Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne se sont retrouvés les 4 et 5 septembre 2009 à Stockholm pour un conseil informel. La situation en Afghanistan était à l’ordre du jour de ce Gymnich au cours duquel le débat s’est concentré sur l’issue des élections dans ce pays, ainsi que sur une réorientation stratégique de la mission EUPOL et sur les mesures concrètes susceptibles d’être appliquées en matière de renforcement des capacités des administrations afghanes. L’amélioration de la coordination entre les différents acteurs de la communauté internationale, ainsi que le dialogue transatlantique sur l’Afghanistan et le Pakistan ont également figuré à l’ordre du jour.
En marge de ces discussions, le raid aérien de l’OTAN du vendredi 4 septembre 2009, qui a causé la mort d’un nombre indéterminé de civils qui se trouvaient à proximité du groupe de combattants talibans visés par les forces de l’OTAN dans la province de Kunduz, a suscité de vives réactions chez quelques uns des ministres européens qui se sont exprimés en marge de cette réunion informelle.
"C'est une grosse erreur", a ainsi déclaré le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner, ajoutant qu’il faut "travailler avec le peuple afghan et non le bombarder". Son homologue britannique, David Milliband, a annoncé pour sa part que "nous devons nous assurer que plus jamais n’arrive quelque chose de tel". Benita Ferrero-Waldner, membre de la Commission européenne en charge des Relations extérieures, évoquait de son côté une "grande tragédie". "Chaque mort est une tragédie et je ne pense pas que l’on va gagner cette guerre en tuant […] cela se fera en premier lieu en protégeant la population", a ajouté Carl Bildt, ministre suédois des Affaires étrangères.
C’est aux côtés de son homologue italien, Franco Frattini, que s’est exprimé le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn. A leurs yeux, "même s'il n'y avait qu'un civil sur place, cette opération n'aurait pas dû avoir lieu". "Je ne comprends pas que des bombes puissent être lancées si simplement et si rapidement" a ainsi déclaré le chef de la diplomatie luxembourgeoise au sujet de cette "catastrophe inacceptable".
Le chef de la diplomatie luxembourgeoise a précisé sa position au journal allemand Die Welt, qui reprend ses propos dans son édition du 7 septembre 2009. "Il doit bien y avoir des règles qui déterminent quand il faut envoyer des attaques aériennes. Car nous ne sommes pas en Afghanistan pour conquérir mais pour aider et pour construire la démocratie", a-t-il ainsi expliqué. Jean Asselborn estime que, "en cas de bombardement, il faut avoir la certitude qu’il n’y a pas de victimes civiles". Et de poursuivre : "Nous n’avons pas le droit d’abandonner l’Afghanistan maintenant. L’aide à la reconstruction devrait s’intensifier au maximum dans les deux prochaines années. Mais ensuite il faudra faire en sorte que les Afghans prennent eux-mêmes la responsabilité en termes de sécurité".
Dans une interview accordée à la journaliste Imke Köhler diffusée sur les ondes par la Bayrischer Rundfunk 2 le 7 septembre 2009 à 7h30, Jean Asselborn résume par ailleurs la situation en Afghanistan comme une "gageure très difficile" et il explique la vision qu’il a des objectifs de la communauté internationale en Afghanistan. A ses yeux en effet ce serait un "succès" pour la communauté internationale en Afghanistan "si les Talibans étaient prêts à entrer dans le gouvernement, si les Talibans étaient acceptés dans le gouvernement et s’ils cogouvernaient avec des moyens conformes à l’Etat de droit". La "défaite" serait au contraire pour lui que "la communauté internationale abandonne l’Afghanistan et que les terroristes aient le dernier mot du jour au lendemain".
Le sujet est particulièrement vif en Allemagne dans la mesure où l’officier qui a donné l’ordre de l’attaque aérienne est un ressortissant de ce pays et les commentaires du chef de la diplomatie luxembourgeoise et de ses confrères européens ont trouvé des échos dans différents grands journaux allemands.
Ainsi, dans l’édition du 7 septembre 2009 de la Süddeutsche Zeitung , il est considéré que "les Allemands seraient en droit de s’étonner que des mots si durs viennent d’amis autrement si proches".
Berthold Kohler, de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, estime pour sa part que le fait que Jean Asselborn ne comprenne pas "que des bombes puissent être lancées si simplement et si rapidement" explique "pourquoi l’Afghanistan pourrait devenir une débâcle pour l’Occident". "Cette incompréhension (à commencer de la chose militaire) traduit l’opinion répandue, y compris dans des pays qui ne sont pas dépourvus de forces aériennes, selon laquelle on ne devrait au fond lancer aucune bombe sur l’Hindou Kouch ou alors seulement après des délibérations de fond et même, encore mieux, sur décision unanime du Conseil européen", poursuit, non sans ironie, le journaliste qui craint que ce précédent ne pousse les Talibans à se servir, sans le moindre scrupule, des civils comme de boucliers humains à la moindre occasion.
Dans son article publié dans le Welt am Sonntag du 6 septembre 2009, Torsten Krauel donne raison à Jean Asselborn quand il affirme qu’il faut fixer des "règles" à l’intervention en Afghanistan, et qu’il "importe peu que le Luxembourg ne participe à la Force internationale d’assistance et de sécurité (ISAF) qu’avec une poignée de soldats intégrés à la délégation belge". Comme le rappelle en effet le journaliste, "les Etats sont politiquement égaux en droit au sein de l’OTAN".
"Peu importe aussi", poursuit le journaliste, "au vu de l’urgence de la nécessité de règles, que le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois ait exprimé son incompréhension au sujet de l’attaque aérienne". Pour Torsten Krauel, cette incompréhension s’explique en effet par "les beaux discours au sujet d’une guerre de l’OTAN selon l’article 5 du traité de l’Alliance qui ne devrait justement pas être une `guerre´ afin de pouvoir `passer´ politiquement en Europe". Et le journaliste de conclure que "se faire des illusions aboutit un jour à se mentir à soi-même et [que] cela peut amener à tromper les électeurs quand on n’a pas le courage de dire la vérité à temps", allusion aux enjeux électoraux de l’incident à la veille des législatives allemandes du 27 septembre 2009.