Principaux portails publics  |     | 

Parlement européen
Entre les défis de la globalisation et le désenchantement vis-à-vis d’une UE "en pleine dérive intergouvernementale", trois députés européens ont évoqué leurs 5 premiers mois au Parlement européen
11-12-2009


Charles Goerens, Claude Turmes et Georges Bach lors du petit déjeuner de presse 11 decembre 2009Le bureau d’information du Parlement européen avait invité le 11 décembre 2009 à un entretien avec les députés européens luxembourgeois. Ces derniers devaient y évoquer les cinq premiers mois de leur mandat. Le chrétien-social Georges Bach (PPE), nouvel élu, le libéral Charles Goerens (ALDE), de retour au Parlement européen après 10 ans, et le vert Claude Turmes, député européen depuis 1999, réélu en juin 2009 pour un troisième mandat, ont, chacun à sa manière et à partir de leur rôle de député européen, exposé avec une franchise parfois très vive la façon dont ils vivent les difficultés que l’UE doit actuellement affronter, non sans exprimer, chacun à sa manière aussi, son sentiment de frustration.

Les axes du désenchantement

Charles Goerens s’est plaint d’un Parlement européen entièrement absorbé par les problèmes de nominations aux postes-clés de l’UE, alors que, selon lui, il serait plus important que l’UE arrive à trouver une réponse claire quant à savoir comment elle va affronter la globalisation ou le changement climatique. Il importerait aussi plutôt de répartir les compétences entre l’UE et les Etats membres, de voir comment le Parlement européen va arriver à contrôler le budget de l’UE et comment l’UE va se donner une dimension sociale, tout en maîtrisant les déficits budgétaires dans les Etats membres. Trop de flou entoure selon Charles Goerens des questions comme de savoir si l’argent destiné aux pays en voie de développement dans le cadre de la lutte contre le changement climatique va être déduit ou non des sommes allant à l’aide au développement, la première option étant d'ailleurs pour lui inacceptable.

Claude Turmes a enchaîné sur le paradoxe selon lequel, d’un côté, la crise financière et la panne des crédits sont considérées par toutes les grandes forces politiques européennes comme le résultat d’une politique néolibérale de dérégulation, tandis que d’un autre côté, personne ne veut réguler de nouveau. Claude Turmes a d’autre part souligné la force de la droite en Europe. Il a ainsi expliqué que les libéraux, et notamment leur leader Guy Verhofstadt, en rendant possible l’élection de José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne, ont été récompensés avec 9 commissaires sur 27, alors qu’ils ne représentent que 12 % des voix aux élections européennes. Il a aussi dénoncé le fait que le leader des sociaux-démocrates au Parlement européen, Martin Schulz, n’ait pas encore commenté la composition de la nouvelle Commission, où sa force politique, qui est la deuxième en Europe, a été rétrogradée à la troisième place.

Une autre charge de Claude Turmes est allée en direction de la constitution de la Commission Barroso II. Il a dénoncé la mise en place, selon le principe "divide et impera", de couples de commissaires antagonistes, avec d’un côté la Danoise Connie Hedegaard à l’action climatique et le Slovène Janez Potocnik à l’environnement, et, d'un autre côté, l’Allemand Günter Oettinger à l’énergie et l’Italien Antonio Tajani à l’industrie et aux entreprises, considérant le premier comme un lobbyiste de l’énergie atomique et le deuxième comme "le plus incapable" des commissaires. A ses yeux, José Manuel Barroso et sa secrétaire générale, Catherine Day, ont mis en place un "théâtre de marionnettes". Pour Claude Turmes, Antonio Tajani au moins devrait être soit recalé, soit être changé de poste à l’issue des auditions des commissaires au Parlement européen.

