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Justice, liberté, sécurité et immigration
Une conférence de Jacques Toubon sur "l’Europe au défi de l’intégration"
12-02-2010


Jacques Toubon au programme du CCRNLe vendredi 12 février 2010, Jacques Toubon, ancien ministre français de la Culture (1993-1995) puis de la Justice (1995-1997), a donné à l'Abbaye de Neumünster une conférence intitulée "l'Europe au défi de l'intégration". Jacques Toubon, qui est actuellement président du Groupement d'intérêt public de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, avait été invité par le Centre Culturel de Rencontre Abbaye de Neumünster (CCRN) et l'Ambassade du Luxembourg à Paris.

Qu’est-ce l’intégration selon Jacques Toubon?

Dans son introduction, Jacques Toubon a défini la question qui se pose face à l’immigration de la manière suivante : "Comment intégrer et mettre en état de cohésion sociale des millions d’hommes et de femmes qui sont venus, il y a longtemps ou récemment, et qu’il faut amener à s’interroger sur leur capacité d’intégration, comme nous devons le faire sur nos capacités d’adaptation". Citant citer en guise de postulat l’écrivain Romain Gary : "Etre deux est pour moi la seule unité concevable", Jacques Toubon a fait le constat d’un problème : "La recherche de l’identité est profondément ancrée dans l’anxiété de nos contemporains."

A ce nœud de questions, seule une réponse plurielle est possible, constate Jacques Toubon, alors qu’une réponse singulière est attendue. La question de savoir si on est capable d’admettre des formes de complexité et de changer se pose de ce fait de manière insistante au sein de l’UE. Mais les réponses à ces défis seront, selon Jacques Toubon, plutôt nationales et locales que communautaires : "La Bavière n’est pas le Schleswig, le Luxembourg n’est pas la France, l’Andalousie n’est pas la Catalogne, et même dans le triangle Sarre-lorraine-Luxembourg, les problèmes régionaux sont similaires, mais les problèmes d’immigration et d’intégration diffèrents", dit-il pour récuser l’idée d’une politique communautaire de l’intégration.

Pour Jacques Toubon, l’intégration est un double mouvement, le mouvement de celui qui vient, qui s’insère et qui s’intègre, et le mouvement de ceux qui changent de façon de vivre et de voir le monde du fait de la présence de ceux qui sont venus. "Les cultures européennes sont un mélange" pour Jacques Toubon qui cite à titre d’exemple l’influence de l’Afrique sur la musique et la danse en Europe, une musique qui se base "sur la technique française et l’énergie africaine".      

Bien qu’opposé à une politique européenne de l’intégration, Jacques Toubon est en faveur de la politique communautaire d’immigration qui a pris son essor en 1999 avec le programme de Tampere et qui se poursuit aujourd’hui sur la base du programme de La Haye. Par contre, il approuve les principes généraux sur lesquels les politiques d’intégration en Europe pourraient se baser et qui sont contenues dans le programme de La Haye : égalité de droits entre citoyens de l’UE et citoyens étrangers, égalité entre hommes et femmes, droits syndicaux, etc. L’échange de bonnes pratiques est important. Le portail européen sur l’intégration créé par l’ancien commissaire Jacques Barrot lui paraît à ce titre très utile. "Mais", ajoute-t-il, "il ne faut pas se faire des illusions sur la capacité de l’UE de donner des réponses à l’intégration".

