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Élargissement - Traités et Affaires institutionnelles
Jacques Santer et Jacques Poos se souviennent comment la réunification de l’Allemagne a ouvert la voie vers l’union politique de l’Europe
Jacques Poos : "Personne ne voulait d’une Europe allemande. Finalement, nous nous sommes retrouvés avec une Allemagne européenne."
09-11-2009


Jacques Santer, Premier ministre chrétien-social luxembourgeois entre 1984 et 1994, et son vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères socialiste, Jacques Poos, ont évoqué avec le Wort les événements du 9 novembre 1989 dont l’Allemagne et l’Europe fêtent aujourd’hui les 20 ans.

La question des frontières

Le volet européen de leur récit des événements est tout à fait passionnant. La France, signale Jacques Poos, avait à ce moment-là la Présidence de la Communauté européenne, comme l’Union européenne s’appelait avant le traité de Maastricht. "Ils étaient inquiets", cite-t-il, en français dans le texte. L’on craignait que les événements en Allemagne de l’Est, et surtout la chute du mur de Berlin, n’entraînent la chute de Gorbatchev et des confrontations guerrières.  Margaret Thatcher voulait qu’on en reste aux frontières existantes qui venaient d’être reconnues par l’Acte de Helsinki de 1975. Le plan en dix points de Helmut Kohl* acheva de déconcerter les Britanniques.

Trouver une ligne commune dans la démocratie-chrétienne européenne

Jacques Santer était à ce moment président du PPE, qui était alors encore le parti européen de la démocratie chrétienne. Là aussi, les événements d’Allemagne ne faisaient guère l’unanimité. Il convint donc avec Kohl d’inviter tous les dirigeants politiques démocrates-chrétiens de l’Europe de l’Ouest à une réunion des jeunes démocrates-chrétiens à Pise en Italie "pour apaiser les vagues et en arriver à une ligne politique commune". Giulio Andreotti, l'éminence grise de la démocratie-chrétienne italienne, n’était guère favorable à l’unité allemande. "Les démocrates-chrétiens n’étaient guère enthousiastes de la manière dont Kohl avait brusqué son monde", se souvient Jacques Santer. Mais l’on réussit néanmoins à amener les sceptiques à endosser son plan.

L’européanisation de la question allemande

Jacques Poos évoque un processus similaire au niveau de la Communauté européenne. Il fallut attendre le sommet européen de Dublin d’avril 1990 pour une déclaration des 12 de l’époque qui saluait la réunification de l’Allemagne. Jacques Santer évoque les craintes qu’inspirait dans cette Europe des 12 la fusion entre la RFA, qui était sans conteste la plus grande force économique de la Communauté, et la RDA, réputée être une parmi les premières dix puissances économiques européennes, ce qui finalement allait s’avérer être une fausse évaluation des réalités est-allemandes. Jacques Poos parle également de cette crainte des déséquilibres. "Personne ne voulait d’une Europe allemande. Finalement, nous nous sommes retrouvés avec une Allemagne européenne. L’européanisation de la question allemande a effectivement eu pour conséquence que les peurs et les préjugés des individus ont progressivement disparu."

Pour Jacques Santer, la chute du mur de Berlin et ses conséquences ont fait que "l’on a fait en Europe un pas décisif en direction de l’union politique." Le Luxembourg penchait à l’époque en faveur d’une grande confédération avec les nouvelles démocraties à l’Est, une sorte de AELE (Association européenne de libre-échange**). Le Luxembourg préférait l’approfondissement de l’intégration dans l’a Communauté européenne avant tout élargissement. Mais ce fut François Mitterrand et son plaidoyer pour une réponse politique à l’Europe de l’Est qui l’emporta. Pour Jacques Poos, le mouvement vers l’adhésion à l’UE se mit en branle et rien ne pouvait plus l’arrêter.

Le bilan des deux Jacques

Le bilan de Jacques Santer est positif : "La réunification de l’Allemagne a ouvert les portes vers l’Est de l’Europe. Ce n’est que grâce à cette ouverture qu’il a été possible de réunifier le continent européen dans la paix et la liberté, sans qu’une goutte de sang ne soit versée. Cela est pour moi la plus grande performance historique."

Le bilan de Jacques Poos est celui du fin diplomate : "L’Allemagne s’est retrouvée de concert avec ses partenaires européens et s’est à travers cela réalisée. C’est ainsi que le subtil équilibre au sein de notre communauté européenne put être préservé. C’est surtout cela qu’il faut reconnaître. Beaucoup furent ceux qui ont craint une autre évolution. Elle n’a pas eu lieu."    

 

* Il s’agit du plan que Helmut Kohl propose, sans avoir consulté la classe politique ouest-allemande ni les Alliés, le 28 novembre 1989 pour la restauration de l’unité allemande. Si l’"unité étatique de l’Allemagne reste le but du gouvernement fédéral", celui-ci ne sera atteint que progressivement. Kohl estime qu’il faut d’abord développer les relations interallemandes. La RFA apportera une aide dans tous les domaines à la RDA, à condition que celle-ci évolue vers la démocratie pluraliste et la libération des structures économiques. La première étape serait donc la réalisation d’une union confédérale.

** L’AELE est une organisation intergouvernementale  actuellement composée de quatre membres : L’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse.