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Agriculture, Viticulture et Développement rural
La Cour des Comptes européenne dresse dans un rapport spécial un bilan critique de la gestion du marché du lait en Europe
Les auditeurs recommandent notamment à la Commission européenne de superviser l’évolution du marché afin d’éviter que la libéralisation du secteur ne conduise à la réapparition d'une situation de surproduction
15-10-2009


La couverture du rapport spécial de la Cour des Comptes européenneLa Cour des comptes européenne a publié le 15 octobre 2009 un rapport spécial (n° 14 / 2009) sur la gestion du marché du lait en Europe, qui avait été adopté en juillet 2009.

La décision de mener l’audit qui a permis la rédaction de ce rapport a été prise il y a plus de 2 ans. Ce rapport fait par ailleurs suite à un rapport spécial sur la gestion d’ensemble des quotas laitiers de 2001 (n° 6 / 2001), qui couvrait l’Europe des 15, et à un rapport (n° 4 / 2008), publié en 2008, qui portait que sur la mise en place des quotas laitiers dans les nouveaux États membres.

Il s’agissait par cet audit d’examiner la performance des instruments de gestion du marché du lait dans l’ensemble de l’Europe élargie. Le lait occupe en effet une place majeure dans l’économie agricole de l’Union européenne. Plus d’un million de producteurs fournissent annuellement 148 millions de tonnes de lait, pour une valeur de 41 milliards d’euros au départ des exploitations. La transformation du lait (principalement la fabrication de fromages, de beurre et de lait de consommation) occupe environ 400 000 personnes et génère un chiffre d’affaires de 120 milliards d’euros.

Dans ce rapport spécial, la Cour des comptes européenne examine l’efficacité de la gestion, par la Commission européenne, du marché du lait et des produits laitiers depuis l’instauration des quotas laitiers en 1984 au regard des principaux objectifs assignés à la politique laitière de l’UE . La Cour relève également les points les plus critiques à prendre en considération dans le processus de dérégulation progressive du secteur laitier engagé depuis 2003.

La Cour s’est donc posé la question de la performance des moyens mis en œuvre pour réaliser la politique commune dans le secteur du lait. Les auditeurs se sont ainsi efforcés de rapprocher, d’un côté, les outils de gestion, c'est-à-dire principalement les quotas laitiers et les mesures d’écoulement, et de l’autre, les objectifs à atteindre, qui sont fixés par le législateur.

Les instruments de gestion n’ont que partiellement réussi à atteindre les 4 principaux objectifs fixés par la politique laitière

Quatre objectifs parmi les nombreux buts poursuivis par cette stratégie sont constamment mis en avant dans la réglementation : il s’agit d’équilibrer le marché, mais aussi de stabiliser les prix, d‘assurer un niveau de vie équitable aux producteurs, et également d’améliorer la compétitivité des produits laitiers européens.

Les questions auxquelles les auditeurs ont voulu apporter une réponse étaient donc profondément liées à ces objectifs. Est-on parvenu à atteindre l’équilibre du marché ? A-t-on réussi à stabiliser les prix ? A-t-on préservé un niveau de vie équitable pour les producteurs ? La compétitivité s’est-elle améliorée ?

Et à bien y regarder, les auditeurs ont constaté que les instruments de gestion n’ont que partiellement réussi à atteindre ces différents objectifs.

Les quotas ont permis d’encadrer la production, mais à un niveau trop élevé pour éviter la surproduction

S’agissant de l’équilibre du marché, la Cour conclut que les quotas laitiers ont encadré strictement la production, mais que leur niveau s’est avéré longtemps trop élevé par rapport aux capacités d’absorption du marché.

Les produits industriels excédentaires (beurre et poudres) ont fait l’objet d’un financement communautaire. Pendant longtemps, le quota communautaire de livraison a été très légèrement dépassé, mais depuis 2004, il est constamment sous-réalisé. Pour la campagne 2007/2008, la sous-réalisation correspond à 1 % du quota total de l’UE-27. Le régime actuel des quotas n’est plus réellement contraignant que dans un nombre restreint d’États membres.

Les mesures d’écoulement destinées à encourager la consommation de matière grasse (beurre) ou de matières protéiques (lait en poudre) sur le marché européen ont joué un rôle limité au cours des dernières années.

La volatilité des prix a été pendant longtemps évitée, mais les prix à la production ont constamment baissé en termes réels, cependant que les prix à la consommation n’ont cessé d’augmenter

Par rapport à l’objectif de stabiliser les prix, la Cour constate que le prix nominal du lait à la production a peu varié durant la période 1984-2006, comparativement à la période ayant précédé l’instauration des quotas. En revanche, en monnaie constante, le prix du lait à la production a connu une érosion continue depuis 1984.

