependant été prise lors de ce Conseil. D’après des sources diplomatiques, Europaforum.lu a pu apprendre que pour les ministres et pour la Commission, tous les instruments disponibles ont été utilisés et leurs moyens ont été épuisés. Au Luxembourg, on continuera avec la promotion du lait, le lait dans les écoles, l’avancement des subventions de décembre à octobre. Un petit marché comme le Luxembourg n’a pas intérêt, selon les officiels, d’être tenu à des quotas trop stricts et devrait arriver à résorber ses surplus après l’été. Reste le constat que les producteurs sont le maillon faible dans la chaîne laitière, et qu’il incombera à l’étude commanditée à la Commission d’éclaircir les responsabilités des autres maillons, notamment de la grande distribution, souvent visée par les producteurs.