Les trois catégories d’immigrés selon Jacques Toubon

Pour Jacques Toubon, l’UE a affaire à trois catégories d’immigrés. La première, ce sont les immigrés européens en Europe, dont l’intégration s’est jusque là bien opérée, bien qu’en France l’intégration républicaine se soit entretemps grippée. La deuxième catégorie, ce sont les immigrés qui se sont bien assimilés sur le plan religieux, voire laïcisés, mais dont l’intégration sociale et économique s’avère difficile. En France, ce sont les immigrés issus des anciennes colonies d’Afrique du Nord et noire, qui restent souvent confinés dans des situations économiques subordonnées, voire dans la pauvreté. La troisième catégorie, ce sont les immigrés dont la réussite économique et sociale est remarquable, mais dont la distance culturelle avec la société environnante ne cesse de se creuser. Les entreprises turques dans la construction, les quartiers chinois et leur rôle dans le commerce sont des exemples de cette catégorie. Dans ce contexte, le rôle de l’école comme facteur d’intégration et de promotion sociale souveraine est primordial. Elle contribue aussi à changer le rapport de l’individu à la société.          

Cinq facteurs qui rendent selon Jacques Toubon l’intégration difficile

Mais les facteurs négatifs s’accumulent en Europe selon Jacques Toubon.

Premier facteur : les Etats ont été affaiblis après le démantèlement de grand nombre de compagnies nationales de servivce public, de sorte que l’autorité politique ne s’exerce plus de la même manière. Or, la demande sociale s’adresse à l’Etat. Si d’un côté, l’Europe a permis, au nom de la paix, de mettre en cause la toute-puissance des Etats-nations, elle a aussi affaibli la position de l’Etat qui devient dans les situations difficiles l’interlocuteur de la demande sociale.

Deuxième facteur : les valeurs qui régissaient les sociétés européennes se sont relativisées. Il est devenu difficile de citer les trois ou quatre valeurs qui rassemblent une société donnée. Cela conduit à plus d’intolérance et de blocages dans ces sociétés, l’école ne transmettant plus non plus ces valeurs.

Troisième facteur : L’école réformée d’après 1968 ne veut plus imposer ni définir, elle va vers l’individu, elle est devenue plus lieu de vie que d’apprentissage, et de ce fait elle laisse l’élève qui vient d’une société différente plus démuni et dépourvu que jamais devant les questions auxquelles il est confronté dans sa société d’accueil.

Quatrième facteur : la mondialisation a conduit à ce que toutes les références se trouvent éparpillées de par le monde. 

Cinquième facteur : le changement démographique en Europe représente un mouvement irréversible, un défi arithmétique irréfutable. Le papy boom qui commencera en 2011 en Europe verra plus d’Européens sortir du marché du travail qu’entrer dans la vie active. En 2050, l’Europe qui représentait 20 % de la population mondiale en 1900, ne représentera plus que 4 %, et pour l’Afrique, ce sera exactement l’inverse.

L’Europe devra faire face

Que feront les Européens devant un tel renversement de situation pour créer de l’emploi, s’est demandé Jacques Toubon ? Quelles capacités aura-t-elle à accueillir de nouveaux arrivants ? Sera-t-elle capable d’accomplir "l’effort colossal" de formation professionnelle en Afrique notamment, pour éviter que les Africains ne deviennent "de la chair à canon pour le marché du travail".

Pour Jacques Toubon, l’UE et les Etats membres ont les moyens de faire face. L’évidence des faits actuels et à venir doit faire partie du discours politique, quitte à ce qu’il soit politiquement incorrect. Les politiques ont un "devoir de vérité".

Ces derniers temps, la religion s’est manifestée dans les affaires liées à l’intégration comme "pointe avancée des problèmes". Mais, met en garde Jacques Toubon, il faut "aborder les minarets avec lucidité". Ce qui cause avant tout problème, c’est que l’immigration en Europe est "de type familial". Dans un contexte où le modèle social est menacé par l’état des finances publiques, cette "immigration de type familial" augmente selon lui les difficultés du système économique et social. Par contre, l’immigration des talents contribuerait à alimenter l’activité économique. Pour l’attirer, l’Europe doit jouer sur le long terme, miser sur une politique européenne d’immigration, élaborer un modèle commun d’intégration, et convaincre les Etats membres d’ajuster les calendriers afin de partager une même perspective temporelle de la question.