Le prix du lait à la production et le prix du lait à la consommation n’évoluent pas en parallèle, car ils subissent l’influence de paramètres différents. Entre le début de 2000 et la mi-2007, les prix nominaux à la consommation pour les produits laitiers ont augmenté de 17 % alors que le prix nominal payé au producteur a diminué de 6 %.

Le revenu moyen des producteurs de lait n’a pas pu se maintenir depuis dix ans qu’au prix d’une augmentation constante de la productivité, d’aides accrues, et d’une disparition d’un très grand nombre d’exploitations

Concernant l’objectif de garantir le niveau de revenu des producteurs, la Cour relève que le revenu des producteurs laitiers reste légèrement supérieur au revenu agricole moyen, lequel tend à diminuer en monnaie constante.

Les aides occupent une part importante et croissante dans le revenu des producteurs de lait, avec une forte variation selon les États membres. La restructuration du secteur laitier et la diminution constante du nombre d’exploitations ont pour effet que le revenu statistique moyen des producteurs de lait  peut se maintenir.

L’UE-15 a perdu la moitié de ses exploitations laitières entre 1995 et 2007; plus de 500 000 producteurs ont cessé leur activité durant cette période.

La compétitivité des produits laitiers européens sur le marché mondial n’est pas très bonne pour les produits de base, mais elle est meilleure pour les produits à haute valeur ajoutée

S'agissant de l’objectif de compétitivité, la Cour constate que la part de l’UE dans le commerce mondial des produits laitiers se contracte depuis 1984.

Les aides européennes aux exportations de produits laitiers ont considérablement diminué durant les dernières années. En fait, les producteurs européens de produits de base (beurre et lait en poudre) n’ont été concurrentiels sur les marchés mondiaux que quand les cours étaient élevés. En dehors de ces périodes, ils ont exporté avec l’aide du budget communautaire. Les prix mondiaux influencent moins le niveau des exportations de produits à plus forte valeur ajoutée comme les fromages.

Les facteurs de risque identifiés par la Cour des Comptes

L’analyse a porté sur les tendances à long terme, sur une période d’environ 10 ans, mais aussi sur la période récente, et ce jusqu’à fin 2008. Ce travail rétrospectif a permis d’identifier des facteurs de risque, des éléments de fait critiques qui doivent être pris en considération dans le processus de libéralisation en cours, à cause de leur impact potentiel en termes financiers, pour le budget de l’UE, mais aussi en termes économiques et sociaux.

Dans ce contexte, la Cour signale trois facteurs majeurs, qui lui semblent devoir être pris en considération en raison de leur impact budgétaire, économique et social :

  • l’instabilité des marchés, et la volatilité des prix, qui peuvent conduire à recréer rapidement des excédents importants ;
  • l’accélération de la restructuration, avec le risque d’une concentration géographique toujours accrue de la production, et la disparition d’un très grand nombre de producteurs dans les zones rurales défavorisées ;
  • la question de la compétitivité du secteur, qui dépend de sa capacité à s’adapter à la demande mondiale en termes de prix, mais surtout de qualité de ses produits.

Les recommandations de la Cour

Ces constats et ces risques conduisent la Cour à formuler des recommandations, qui découlent naturellement de ses observations. Ces recommandations portent notamment sur les points suivants :

  1. la nécessaire supervision par la Commission de l’évolution du marché, pour éviter que la libéralisation du secteur ne conduise en particulier à la réapparition d’excédents massifs ;
  2. le suivi régulier du processus de formation des prix à la production et à la consommation dans le secteur laitier, compte tenu du poids des entreprises de transformation et de distribution. En effet la concentration des entreprises de transformation et de distribution ne doit pas placer les producteurs de lait dans une situation de preneurs de prix ("price-takers"), et ne doit pas limiter la possibilité pour les consommateurs finaux de bénéficier équitablement des baisses de prix
  3. la nécessité d’approfondir la réflexion sur les stratégies à mettre en œuvre pour faire face au double risque de concentration géographique de la production – et ses conséquences environnementales - et de disparition des producteurs dans les zones où la production laitière est vulnérable, notamment en montagne ;
  4. l’orientation de la production d’abord vers la satisfaction du marché domestique européen et, sur le marché mondial, vers la production de produits à haute valeur ajoutée, comme les fromages, qui peuvent être exportés sans aides budgétaires.

Le rapport reprend aussi la réponse faite par la Commission européenne à cet audit et aux recommandations de la Cour européenne. Elle y présente notamment ses communications les plus récentes et annonce la publication prochaine de rapports attendus.