Pour Georges Bach, qui a cherché à temporiser, la Commission Barroso II est l’expression des rapports de forces politiques dans l’UE. Les sociaux-démocrates ont été "les grands perdants des élections européennes", ce dont il ne se réjouit pas. Même si son parti, le PPE, domine selon lui la scène politique européenne, il n’en reste pas moins que Georges Bach trouve "le cirque autour des nominations pire que ce qu’il ne craignait". L’Europe, qui était pour lui un grand projet de paix misant sur la solidarité entre Etats membres, se vit sur le terrain comme un ensemble de pays qui essaient, seuls ou dans des alliances avec quelques uns, de sortir en ordre dispersé de la crise. Même la lutte contre le changement climatique n’a pas suscité la solidarité. De même, Georges Bach s’attendait à plus d’engagement pour renforcer la dimension sociale de l’UE, pour répondre à une demande clairement issue des citoyens européens au cours de l’année 2009. Or, s’il y a discussion sur le social, c’est sur la base des normes les plus basses, et non le contraire.

Nouveaux agendas politiques après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne

Pour Claude Turmes des Verts, les grands défis au Parlement européen sont le Green New Deal et la discussion sur les perspectives financières 2014-2020. Pour lui, l’affectation des fonds structurels devra être conditionnée par le respect de normes écologiques et de développement durable. Mais il faudra aussi, selon lui, des fonds de garanties pour des prêts à des projets éco-compatibles. Le renforcement de la discussion sur le social dans l’UE est aussi un des grands défis à venir, et Claude Turmes a appelé à la création d’une alliance entre grandes forces politiques, un "pôle de stabilité", en vue de réformer l’orientation prise en ce qui concerne le détachement des travailleurs et d’assurer, de façon plus générale, un rééquilibrage entre le social et l’économique. Le Parlement européen devra également utiliser pleinement ses compétences en matière de politique agricole commune (PAC). L’UE doit redevenir pour Claude Turmes un projet politique qui transcende les partis.

Pour Charles Goerens, un des grands défis du Parlement européen est d’endiguer la dérive intergouvernementale de l’UE, d’une "UE que nous n’avons pas voulue", qui a de plus en plus tendance à être dirigé par le G4 des grands Etats membres. Dépité par des nominations à des postes-clés de personnes qui, comme José Manuel Barroso, répercutent les désirs du G4 et oublient d’être les gardiens du traité, ou qui, comme Herman Van Rompuy, n’ont pas encore heurté les dirigeants des grands pays, Charles Goerens a regretté que Jean-Claude Juncker n’ait pas été nommé à la tête du Conseil européen, et ce parce qu’il s’était fermement opposé à la dérive intergouvernementale et qu’il n’a pas l’habitude de garder sa langue dans sa poche. Charles Goerens s’est dit moins pessimiste que prêt à évoquer et à analyser sans concessions ce qui ne va pas dans cette UE qui doit sortir de "l’ornière intergouvernementale" et exploiter ses marges de manœuvre pour œuvrer contre la crise.

Les grands axes de cette action devraient être selon Charles Goerens une alliance des grandes forces politiques du Parlement européen contre la dérive intergouvernementale de l’UE, le soutien à la Grèce, "qui ne peut continuer à sombrer" au risque de causer un problème majeur à la zone euro. Il faudrait selon l’eurodéputé libéral aller dans le sens d’une mutualisation des risques par l’émission d’obligations européennes, combler les écarts entre les pays à fiscalité quasi nulle et ceux à fiscalité confiscatoire, entre les pays aux normes sociales élevées et aux normes sociales faibles. Il n’en reste pas moins que Charles Goerens a admis "faire une lecture grise" de ce que l’UE est actuellement, que trois ou quatre Etats membres empêchent d’agir, faisant régresser ainsi une Europe du début du 21e siècle vers une Europe des grands qui est plutôt celle du 19e siècle.

Quant à Georges Bach, il s’est fixé avant tout comme objectif de renforcer la dimension sociale dans son groupe politique, le PPE, et de miser sur la particularité du Parlement européen, assemblée qui n’est pas composée d’une majorité et d’une opposition dans le sens traditionnel du terme, pour trouver des alliés et des compromis en matière sociale.